L'exécution des otages de la Première Guerre mondiale à Lille

22 septembre 1915
01m 51s
Réf. 00038

Notice

Résumé :
Reportage à bases d'archives sur l'occupation de Lille par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale, l'organisation de la résistance lilloise et sa sévère répression.
Date de diffusion :
22 septembre 1995
Date d'événement :
22 septembre 1915
Thèmes :
Lieux :

Éclairage

La Première Guerre mondiale passe sur le Nord comme une tornade. Installés en vainqueurs dans la région lilloise le 13 octobre 1914, les Allemands restent en place jusqu’au 17 octobre 1918. Un calvaire de quatre années : toute l’activité économique est paralysée par des pillages généralisés, des spoliations généralisées (la ville de Lille dut verser à l’occupant dix fois le montant de son budget), des réquisitions de main-d’œuvre pourtant interdites par les accords internationaux (comme la célèbre razzia qui, à la fin d’avril 1916, envoya plus de 10 000 Lillois dans des camps de travail, au Laonnais ou dans les Ardennes), des usines démantelées, les courants bancaires et commerciaux anéantis, le crédit économique disparu, et enfin, une population meurtrie. Et par-dessus toutes ces calamités des arrestations d’otages, toutes classes confondues, exilés au camp de Gustrow ou à la forteresse de Rastad.

Gustave Delory se trouve dès le début de l’Occupation sur la liste des suspects, avec l’évêque Mgr Charost, le maire Delesalle, le préfet Trépont. Malgré cela, il organise les secours, préside le conseil général à la place du préfet déporté, s’oppose aux réquisitions et au travail forcé ; il est plusieurs fois interné à la Citadelle et déporté à Holzmonden (Brunswick) du 1er novembre 1916 au 27 avril 1917, d’où il revient considérablement affaibli.

Toute résistance organisée et armée est impossible, vu la proximité du front de combat et la présence de l’armée allemande ; seuls purent se constituer quelques réseaux de renseignements et d’information. Lille eut ses héros, Louise de Bettignies, Léon Trulin, et les quatre fusillés : Jacquet, Maertens, Deconynck, Verhulst, qui, attachés au poteau d’exécution, chantent "Mourir pour la Patrie est le sort le plus beau…".

Eugène Jacquet, secrétaire des droits de l’Homme, avait pris l'initiative de constituer un mouvement clandestin pour cacher, nourrir, aider et faire évader les soldats de la garnison de Lille. Il est entouré de Georges Maertens, Ernest Deconynck, Sylvère Verhulst. Dénoncés, Jacquet et ses compagnons sont arrêtés le 15 juillet 1915 et fusillés à la Citadelle le 22 septembre. Sur le monument actuel, à l’entrée de l’esplanade, ils sont représentés debout, adossés au mur qui les a vus tomber. En août 1940, ce monument est détruit à coups de pioche par les Allemands. La restauration date de 1960. Ils sont accompagnés sur ce monument par un cinquième fusillé, représenté allongé face contre terre : le Belge Léon Trulin. En 1915, il gagna l’Angleterre et se voit confier par un officier une mission d’essai et enfin une autre plus difficile, l’espionnage. À partir de cet instant fût créé le système Noël Lurtin (anagramme de Léon Trulin). Il traversa à plusieurs reprises la Belgique ainsi que la Hollande pour apporter en Angleterre des documents. Il fut arrêté au poste-frontière de Putte-Cappelen en Belgique en compagnie de l’un de ses amis, Raymond Derain. Il est condamné à mort par le tribunal militaire Allemand le 5 novembre 1915 et l’exécution eut lieu le 8 novembre dans les fossés de la Citadelle.

Le réseau de Louise de Bettignies, au nom de guerre d’Alice Dubois, forma une bonne équipe, vite rompue à la quête de renseignements précieux acheminés jusqu’en Grande-Bretagne via la Belgique occupée et les Pays-Bas. Aidée ensuite par Marie-Léonie Vanhoutte, Louise de Bettignies continue ses infiltrations (quelque quarante fois), elle tombe bêtement aux mains de l’occupant. On découvre sur elle, 5 à 6 pièces d’identité différentes ; son sort est réglé. Elle sera incarcérée 6 mois à la prison de Saint-Gilles, à Bruxelles, avant d’être condamnée à mort, le 2 mars 1916, peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Elle meurt le 27 septembre 1918 des conditions terribles de détention.


Sur les monuments érigés à ces héros de la Grande Guerre, voir la base de données sur les monuments aux morts : http://monumentsmorts.univ-lille3.fr et plus particulièrement :

- pour les fusillés : http://monumentsmorts.univ-lille3.fr/monument/441/lille-place/?elm=8

- pour Léon Trulin : http://monumentsmorts.univ-lille3.fr/monument/438/lille-place/?elm=6

- pour Louise de Bettignies : http://monumentsmorts.univ-lille3.fr/monument/443/lille-place/?elm=10
Martine Aubry

Transcription

Michel Barre
En 1914, la guerre est arrivée à Lille sans prévenir. Trois jours de bombardement, et les Allemands s’installent dans la ville de 15 octobre. Ils ne la quitteront que quatre ans plus tard. Comme les autres gouverneurs militaires, dans les zones occupées, d’Ostende aux Vosges, le Général Von Heinrich prend des mesures de coercition. Impôts de guerre, prise d’otage, réquisition, mais il veut surtout capturer les centaines de soldats français enfermés pendant le siège. Ils ne sont pas rendus et cherchent à reprendre le combat de l’autre côté des tranchées en s’évadant via les Pays-Bas neutres, et l’Angleterre. Face aux vexations et aux restrictions, la Résistance s’organise rapidement. On se met en grève pour ne pas aider la défense ennemie. On organise des réseaux pour cacher, nourrir et faire évader les réfractaires français et les aviateurs anglais. Parmi ces réseaux, l’un des premiers et des plus ramifiés est monté par le secrétaire de la Ligue des droits de l’homme du nord, Camille Eugène Jacquet, courtier en vin 45 ans. Autour de lui, un sous-lieutenant de territorial de 37 ans, Ernest Deconinck, un passementier de 50 ans, Georges Maertens, et un petit contrebandier belge, Silvère Verhulst, 38 ans. En mars 1915, ce réseau a fait rentrer en Angleterre un aviateur, le lieutenant Mapplebeck. Vaniteux, ce dernier revient pendant un mois, lâcher des tracts sur Lille. Les Allemands sont piqués au vif, ils multiplient les recherches. Un convoi d’évadés est arrêté à Anvers, l’un d’eux parle. Jacquet, Deconinck, Verhulst et Maertens sont arrêtés le 10 juillet internés à Gand, puis à la citadelle de Lille. Jugés les 17 et 18 septembre, ils sont fusillés tous les quatre le 22 à 6 heures du matin. Dès le lendemain, un autre réseau est démantelé, celui d’Intelligence service, qui fournit des renseignements militaires aux alliés. Leonie Vanhoutte est déporté, Louise de Bettignies mourra en Allemagne. Quelques semaines plus tard, Léon Trulin est à son tour exécuté dans les fossés de la citadelle. Jusqu’à la fin, résistance et répression ne faibliront pas.