La Première Guerre mondiale à Lens

26 avril 1970
05m 40s
Réf. 00314

Notice

Résumé :

D'anciens mineurs, dont Augustin Viseux, président national des médaillés des mines, évoquent les destructions de la Première Guerre mondiale.

Type de média :
Date de diffusion :
26 avril 1970
Source :

Éclairage

Le Nord-Pas-de-Calais est sans doute la région française la plus marquée par les guerres, et plus encore par la Première que par la Deuxième Guerre mondiale. Or l'ossuaire de Notre-Dame de Lorette, et les tranchées de Vimy ne sont qu'à quelques kilomètres de la capitale du bassin minier, Lens. Envahie par les Allemands début octobre 1914, la ville vécut pendant plus de trois ans au rythme d'un front toujours proche et du fracas des combats. Vidée de ses habitants, pratiquement rasée, Lens prit place au rang des villes martyres comme Reims ou Arras. Dans cet extrait, des mineurs, enfants à l'époque, évoquent avec une gaîté un peu forcée comment une population terrée dans les caves résista aux privations. Pourtant, l'occupation "boche" fut d'une grande brutalité : exil de la moitié de la population dès le début de la guerre, exactions nombreuses, amendes et contributions financières répétées, couvre-feu draconien et finalement déportation des quelques milliers d'habitants qui restaient encore en mars et avril 1917. La ville était alors pilonnée quotidiennement par l'artillerie anglaise. Mais les pires dégâts avaient déjà été commis par l'occupant. Dès 1918, Émile Basly, le député-maire de la ville, voulut témoigner dans Le martyre de Lens (1). Trois années de captivité de ce que fut "l'assassinat de la mine" : après avoir laissé mourir de faim les 300 chevaux du fond en interdisant l'accès aux puits, les Prussiens complétèrent ainsi "leur œuvre satanique". En effet, "dans les magasins, s'alignaient les bennes, wagonnets servant au transport du charbon. Les soldats s'en emparèrent, les précipitèrent dans les vastes orifices. La mine cria, gémit avec de grandes plaintes métalliques, mais elle vivait toujours (...). Alors les assassins revinrent à la charge, s'acharnèrent sur leur victime. La mine gisait sous leurs lourdes bottes, étranglée, aveuglée ; cette fois, ils la noyèrent. A coup de grenades lancées dans les cuvelages, ils inondèrent les galeries, les puits d'une même fosse, et lentement l'eau monta, monta. Toute résistance était devenue impossible, la mine envahie finit par se rendre, par mourir. En quelques heures, le labeur de plusieurs générations avait été anéanti." Le coup fut rude en effet sur le plan économique, alors qu'à la veille de la guerre, la compagnie de Lens était sur le point de se hisser parmi les grands de l'industrie lourde avec la création d'une usine sidérurgique, qui n'entra jamais en production. Surtout, on perçoit ici l'intense attachement à la mine autant qu'aux mineurs chez le leader socialiste du bassin, qui évacua sa ville vers la Belgique avec le dernier convoi, sous les obus, le 10 avril 1917. De même, son voisin, député-maire de Liévin, Arthur Lamendin, resta-t-il le plus longtemps possible sur place avant de gagner Paris par la Suisse fin 1916 – sa santé définitivement compromise. Forgée dans une identité minière profondément ressentie, l'union sacrée qui avait déjà réuni dans l'épreuve le notable socialiste et l'agent général de la compagnie de Lens, Élie Reumaux, se renforça encore lorsque tous deux rentrèrent dans leur ville en décombres en 1918, comme le firent un bon nombre de mineurs partis entre temps dans les mines du centre et du sud de la France et qui revinrent déblayer les ruines dans des conditions proches du dénuement. La Première Guerre révéla ainsi que pour tout un peuple, soudé autour de ses élites, la mine était devenue une patrie.

(1) Émile Basly, Le martyre de Lens, trois années de captivité, Plon, 1918.

