Portrait de Gérard Mulliez, PDG d'Auchan

09 mai 2006
02m 26s
Réf. 00100

Notice

Résumé :
Retour en archives  sur la carrière de Gérard Mulliez qui passe le relais à son neveu, Vianney Mulliez, après 45 années passées à la tête de l'empire qu'il a lui même fondé.
Date de diffusion :
09 mai 2006
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Éclairage

On le présente souvent, à la façon de ce reportage, comme l’auteur de "la plus grande réussite commerciale de la région". Réalisé en 2006, au moment de son départ du conseil de surveillance du Groupe Auchan qu’il présidait, le sujet revient sur l’histoire de cette réussite, qui fait figurer Gérard Mulliez parmi les trois premières fortunes de France, et les trente premières du monde.

Né en 1931, dans une famille d’industriels du textile roubaisien, Gérard Mulliez-Mathias ne montre pas d’aptitude scolaire particulière. Mais il est bien né : son grand-père a fondé les Filatures de Saint-Liévin à Wattrelos après la guerre, et les magasins Au fil d’art (bientôt Phildar) à Roubaix en 1942, que son père et ses oncles dirigent. En plus de cette assise solide, sa famille est parfaitement intégrée, grâce à un système complexe d’alliances matrimoniales, à la bourgeoisie catholique de la métropole. Empruntant d’abord la voie scolaire, notamment une année dans un collège anglais ou à l’Institut technique de Roubaix, Gérard Mulliez s’en détourne très vite et commence à travailler. Il a 18 ans, selon ses dires, quand il entre dans les entreprises familiales, d’abord en tant qu’ouvrier dans les filatures puis, dans les années 1950, à Phildar où il grimpe rapidement dans la hiérarchie.

C’est à l’âge de 30 ans que Gérard Mulliez décide de voler de ses propres ailes. Sous les conseils bienveillants de son père qui l’a invité en décembre 1960 à visiter les Etats-Unis, où la société de consommation se développe à marche forcée, il opte pour la grande distribution. L’année suivante, la famille lui donne une vieille usine de retordage située en périphérie de Roubaix, dans le quartier des Hauts-Champs. Sur ce site, en association avec son cousin Michel Segard, il ouvre une première enseigne à l’instar des grandes surfaces américaines équipées de caisses. Hauts-Champs est transformé en Auchan, et remonte ainsi dans les colonnes de l’annuaire. Mais cette première expérience est un échec. Après un an d’activité, l’entreprise est au point mort et ne gagne pas d’argent. Son cousin se désiste, Gérard Mulliez s’entête. Et trouve conseil auprès d’Edouard Leclerc, pionnier en la matière. Selon le maître, il faut baisser les marges, préférer vendre cent produits avec une marge de 10%, plutôt que dix produits à 100%. Prudent, l’élève teste d’abord cette méthode sur… le whisky. Succès éclatant : les hommes en achètent plus et enjoignent ainsi leurs femmes à consommer chez Auchan qui pratique des prix bas. L’aventure commence, c’est la première pierre d’un empire qui n’a cessé de s’agrandir depuis. En 1967, Gérard Mulliez ouvre un deuxième magasin à Roncq, cette fois un hypermarché. En 1971, pour mieux mobiliser les fonds familiaux, il crée l’Association familiale Mulliez (AFM) qui regroupe toutes les chaînes de magasins créés dans le sillage d’Auchan par les membres de la famille (Décathlon, Norauto, Flunch, Kiabi, etc.). En 1976, il se lance dans l’immobilier avec sa filiale Immochan, puis en 1983 dans le secteur bancaire avec Accord. Parallèlement, les inaugurations de magasins se succèdent en France, comme en 1977 à Villeneuve-d’Ascq, ville nouvelle de la métropole fondée par le décret de 1969 ; mais aussi à l’étranger - à partir de 1981 en Espagne.

Lorsqu’il quitte son siège en 2006, Gérard Mulliez laisse à son neveu Vianney la gestion d’un empire immense. 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 8000 magasins dans 12 pays et 500 000 salariés, dont 200 000 (chiffre de 2006) en France et 14 000 dans la région Nord-Pas de Calais. C’est le premier employeur privé français. À côté de cela, la fortune familiale est estimée à 25 milliards d’euros. L’AFM regroupant 1000 membres et une cinquantaine d’enseignes, Gérard Mulliez aurait environ 700 cousins devenus millionnaires, en grande partie grâce à lui. Sur 100 euros que dépensent les ménages français, tous commerces de détail confondus, les entreprises Mulliez engrangent 8 à 10 euros. Enfin, elles forment le premier annonceur français avec un budget publicité de 330 millions d’euros, ce qui représente un important moyen de pression sur la presse.

