Avis des supporters du RCL sur le culte de la vedette

04 décembre 1973
51s
Réf. 00057

Notice

Résumé :

Interrogés dans un café, de supporters du RC Lens pensent qu'une vedette comme Johan Cruijff n'aurait pas sa place dans le club : "Le RCL est avant tout est une équipe de copains ...qui va au charbon", avec un public d'ouvriers.

Type de média :
Date de diffusion :
04 décembre 1973
Source :

Éclairage

A la fin de l'année 1973, le Racing Club de Lens (RCL), l'ancien "club des Houillères" est sorti de la passe difficile dans laquelle l'avait plongé la récession charbonnière, qui a conduit à la fin du soutien que lui apportait jusque-là l'entreprise. Après être redevenu professionnel en 1970, il accède à la Première Division du championnat de France de football à l'issue de la saison 1972-1973. Au moment où il effectue ce retour, le football français est en voie de transformation, sous l'effet de multiples facteurs : la fin en 1969 du contrat à vie (qui liait le joueur au club jusqu'à ses 35 ans), le rôle croissant de la télévision, la création, puis la médiatisation des grandes compétitions européennes. A cette date cependant cette transformation est encore partielle, surtout pour un club de taille modeste comme le RCL. La rumeur qu'évoque le reportage – la venue à Lens du grand international néerlandais Johan Cruijiff qui, après avoir fait le bonheur de l'Ajax d'Amsterdam, vient tout juste de signer à Barcelone – n'a donc guère de chance de se réaliser. Reste qu'elle permet de comprendre comment les supporters lensois réactivent l'imaginaire minier attaché au club, alors même que les cadres du travail et de la vie minière perdent peu à peu de leur réalité.

L'argument que mettent en avant ici les supporters est que le comportement d'une vedette comme Johan Cruijiff serait incompatible avec les valeurs d'une "équipe de copains", comme avec un esprit minier valorisant avant tout le travail, le courage et le sens du collectif. Ce genre de discours est effectivement déjà présent lorsque le RCL en tant que club des Mines est à son apogée, entre la fin des années 1940 et le début des années 1960. Mais il relève en partie d'une construction, à laquelle les supporters adhèrent d'ailleurs de manière très variable. Refuser le "culte des vedettes" est aussi pour les dirigeants miniers du RCL une manière de faire nécessité vertu, étant donné qu'ils n'ont guère les moyens financiers de recruter les vedettes en question. Cela n'a rien d'une loi éternelle (le RCL des années 1930 y sacrifiait peu) et cela n'empêche pas les spectateurs d'apprécier les performances individuelles, comme celles de l'Antillais Xercès Louis, qui fait les beaux jours du club dans les années 1950.

En 1973, la valorisation d'une équipe modeste, composée surtout de "gars du coin", répond à des raisons similaires : la municipalité de Lens qui est devenue, après les Houillères, le grand appui du club, n'a, pas plus que l'entreprise, les moyens de faire appel à des grandes "stars" internationales. Ce handicap est, là encore, transformé en atout. L'une des spécificités de l'ancien "club des Houillères" est réemployée pour identifier le RCL dans le nouveau monde du football : le Racing est placé du côté des clubs souvent dominés sur le plan économique mais porteurs des "vraies" valeurs du football. On voit aussi ici à quel point cette identification sert au rassemblement sur le plan local. Le RCL évoque à sa manière la lutte entre le peuple, les "petits" et les "gros" capitalistes, faisant revivre une opposition prégnante à gauche et plus encore dans le bassin minier. Il constitue ainsi le représentant valorisant d'une population à qui il resterait au moins son intégrité et sa jeunesse face aux difficultés nées de la crise industrielle.

Marion Fontaine

Transcription

Journaliste
Eh oui,Kopa n’est pas devenu Lensois et tout le destin du Racing en fût sans doute changé. Mais à Lens, on ne regrette rien, les grandes vedettes, on les forme, on ne court pas après, même s’il s’agit de Cruyff.
Intervenant 2
Je crois qu’on n’accepterait pas de prendre Johan Cruyff ou toute autre vedette demain dans l’équipe de Lens, parce que Lens avant tout, comme on l’a dit tout à l’heure, c’est une équipe de copains. Et une équipe de copains qui s’entraident sur un terrain, qui va, comme on dit chez nous, au charbon, qui se bat de la première à la dernière minute ; où chacun fait son boulot, même, aide le copain s’il est en difficulté. Je crois qu’un garçon comme Cruyff, malgré toute sa valeur et toute sa classe, ne cadrerait pas dans l’esprit du club. C’est très, très important ici à Lens où nous avons un public fait d’ouvriers qui ne comprend pas le culte de la vedette.