Joël Michel

Transcription

Auguste Mégueulle
Je me souviens en 1914 lorsqu’il y avait les allemands qui sont rentrés à Lens, on a été obligé, tous, de descendre à la cave, de laisser les portes ouvertes pour que les allemands puissent loger leurs troupes en haut et en bas. Et les allemands, ils ont commencé à prendre un point de repère. Ils ont pris la cheminée dans la fosse 9. Il y avait une échelle et puis tout en haut avec leurs lunettes d’approche, ils regardaient bien Lorette mais ça n’a pas duré longtemps. Peut-être trois, quatre jours après, on a été ramasser des briques, de la cheminée du 9 dans la ville de Lens. La cheminée, elle a été abattue. Et à ce moment là, les allemands, ils avaient mis un gros canon dans le carreau de fosse et puis ils avaient mis un canon près du cimetière dans le petit parc qu’il y a là. Et ce canon là, ils l’ont changé trois fois, je l’ai vu trois fois, trois fois qu’il a sauté et à chaque fois qu’il sautait, on n’avait pas le droit de sortir parce que c’était machine kaputt. Et les allemands, tous les jours, le soir, à partir de 4 heures, on n’avait plus le droit de sortir, du tout. Et puis un beau jour, il y avait moi, on jouait à cache-cache. Alors moi, quatre à quatre, je monte en haut, j’arrivais à 7 ans, qu’est-ce que je vois, un tas de cadavres. Alors l’autre, il me suivait derrière, je pensais réellement que c’était un allemand qui montait parce qu’à ce moment là, on aurait eu, on passait, parce qu’à partir de 4 heures le soir, on n’avait plus le droit d’être dans les rues. On recevait des obus, on nous laissait 2 heures par jour, je crois. Pour les jeunes, on remontait un peu en haut de la cave pour prendre un peu d’air, car malheureusement les anglais aussi bien les français, ils tiraient sur le 9 comme sur Lens, partout !
Augustin Viseux
On en profitait de ces 2 heures-là, comme on a été dénicher le pinard dans la maison du docteur qui était enterré et c’est une maison de [inaudible]. C’était le Kommandantur. Et ben, ils ont trouvé moyen les grands hein, François, Laurent, mon frère, Flamand, tout ça, d’aller chercher des bouteilles de pinard. Les boches sont arrivés tout de suite pour les faucher mais toutes les caves étaient percées, c’est fini, ils n’ont rien trouvé. Ça disparaissait en vitesse, les bonnes femmes, les gosses, tout le monde faisait la chaîne, hein.
Auguste Mégueulle
Oui, et là, on a évacué le premier février 1915, on est parti tous dans le Nord, on a abandonné Lens. Et malheureusement, on n’a pas été heureux avec eux mais quand on nous a mis les anglais à Lorette, on n’a pas été beaucoup plus heureux. Parce que là, ils n’avaient pas de parents, là, on bombardait plus souvent et on avait les obus là bas.
Augustin Viseux
Ce qui avait de plus marrant aussi, c’était le tchio train qui passait, qui partait de Lens, qui allait jusqu’à Angres ; et ils amenaient les sacs à terre et les sacs, c’était fait avec des étoffes qu’ils avaient dû, ils avaient pillé à Lille tout ça. Alors, les femmes, lumière éteinte, défense de sortir, il y avait la sentinelle baïonnette au canon, les femmes bondissaient sur les tas de sacs qu’il y avait et pour nous faire des pantalons, nous faire un paletot. Moi, je me souviens, j'ai porté longtemps un paletot, le corps il est d’une couleur et puis les manches étaient d’une autre couleur parce que il y avait les échanges. Les bonnes femmes essayaient d’en retrouver chacune un sac correspondant alors on ajustait ça comme on pouvait quoi. Les pauvres femmes, elles se débrouillaient parce que c’était la guerre, il n’y avait pas d’aide mais on usait encore un petit peu plus que d’habitude hein. Oui, il y avait des bottes aussi. Enfin, nous autres après, on est parti du Nord, on est parti à Carmaux. Mon père a été là bas mineur à Carmaux et puis après on est revenu, nous autres au mois de mars 1918. Ben, ce n’était pas gai hein. Comme disait Théophile tout à l’heure, et ben y avait que des [oïettes] à midi. Le train, il passait sur le pont que vous avez vu dans le journal ces temps derniers, il marchait au ralenti, alors, tout ce qu’on avait, il y avait une malle, il y avait un bois de lit, un matelas et mon père, il avait ses outils. Il avait un pic, une pelle, une hache, hein, et puis on avait quelques valises. Mon jeune frère, il avait 6 mois, André, mon frère aîné, il avait 12 ans, hein, moi j’avais 9 ans, et allait déblayer les briques pour pousser l'brouette. En arrivant au numéro 9, on a trouvé une cave, mon père, il a pris s'n hache, il est allé chercher une porte, il a fait un poussard, il a monté le plumard, puis on a couché à quatre à travers du lit. Et ben, malgré la, il y avait des rats, ben malgré ça, au mois de mars il faisait un temps comme aujourd’hui hein. Malgré ça, et ben, mon père et ma mère, ils chantaient encore. Mon père, il faisait les tyroliennes hein et le lendemain matin, il a mis deux tôles et puis ma mère a langé mon jeune frère de 6 mois, elle l’a allaité, on a fait du café, le peu de ravitaillement sur quatre briques et puis des bouts de bois que je brûlais ; et puis allez, en route comme ça en attendant de… Ben, on ne se plaignait pas, mes camarades à côté, ils ne sont pas logés à meilleure enseigne que nous, tout le monde était là comme ça.
Intervenant 1
Ben voilà.
Intervenant 2
Le grand luxe était les demi-lunes.
Augustin Viseux
Ouais, ben si, il est revenu, il a juste en demi-lune, à ce moment.
Intervenant 2
Un privilégié !
Augustin Viseux
Il n’y avait plus de sous et le ravitaillement coûtait un prix fou et il a bien fallu que les hommes, ils se remettent au boulot, aller travailler au déblaiement pour 14 Francs par jour hein ! Et là, ceux qui gagnaient le plus, c’étaient les artificiers hein, mais nous autre, faisions bien l’artificier mais n’avons pas l'droit de l'dire.
bruit
(bruit)