Grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais

21 février 1984
01m 46s
Réf. 00120

Notice

Résumé :

Reportage à Oignies sur la grève des mineurs inquiets pour leur avenir après l'annonce de suppression d'emplois. Quatre délégués de la CGT sont interrogés à propos de la"relance" éventuelle et des promesses non tenues. Interview d'un patron de café dont l'activité est liée à celle de la mine.

Date de diffusion :
21 février 1984
Source :

Éclairage

Un peu plus de deux ans après l'arrivée de la gauche au pouvoir, la relance de la production charbonnière promise par François Mitterrand en 1981 n'est plus d'actualité. De fait, en 1983, "à la suite des enseignements tirés par la Commission régionale d'évaluation des ressources du bassin du Nord-Pas-de-Calais et du maintien à un niveau trop élevé du prix du charbon national, le gouvernement décide de reprendre le chemin, dont il s'était provisoirement écarté, de la récession" (1). En désaccord, le communiste Georges Valbon démissionne le 14 novembre de la présidence des Charbonnages de France, en soutenant que "ces nouvelles orientations et les moyens réduits donnés à l'entreprise ne peuvent conduire qu'à la programmation du déclin de la production nationale, à la fermeture de puits qui auraient pu et dû poursuivre leur activité, à la diminution des emplois de mineurs, à l'aggravation de la situation économique des bassins". A la veille de son départ, le 13 novembre, les "mineurs de charbon s'étaient engagés dans trois journées d'action pour la défense de l'existence des bassins, de l'avenir de la profession... " (2) Puis, à la mi-décembre, les organisations syndicales du sous-sol élaborent dans l'unité une plate-forme revendicative commune sur cette thématique. Les mobilisations pour éviter la fin programmée de l'exploitation sont en passe de se multiplier.

Au cours des derniers jours de février 1984, un arrêt de travail de 48 heures, bien suivi dans le Nord-Pas-de-Calais, est déclenché. Le reportage diffusé aux actualités du 21 février fait ressortir, face à l'urgence de la situation, le caractère unitaire de l'action. Le piquet de grève, interrogé derrière les grilles de l'entrée de la fosse 9 sise à Oignies, est lui-même volontiers œcuménique : parmi les mineurs auxquels est tendu le micro, l'un porte le badge de la CGT, un autre celui de FO, un dernier celui de la CFDT. Des propos tenus par ces syndicalistes ressort, outre le refus de la fermeture de leur lieu de production, la déception à l'égard du champ politique. Le rappel des promesses faites en 1981-1982 et jugées non tenues est ainsi vivement souligné, non sans amertume.

La lutte des "gueules noires" est soutenue par la population, notamment par la solidarité des commerçants, dont la prospérité de l'activité est volontiers identifiée au maintien de l'emploi dans le secteur des charbonnages. Le patron de café interrogé ne cache d'ailleurs pas son inquiétude, d'autant plus prégnante que son établissement fait face au site d'exploitation. Au fond, on retrouve là le soutien traditionnel et récurrent apporté à leurs mineurs par les habitants d'un bassin bercé par la culture du sous-sol et qui, au fil du temps, n'ont cessé d'être à leurs côtés, notamment lors des grands conflits sociaux qui ont émaillé leur histoire.

Pour autant, tout cela ne suffit pas à empêcher la poursuite d'un déclin amorcé depuis un quart de siècle. Et de fait, peu après ces journées de lutte de février 1984, un nouveau plan de récession prévoyant le maintien des seuls sièges rentables est dévoilé. Le 2 mars, les mesures gouvernementales sont en effet annoncées au Conseil d'administration des Charbonnages, place de la République à Paris, où plusieurs milliers de mineurs sont rassemblés à cette occasion. Le même mois, toujours dans l'union sacrée syndicale, l'ensemble des Fédérations de mineurs appelle "à tout mettre en œuvre pour faire échec, puits par puits, service par service, aux décisions de récession du gouvernement et des Charbonnages". La détermination affichée n'empêche pas la fin de l'exploitation du charbon dans le Nord-Pas-de-Calais le 21 décembre 1990 : les mineurs de la fosse 9 de Oignies remontent alors l'ultime gaillette.

(1) Diana Cooper-Richet, Le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Perrin, 2002, p. 324.

(2) Jean-Claude Poitou, Nous les mineurs, Paris, Messidor, 1989, p. 194.

Stéphane Sirot

Transcription

Laurent Sauerwein
Oignies, dans le Pas-de-Calais, une des nombreuses petites villes du bassin minier. Ce matin, à la fosse 9, selon les syndicats, la grève était suivie à 98%, un peu plus qu’hier. Un piquet de grève parmi d’autres, tous les syndicats sont là, CFDT, CGT et FO, la CGC et la CFTC participent aussi au mouvement, un sentiment d’inquiétude et de déception.
Intervenant 1
Ben, il y a pire, il y a pire, mais d’après les dires et d’après les dernières déclarations du gouvernement, quand même pour nous, c’est 1988 la fin et on ne peut pas accepter ça !
Laurent Sauerwein
Encore quatre ans et puis c’est fini !
Intervenant 1
C’est ça, exactement ! Ce n’est pas ce que le gouvernement avait promis en 81 !
Laurent Sauerwein
Il y a deux ans, on parlait de relance. Vous y avez cru ?
Intervenant 2
Moi, je n’y ai pas beaucoup cru quand il l’a dit, hein ! Moi, je n’y ai pas beaucoup cru à la relance !
Intervenant 3
Comme on a commencé à faire de l’embauchage et tout ça, on l’a cru, oui. Et maintenant, je vois que le gouvernement, il ne tient plus ses promesses.
Intervenant 4
Un chômeur avec cinq gosses, et bien, qu’est-ce qu’il faut faire !
Intervenant 5
Ah ben…
Intervenant 4
Cinq gosses, je te dis franchement, j’ai cinq gosses, qu’est-ce que je vais faire ?
Intervenant 3
On nous promet, on nous promet et puis il n’y a rien qui se fait. On voit que les mines ferment et puis il n’y a pas d’industrie qui s’installe, il n’y a pas d’usine qui s’installe, il n’y a personne qui veut s’installer. Alors, les jeunes, ils partent, ils n’ont pas de travail, le chômage, il remonte de plus en plus. Il n’y a pas d’avenir pour nos enfants ici.
Laurent Sauerwein
Comme d’autres, le patron du petit café d’en face craint les retombées d’une éventuelle fermeture de la mine. Vous êtes inquiet pour l’avenir ?
Intervenant 6
Et bien oui, moi, s’il n’y a plus de mineurs, si les mines elles ferment, je peux fermer avec et partir hein !
Laurent Sauerwein
Tel était le climat ce matin à Oignies, le mouvement était très suivi aussi dans les autres bassins de la région. Cet après-midi, l’intersyndical se réunit à Lens pour décider de la suite.