Le paternalisme des Houillères

11 décembre 1958
47s
Réf. 00131

Notice

Résumé :

Dans cet extrait de "A la découverte des français" on explique que, dans les corons, le charbon est donné par les Houillères et que tout appartient aux Houillères, la maison, le potager. Dans ces conditions, il est impossible pour le mineur de partir.

Type de média :
Date de diffusion :
11 décembre 1958

Éclairage

"Les directeurs des Houillères veillent avec une sollicitude paternelle sur le sort de leurs ouvriers". C'est ainsi que l'ingénieur Louis Simonin décrit leur attitude dans son fameux livre sur La Vie souterraine ou les mines et les mineurs publié en 1867. L'organisation ouvrière n'est alors pas encore légale et l'État ne se soucie guère de protection sociale. Les bassins miniers, où les besoins en main-d'œuvre sont importants et le labeur dangereux, voient fleurir le paternalisme.

Cette "forme de domination" prend dans les grandes industries des atours imposés par l'environnement professionnel et les impératifs des employeurs (1). Dans les mines, logement et santé sont des priorités. Compte tenu des effets du travail sur le corps des hommes, les compagnies se préoccupent particulièrement des services médicaux. De surcroît, elles mettent couramment en place des sociétés de secours et de prévoyance qui apportent une aide en cas de maladie ou d'accident, parfois partiellement financée par le "produit des amendes", comme le dit Simonin. Mais l'action des compagnies est inégale. Quelques-unes sont renommées dans le Nord-Pas-de-Calais, telles celles de Lens ou d'Anzin, ou plus encore d'Aniche, une structure de taille moyenne apparaissant "en pointe en la matière avec, par exemple, sa consultation de nourrissons" (2). Sans doute cette absence d'homogénéité rejoint-elle l'un des traits du paternalisme minier, "anonyme"et sans "projet social" (3).

Le logement, avec son chauffage gratuit, est un autre besoin essentiel. C'est ainsi que le Nord-Pas-de-Calais se couvre de corons. Mais s'il quitte ou perd son emploi, le mineur abandonne aussi son toit et son potager. Cela demeure une réalité y compris après la nationalisation de 1946, comme le rappelle ce reportage aux accents vaguement misérabilistes. Mais cette forme de fragilité, les "gueules noires" la muent en force. Ils s'approprient ces corons qui deviennent "autant de citadelles ouvrières, de bastions communistes" ; peu à peu, ils "se sont convaincus qu'ils avaient un droit au logement et à la santé et ont perçu les œuvres sociales comme un complément du salaire dont la Sécurité sociale minière a assuré la continuité après la nationalisation"(2).

Dès les dernières décennies du XIXe siècle, les syndicats ont lutté pour faire voter des lois susceptibles de mieux les protéger, tout faisant reculer le contrôle patronal (lois de 1894 et de 1914 sur les Caisses de secours et de retraite). Mais c'est la nationalisation et le Statut qui modifient le plus radicalement la donne. D'abord, les questions sociales ne sont plus du ressort de l'initiative privée. Ensuite, les conditions sont unifiées. Enfin, la vie du mineur, tels ses avantages en nature, s'en trouve améliorée. Ainsi le logement est partout un droit complété par un accès gratuit au chauffage dont la qualité est améliorée : les Houillères fournissaient du "poussier", un combustible de piètre qualité ; désormais, le mineur se voit attribuer un quart de "gaillettes".

Pour les mineurs et leurs organisations, les années de l'après-guerre installent donc un progrès que ne fait guère ressortir le document, où la dépendance de cette famille est mise en exergue. Il n'empêche qu'encore au moment de la fermeture des puits, les mineurs s'attachent à conserver le complément financier que leur offre leurs avantages en nature : ils peuvent les racheter (les convertir en un capital) et les mineurs marocains luttent pour acquérir cette possibilité.

(1) Gérard Noiriel, "Du "patronage" au "paternalisme" : la restructuration des formes de domination de la main-d'œuvre ouvrière dans l'industrie métallurgique française", Le Mouvement social, n° 144, juillet-septembre 1988, p. 17-35.

(2) Joël Michel, La mine. Une histoire européenne, Documentation photographique n° 8010, août 1999, Paris, La Documentation française, p. 36.

(3) Id., La mine dévoreuse d'hommes, Paris, Gallimard, 1993, p. 52.

Stéphane Sirot

Transcription

(Bruit)
Journaliste
Ainsi, le fourneau reste toujours allumé du matin au soir chez les Flahaut, et il consomme beaucoup de charbon. Ce sont les Houillères qui distribuent à chaque foyer une ration régulière de bois et de charbon. Tout ce qu’on possède vient des Houillères. La rue appartient aux Houillère, la maison appartient aux Houillères, le jardin appartient aux Houillères. Les deux arres de champs que cultivent les Flahaut appartiennent aux Houillères. Changer de métier signifierait pour les Flahaut, renoncer à leur logement et à leur jardin, quitter leur quartier, leurs amis. On comprend qu’ils y regardent à deux fois.