Opération ville morte à Lens

11 octobre 1978
02m 45s
Réf. 00117

Notice

Résumé :

La journée d'action "SOS la région minière se meurt" organisée par le comité d'expansion économique de Lens a été marquée par la fermeture des magasins, des mairies et de plusieurs entreprises. Le but était d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur l'emploi dans cette partie du Bassin minier. Les organisateurs dont les trois députés socialistes de Lens, Liévin, Béthune sont satisfaits de cette journée. Interviewé devant un gros ballon dirigeable sur lequel est inscrit "SOS, LA RÉGION", André Delelis, député-maire de Lens, souhaite que "les promesses faites devant les 42 cercueils de la catastrophe de Liévin, soient tenues". Malgré le refus de la CGT, la CFDT, la FEN et du PCF de s'associer à cette journée, il garde espoir que l'unanimité se fera.

Date de diffusion :
11 octobre 1978
Source :

Éclairage

Le contexte est sombre dans le Pas-de-Calais quand a lieu la mobilisation du 11 octobre 1978 sur le thème “SOS la région minière se meurt !”.

De Béthune à Lens, en passant par Bruay, le mouvement de fermeture des puits a commencé dès les années 1950 et s'est accéléré au rythme des plans de récession. Certes, le choc pétrolier de 1973 et les annonces faites par le gouvernement Chirac de ralentissement de la baisse de la production prévue par les Charbonnages, suscitent un espoir. Surtout qu'après la catastrophe de Liévin en décembre 1974, le premier ministre a assuré la région que “tout sera fait pour qu'elle-même et ses enfants puissent regarder l'avenir avec confiance”. Mais les illusions sont vite levées : la demande ne suffit pas à enrayer le déclin du charbon, son coût croît et le choix du nucléaire est accentué. La perspective est à l'extinction des puits du Nord-Pas-de-Calais à l'horizon du milieu des années 1980. Cela est lourd de sens pour un territoire dépendant d'une mono-industrie fondée sur l'extraction et le traitement du charbon : l'ensemble de l'économie est donc touché, y compris le commerce. A cet égard, le taux de chômage galopant et le pouvoir d'achat en berne des plus jeunes inquiètent, tel ce garagiste : “Maintenant quand on vend une voiture, c'est le père ou la mère qui paie, c'est-à-dire les pensionnés des mines. Mais pour combien de temps encore ? Ces gens ne sont pas éternels !” (1).

Rien d'étonnant à ce que les commerçants se solidarisent de la campagne sur le thème de la reconversion industrielle lancée par les élus socialistes, dont les députés-maires de Lens André Delelis, de Liévin Henri Darras et de Béthune Jacques Mellick. En 1967, le Comité d'expansion économique de l'arrondissement de Lens, fondé en 1962, avait déjà initié une opération “villes mortes” pour sensibiliser les pouvoirs publics. La démarche est donc rééditée ce 11 octobre 1978, dans la désunion des forces de gauche et du syndicalisme, rappelée par le reportage et l'interview de Delelis. Si FO et la CFTC soutiennent l'opération, la CGT et le PCF ne s'y associent pas ; à Lens, la dispersion est encore plus nette : la CFDT et la FEN sont aussi absentes. Outre les divergences sur les modalités d'action, la période est électrique entre les opposants à la majorité de Giscard d'Estaing. Le Programme commun est rompu depuis septembre 1977, ce qui exacerbe la rivalité entre le PS et le PCF pour la prééminence à gauche. A tel point qu'en dépit de ses succès aux cantonales de 1976 et aux municipales de 1977, l'opposition échoue aux législatives de mars 1978. Cette situation a inévitablement un écho dans un bassin minier, où la gauche est quasi hégémonique.