Malgré ces chiffres impressionnants, Gérard Mulliez a toujours fait preuve d’une grande discrétion. Ce n’est pas un hasard si le reportage utilise des images d’archives dont une interview de 1988. Sa carrière s’est construite autour de trois axes : les affaires, auxquelles il a compris très tôt qu’il fallait s’adapter en permanence, et dont il a toujours refusé la financiarisation (les entreprises Mulliez ne sont pas côtées en bourse) ; la famille, dans laquelle il fait figure de seigneur et dont la solidarité est garante du bon fonctionnement des affaires ; la religion, qui inspire ses valeurs entrepreneuriales, comme le montre son adhésion au Centre français du patronat chrétien ou au Mouvement des cadres chrétiens. Ce sont d’ailleurs ces valeurs, empreintes de paternalisme, que le reportage cherche à mettre en avant. D’abord avec l’actionnariat salarié, 97% des employés possédant en effet des parts des entreprises. Gérard Mulliez explique lui-même que cette mesure lui a permis "de réunir le capital et le travail", tout en précisant : "Si vous ne voulez pas être emmerdé par les syndicats, invitez-les de votre côté de la table" (Trophées LSA de l’Innovation, 7 décembre 2011). Ainsi les employés ont-ils des intérêts à voir leur entreprise se développer, sans avoir pour autant de pouvoir de décision dont les seuls détenteurs sont les membres de l’AFM. Second symbole des valeurs Mulliez évoqué dans le reportage, le SBAM, pour "sourire, bienvenue, au revoir, merci". Cette simple formule, pleine de bon sens, relève en fait d’une gestion très moderne des relations humaines. Les employés sont évalués en fonction de ces critères. Leurs primes dépendent de ces évaluations. Un sourire oublié, un merci effacé, c’est un peu moins d’argent sur la fiche de paie.

On peut ainsi relever deux spécificités de la "réussite commerciale" de Gérard Mulliez. Premièrement, sa capacité à innover, s’adapter et assurer une reconversion à la bourgeoisie industrielle de la métropole qui, malgré le déclin du textile, est parvenue à tenir son rang. Deuxièmement, sa continuité entre valeurs anciennes et nouvelles, entre catholicisme fervent, paternalisme traditionnel et méthodes managériales modernes. Au final, Gérard Mulliez, qui "revendique son radinisme", a toujours su faire fructifier ses intérêts et préserver ceux de son clan.



Sources :

- P. Pouchain, Les maîtres du Nord du XIXe siècle à nos jours, Perrin, 1998.

- B. Boussemart, La richesse des Mulliez. L’exploitation du travail dans un groupe familial, Estaimpuis, 2008.

- B. Gobin, La face cachée de l'empire Mulliez. Le clan à l’origine de la première fortune de France, La Borne Seize, 2015.

- M. Bordet, "Gérard Mulliez se confie enfin", Le Point, 12 juillet 2012.
Thomas Boggio

Transcription

Vincent Dupire
Passation de pouvoir dans les hautes sphères de la galaxie Mulliez. Demain le président fondateur du groupe Auchan, Gérard Mulliez devrait passer le relais à son neveu Vianney Mulliez après 45 années passées à la tête de l’empire qu’il a lui-même fondé. Retour sur la plus grande réussite commerciale de la région avec Emmanuel Magdelaine et Fabien Hembert.
Emmanuel Magdelaine
Son père était le patron de l’entreprise Phildar. C’est là que Gérard Mulliez a fait ses débuts en tant que contremaître puis directeur des ventes. Mais le jeune homme a de l’ambition, alors un jour, son père lui souffle une idée.
Mulliez&Gérard
Il est allé aux États-Unis en décembre 1960 et de là-bas il m’a écrit : Puisque tu veux faire autre chose, viens voir, il y a un développement des grands magasins en libre-service. J’y étais au mois de février et au mois de juillet, quatre mois après, j’ouvrais à la périphérie de Roubaix, dans le quartier des Champs Hauts, des Hauts Champs.
Emmanuel Magdelaine
Son premier magasin ouvre donc en 1961, c’est le début d’une incroyable réussite, avec une idée simple, vendre de plus en plus d’articles de moins en moins cher à de plus en plus de clients. Le concept s’étend rapidement avec d’autres créations familiales, la galaxie Mulliez est partout dans notre vie quotidienne. Le groupe emploie 200000 personnes aujourd’hui, la seule enseigne Auchan, c’est 14000 salariés en Nord-Pas-de-Calais, premier employeur privé de la région.
Mulliez&Gérard
Nous avons été élevés, nous, dans une école où on disait : L’argent n’est pas fait pour être dépensé pour soi-même, l’argent est fait pour être mis à la disposition des autres en développant des entreprises, en créant des emplois. Et pour nous, c’est naturel d’avoir fait comme ça.
Emmanuel Magdelaine
Première fortune de France, la famille Mulliez et leur patriarche Gérard sont aussi connus pour leur management original. Tous les salariés connaissent par exemple la règle d’or du groupe.
Mulliez&Gérard
Nos hôtesses de caisse à Auchan ont été formées à ce qu’on appelle le SBAM, Sourire, Bonjour, Au revoir, Merci.
Emmanuel Magdelaine
Il est aussi un pionnier de l’actionnariat salarié et refuse toujours l’entrée de son groupe en bourse, il revendique sa discrétion médiatique, sa gestion paternaliste et son radinisme. Gérard Mulliez a longtemps reculé la date de son départ, à 75 ans, nul doute qu’il continuera de garder un oeil sur l’affaire de sa vie.