La collaboration

02 décembre 1981
02m 12s
Réf. 00140

Notice

Résumé :

Témoignages sur la collaboration dans le Bassin minier pendant la Seconde Guerre mondiale. Louis Lethien explique que grâce à la Résistance, les tentatives de collaboration ont été limitées. Les allemands tentaient d'organiser des réunions avec des mineurs polonais originaires d'Allemagne (les Volksdeutsche). Jean-Baptiste Ooghe souligne le tournant dans les consciences de la défaite allemande de Stalingrad.

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Date de diffusion :
02 décembre 1981
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Éclairage

Les souvenirs de ces mineurs résistants sont formels : dans le Nord-Pas-de-Calais occupé, la collaboration a été marginale. D'autres l'ont confirmé, tel Jean Catrice, figure de l'engagement des chrétiens contre l'occupant et leader du MRP naissant : “on n'insistera jamais assez (...) pour dire et répéter que, dans cette région du Nord, qui a été plus résistante que n'importe laquelle, en tout cas la moins collaboratrice de toute la France, il y avait une quasi-unanimité des Français tournés vers Londres” (1).

Plusieurs raisons l'expliquent. A commencer sans doute par le souvenir de la Grande Guerre. La région a déjà vécu une occupation allemande, avec son cortège de privations, d'exactions et de destructions massives. Cela, ajouté à une répression qui montre rapidement son implacable brutalité, ne conduit guère à sympathiser avec l'ennemi. La présence précoce et active de la Résistance dissuade également de collaborer. A cet égard, les propos tenus devant la caméra s'accordent et sont sans ambiguïté : ceux qui posent un pied dans la collaboration s'exposent aux représailles des résistants. En somme, la collaboration la plus franche, militaire par exemple, est très marginale. Les Allemands cherchent bien, comme le disent les témoignages, à s'adjoindre des informateurs, à recruter du côté des étrangers qui, de fait, représentent près d'un cinquième des ouvriers ayant accepté de prêter main forte d'une manière ou d'une autre aux Allemands. Mais le monde du travail, particulièrement dans la mine, est bien davantage engagé dans la Résistance.

Des formes et des actes de collaboration sont évidemment observables dans le Nord-Pas-de-Calais comme ailleurs. La collaboration de l'appareil d'État s'y est déployée au moins par l'intermédiaire des forces de l'ordre, placées sous l'autorité du gouvernement de Vichy et qui interviennent, par exemple, lors des mobilisations du sous-sol. Ainsi pendant la grève des mineurs de mai-juin 1941, la police française participe à la répression, fouille les corons au côté de son homologue allemande.

Côté syndical, même si cette situation est encore plus prégnante dans la ”zone libre” administrée par Vichy, une partie importante des responsables de la puissante Fédération CGT du Sous-Sol se sont inscrits dans le syndicalisme légal et les principes de la Charte du travail de 1941, plutôt que de faire le choix du militantisme clandestin.

Une forme de collaboration économique s'est par ailleurs installée entre l'occupant et les sociétés houillères. Cela va parfois même au-delà, comme lors de la grève de 1941, où des listes de meneurs sont livrées à l'ennemi. Plus durablement, les directions s'emploient, en alourdissant le rythme de travail, à faire en sorte que le niveau de la production satisfasse l'occupant, sous l'œil d'une maîtrise retrouvant la plénitude de l'autorité qu'elle avait dû en partie concéder au temps du Front populaire. A la Libération, porions et ingénieurs subissent de la part de certains mineurs une colère accumulée pendant plus de quatre ans d'occupation. François-Louis Closon, le Commissaire de la République nommé par de Gaulle et qui arrive dans le Nord-Pas-de-Calais le 6 septembre 1944 décrit ainsi la situation : “La mine à ce moment-là est en situation de violence ; on assassinait encore les ingénieurs au fond de la mine (...) j'ai beaucoup mis de gens dans les camps d'internement, la meilleure façon d'éviter les troubles”. Pour les protéger, il faut donc parfois les enfermer.

Arrive alors le temps de l'épuration qui, pour certains, est restée trop timorée et, pour d'autres a au contraire permis d'éviter des injustices. Quoi qu'il en soit, la suspension des directions en octobre 1944 et la création des Houillères Nationales du Nord et du Pas-de-Calais en décembre, ôtant la gestion des exploitations aux compagnies privées pour la transférer à l'État, contribuent à calmer les esprits.

(1) La Libération du Nord et du Pas-de-Calais, n° spécial de La revue du Nord, juillet-septembre 1975, p. 307.

Stéphane Sirot

Transcription

Jacques Renard
Et comment la collaboration se déroulait dans le bassin minier ?
Louis Lethien
C’est-à-dire que s’il n’y avait pas une résistance, on aurait sombré dans la collaboration complète. C’est surtout ça le rôle de la Résistance. Et je vais vous citer un exemple comme quoi la résistance a freiné la collaboration. Il y a eu chez Danel, une réunion de Volksdeutsche. Je ne dirais pas le nom de celui qui a pris la parole. La réunion s’est terminée à 11 heures je crois, 10 heures et demie, 11 heures. Le lendemain, à 5 heures du matin, il a été tué en allant travailler à la fosse 6, celui qui avait pris la parole dans la réunion. Il n’a plus jamais eu de réunion deVolksdeutsches ; Et plus personne qui a voulu prendre la parole, vous voyez. C’est un mouvement qui a été stoppé net. Et ça a donné à réfléchir aussi à ceux qui…, c’est ça. Il y a des commissaires qui voulaient faire trop de zèle. Il y en avait eu quelques-uns d’abattus quand même. Et les autres, ils réfléchissaient quand même.
Jacques Renard
Les Volksdeutsche, c’est quoi ?
Louis Lethien
C’était des Allemands qui faisaient de la propagande, donc il y a eu certains Polonais, ils avaient travaillé, des Polonais, oui. C’était une espèce de rattachement à la mère patrie, vous savez. Bon oui, ils n’avaient pas tellement d’avantages, ils payaient une carte d’identité moins chère, peut-être un peu de ravitaillement. Mais c’était des antennes que les Allemands se réservaient dans les courons, vous comprenez ? Et nous autres, c'était assez ennuyeux, parce que, un policier, il a un uniforme, un Allemand, il a un uniforme mais un volksdeutsche en civil, c'était ennuyeux pour nous. C’était ennuyeux pour nous.
Jean Baptiste Ooghe
Et puis ce qui a mis un arrêt aussi à la fin de la collaboration, et un changement d’attitude. Parce que beaucoup ont joué la carte allemande. D’autres ont joué la carte anglaise ou la carte russe. Enfin bref, je reviens encore sur cette victoire de Stalingrad qui a marqué le tournant de la guerre, et qui a marqué aussi le tournant des gens. Les gens ont pris conscience que l’armée hitlérienne n’était pas invincible.