La mobilisation paraît malgré tout rencontrer le succès auprès d'une population qui, au fond, se bat peut-être plus “pour sa survie que pour la mine” (2). Le sujet du journal télévisé insiste sur les magasins, les entreprises et les mairies fermés, telle celle de Lens et son drapeau en berne filmé en gros plan. Début décembre, L'Unité, l'hebdomadaire du PS, décrit ainsi la journée et ses suites immédiates : “tout a cessé de vivre le 11 octobre, comme dans ces cités minières de l'Ouest américain, abandonnées après épuisement des filons. 116 000 signatures ont été recueillies, puis emportées avec un cahier de doléances par un ballon jusqu'à Paris (...). Le lendemain, les élus allaient à Paris exposer cette situation au gouvernement. Le 20 octobre, cinquante élus socialistes du Nord et du Pas-de-Calais, réunis à Arras, demandaient que l'État établisse d'urgence un plan de sauvetage pour la région. Le 4 décembre, élus en tête, les gens de la région minière ont organisé un convoi de 70 voitures sur Arras où ils ont été reçus par le préfet”. Mais l'hémorragie industrielle est loin d'être contenue, en dépit des nouvelles attentes soulevées en 1981 par l'élection de François Mitterrand.

(1) L'Unité, n° 318, 8-14 décembre 1978, p. 8.

(2) Joël Michel, La mine dévoreuse d'hommes, Paris, Gallimard, 1993, p. 95.

Stéphane Sirot

Transcription

Michel Barre
La journée d’action organisée par le comité d’expansion économique de Lens a été marquée par la fermeture quasi-totale des magasins cet après-midi, ainsi que des mairies et de plusieurs entreprises. L’objectif de cette journée, SOS la région minière se meurt, était d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur les difficultés des deux arrondissements de Lens et de Béthune. A Lens par exemple, on compte 14000 chômeurs, le chiffre de 17% des salariés sans emploi a même été avancé et de nombreuses réductions d’effectifs ou fermetures d’usines sont annoncées officiellement ou non. Les responsables de cette journée, à la tête desquelles les trois députés socialistes de Lens, Liévin et Béthune se sont déclarés satisfaits de la participation populaire et confiants dans les objectifs à atteindre.
André Delelis
Ce que nous attendons de cette journée, c’est qu’il y ait une sensibilisation des pouvoirs publics. Qu’on nous écoute à Paris, qu’on nous entende pour que nous obtenions des activités nouvelles, des emplois que nous réclamons pour notre jeunesse ; et plus particulièrement d’ailleurs, nous souhaitons que soient tenues les promesses qui ont été faites devant les 42 cercueils des mineurs, victimes de la catastrophe minière de Liévin ; où le gouvernement est venu assurer cette région qu’elle pouvait regarder l’avenir avec confiance. C’est pourquoi nous voulons, à l’occasion de cette journée, rappeler aux pouvoirs publics. Et l’envoi de ce ballon n’est jamais que la transmission d’un message à la fois de nos désespoirs mais aussi de nos espérances ; car nous espérons bien qu’un jour, nous sortirons de cette situation.
Michel Barre
Pourtant, ce ballon n’était pas celui de l’union. A Lens, la CGT, la CFDT, la Fédération de l’Education Nationale et le Parti Communiste avait refusé de s’associer à cette opération. A Béthune où les actions se voulaient plus collectives, invitation des syndicats à prendre la parole aux Conseil Municipal et réunions de la Chambre de Commerce, il manquait encore la CGT et les communistes. Mais pour André Delelis, cette journée sera suivie d’autres actions.
André Delelis
Nous ferons d’autres actions. L’unanimité ne s’est pas faite mais je pense qu’elle va se faire puisque j’ai entendu Monsieur Ballanger, Président du groupe communiste à l’Assemblée Nationale annoncer la création de comités locaux comprenant des représentants des travailleurs, du patronat, des pouvoirs publics et des élus afin de régler les problèmes d’emplois. Et nous, nous sommes exactement dans les mêmes dispositions. C’est pourquoi je pense que les élus communistes et la CGT participeront aux activités futures, aux actions que nous allons mettre sur pied. Il faut l’union totale de tous ceux qui défendent les activités des travailleurs de cette région, il faut l’unanimité de toutes les forces vives, nous la réclamons de tout notre cœur !