Robert Boyaval, poète patoisant

24 novembre 1968
02m 18s
Réf. 00014

Notice

Résumé :

Interview de Robert Boyaval, originaire de Douai, poète et écrivain. Sa vocation d'écrivain apparaît après la lecture de Jules Mousseron. Comme celui-ci, il préfère décrire des scènes de la mine en patois, en langage de tous les jours. Ce poème en patois est lu sur un fond de dessins de paysages miniers (dont il est certainement l'auteur, la peinture étant sa deuxième passion).

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Date de diffusion :
24 novembre 1968
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Éclairage

La tradition de la poésie dans le milieu des mineurs de charbon est tenace. Dans la Loire, le chansonnier Rémy Doutre, auteur de La Ricamarie célèbre chanson sur la grève dans cette mine et la répression en 1869, fut l'un des premiers houilleurs-poètes. Mais le plus célèbre et le plus prolixe d'entre eux est, sans aucun doute, Jules Mousseron. Originaire de Denain cet homme, qui a travaillé pendant 46 ans au fond a, parallèlement, poursuivi une carrière de poète et de chansonnier. Inventeur du personnage de Cafougnette, "gueule noire" sympathique et heureuse de vivre, il a présenté ses poèmes, en patois, comme en français, dans le bassin du Nord et du Pas-de-Calais, comme dans le reste de la France. Ses "concerts" (one man shows) connurent un immense succès auprès d'un public large, lui qui voulait promouvoir l'image d'une mine épanouissante et solidaire.

Ses poèmes furent publiés à partir de 1897. Il y évoque, avec tendresse, la vie et les mœurs de la communauté minière qu'il partage entre "choses du fond" et "choses d'en haut", séparant bien, ainsi, le travail dans les galeries de ce qui se déroule à la surface. Dans le premier groupe, il passe de L'Souris du fond à L'Briquet, en passant par L'Pic , dans le second, ses poèmes traitent D'Amour et d'amitié et des Ducasses et jours ed' fiete. Jules Mousseron a, en quelque sorte, ouvert une brèche dans laquelle d'autres mineurs vont s'engouffrer, comme Aimable Lucas qui, en 1906, fait paraître La Muse d'un soir ou encore Achille Saleztki qui, deux ans plus tôt, a publié un recueil intitulé Appollon dins l'carbon. Entre-les-deux-guerres Abel Pentel, avec ses Bleuettes du Pays noir, poésies et chansons en patois des mineurs de l'Artois (1929), est l'un de ceux qui maintient cette tradition. Pour l'après Deuxième Guerre mondiale, le nom de François Delcourt, mineur à Béthune peut être mentionné, tant il se place, comme Robert Boyaval dans le sillon tracé par le grand Jules Mousseron.

Robert Boyaval, né à Douai en 1923 a été surnommé le "chantre des Pays Miniers". Fils de mineur, il mènera une carrière de juriste tout en se consacrant à la littérature, obtenant de nombreux prix en France et à l'étranger. Parallèlement à ses écrits en patois il publie plusieurs livres pour la jeunesse. Il participe à l'émission Terrils et Corons sur radio Lille entre 1951 et 1954 enregistrant des poèmes en picard sur la mine (1).

Pour ce fils spirituel du créateur de Cafougnette, c'est le patois qu'il faut défendre en premier lieu, car lui seul est capable, à ses yeux, de rendre compte de la réalité minière. Parler du métier de mineur dans la langue dans laquelle ces ouvriers s'expriment – le patois – telle est la tâche que se fixe Boyaval, dont la vocation d'écrire en picard lui est venue, un jour de 1947, en lisant et entendant des textes de Mousseron (2). Son succès dans les concours régionaux de versification l'a convaincu de la justesse de la voie qu'il a choisie, celle de chanter les corons et la vie de la mine, afin de sauver la langue des siens.

(1) Terrils et Corons, G.E.P., 1968. Parmi ses principaux ouvrages en patois, il faut aussi citer

Au Pays des "Gueules Noires", G.E.P., 1966 ; Dans la Cité de Gayant,G.E.P., 1968 ; Près des Terrils,G.E.P., 1981.

(2) Le poème sur le patois qui est lu ici, n'est pas sans rappeler le poème de Mousseron sur le patois publié dans Autour des terris en 1929 : "J'préfèr'min patois, musiq'dé m'premier âche Qui chaq' jour, fait canter chu qu'a busié min cœur"

Diana Cooper-Richet

Transcription

Bernard Claeys
Vous nous avez dit comment vous était venue votre vocation d’écrivain, à quel âge est-ce que ça s’est produit ?
Robert Boyaval
Ça s’est produit en 1947, et après avoir lu Mousseron, j’ai pensé de continuer son, sa poésie patoise, et je me suis mis à écrire quelques vers. Certains m’ont conseillé de continuer et j’ai alors affronté des concours régionaux du Nord et du Pas-de-Calais. Ayant obtenu quelques succès, j’ai, je me suis décidé à persévérer dans cette voie et en écrivant le patois ; patois du nord des corons comme le français ; j’ai voulu, j’ai voulu décrire la vie de la mine dans le patois, dans le patois régional, étant donné que c’est une langue qui a tendance à disparaître. Il me semble que beaucoup de scènes de la mine sont mieux traités en patois que en français.
Bernard Claeys
Dans le langage qui est propre aux mineurs.
Robert Boyaval
Le langage propre aux mineurs, le langage de tous les jours. Le patois, notre langage. Nous z'ôtes, les habitants du Nord on aime gramint el bavardage Si in dit que l'silence est d’or, dans not' coin, y n'y treuv'point plach'. Not' patois partout on l'connot. In l'prononce d'ville in village.D'lintindr' jamais on s'lach'rôt ; ch'est in celeb' et biau langage. Il est fait d'gramint d'viux mots français, p'têt' déformé ch'est bin possib'. Pou' l’ignorant, y paraît tout à fait incompréhinsib'. Ch’est l' vrai parlé du temps passé, y vient tout drôt ed'nos ancêt', et malgré qu' y sont trépassés, par euch'langage, le souvenir reste.
Bernard Claeys
Je trouve que le métier de mineur est mieux décrit par le patois que parfois par le français.