Rapport des experts des mines sur la catastrophe minière de Liévin

30 octobre 1975
03m 51s
Réf. 00152

Notice

Résumé :

Rappel sur des images d'archives des événements de la catastrophe de Liévin le 27 décembre 1974. Une enquête a été ouverte dans laquelle les syndicats CGT, CFDT et FO se sont portés partie civile. On a attendu le rapport d'enquête du service des mines pendant 10 mois, entre temps le juge Pascal a été dessaisi. Premières réactions syndicales à ce rapport dont celle de Jean Pruvost, du Syndicat des Mineurs CFDT : "la présence de grisou dans le sang prouve qu'il y était présent". Claude Bouin, Secrétaire de l'Union Syndicale Mineurs CGT, considère que le service des mines est juge et partie et ne propose pas de suite judiciaire.

Date de diffusion :
30 octobre 1975
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Moins d'un an après les tragiques événements de Liévin, l'affaire connaît ses premiers rebondissements avec la présentation des rapports d'expertise.

A la fin octobre 1975, la région Nord-Pas-de-Calais porte encore le deuil des 42 mineurs de fond qui ont péri à la suite du coup de poussière qui dévaste une galerie de la fosse 3 dite Saint-Amé du Siège 19 du groupe de Lens-Liévin, le 27 décembre 1974. Les premières minutes du reportage proposent d'ailleurs un rappel des faits sur fond d'images d'archives : la galerie était en préparation en vue d'une exploitation à venir ; la nouvelle des décès dévaste des familles entières ; une chapelle ardente est dressée à l'hôtel de ville de Liévin ; une double enquête, technique et judiciaire, est diligentée alors que le juge d'instruction Pascal est bientôt dessaisi en raison de vices de procédure invoqués par les avocats des Houillères. Il est vrai que ce "petit juge" était considéré comme (trop) partisan depuis sa conduite de l'affaire de Bruay-en-Artois, deux ans auparavant ; dans l'affaire de Liévin, il n'hésite pas à donner de sa personne (on le voit, couvert de poussière de charbon, de retour d'une inspection sur lieux mêmes de la catastrophe) et décide, le 5 juin 1975, d'inculper le directeur du siège 19 dont dépend la fosse 3bis, du motif d'homicide et blessures involontaires.

Sur le fond, les différentes parties s'opposent par rapports interposés : on en compte trois, émanant de la compagnie exploitante, des syndicats (FO, CGT et CFTD) qui se sont portés partie civile et enfin du Service des Mines, au nom du ministère de l'Industrie. C'est d'ailleurs là que le bât blesse dès lors que les Charbonnages de France, entreprise publique née de la nationalisation des compagnies minières privées en 1946, se trouve sous la tutelle de ce même ministère. Aux yeux du dernier syndicaliste interrogé, le Service des Mines est "juge et partie" et il en veut pour preuve qu'aucune suite judiciaire n'est préconisée, exonérant de fait la compagnie exploitante.

Si l'on en croit les deux derniers témoins, les charges sont pourtant accablantes : en amont de la catastrophe, on note la suppression de la vérification du site par un gazier, l'absence de grisoumétrie ou encore l'installation d'une bascule d'aérage sans autorisation ; au moment des faits, la présence de gaz semble avérée puisque les autopsies révèlent des taux particulièrement importants dans le sang, les poumons et le foie des mineurs décédés ; enfin, les arguties sur l'interprétation du terme "exploitation" donnent une image bien négative de la direction qui ne semble pas décidée à reconnaître sa responsabilité, au moins partielle, dans la catastrophe.

Reste à attendre que toute la lumière soit faite, comme l'avait solennellement promis le premier ministre Jacques Chirac lors des obsèques des victimes, et en somme que le procès se tienne.

Finalement, en 1978 la chambre d'accusation de Douai renvoit l'ingénieur responsable du siège, Augustin Coquidé, devant la chambre correctionnelle pour "maladresse, inattention et négligence". Il faudra attendre le jugement définitif encore trois ans, en 1981.

Matthieu de Oliveira

Transcription

Journaliste
27 décembre 1974, le monde de la mine est de nouveau en deuil. A Liévin, une explosion soudaine, alors qu’une équipe travaille à la fosse 3 de Lens, les sauveteurs remonteront 42 cadavres à la surface.
Intervenant 1
C’est un chantier uniquement en préparation pour préparer une taille. Il n’y avait pas d’exploitation dans ce chantier. Et je ne peux pas actuellement dire quelle est la cause de cette catastrophe.
Journaliste
Une enquête est ouverte, les syndicats force ouvrière CGT et CFDT se constituent partie civile. Les rapports vont se succéder, ceux des experts désignés par le juge d’instruction, le juge Pascal, ceux des syndicats. Et on attend le rapport du service des mines.
Intervenant 2
Nous représentons le service des mines. Et je voulais vous confirmer que notre enquête serait minutieuse comme elle l’est bien naturellement dans tous les cas d’accident ; et que l’enquête sera certainement longue, et que, effectivement, les résultats des travaux du CERCHAR sont très importants pour la faire progresser.
Journaliste
Il faut près de 10 mois pour que les experts des services des mines déposent leurs conclusions sur le bureau du conseiller Paul ; car entre temps, le juge Pascal a été dessaisi de l’affaire. Sur ce rapport très attendu, voici les premières réactions.
Jean Pruvost
Nous continuons d’estimer que la tournée du gazier était insuffisante, que la responsabilité qu’a pris la direction de supprimer le travail d’un gazier n’a pas permis une surveillance vraiment approfondie des chantiers. Nous continuons également de prétendre que en ce qui concerne l’installation de la télé-grisoumétrie, là aussi, il n’y avait pas de télé-grisoumétrie. Et nous pensons que dans un quartier où l’on faisait travailler 50 ouvriers, il était nécessaire de prendre les mêmes précautions que pour l’exploitation. Il y a d’ailleurs là un litige par rapport au mot exploitation, puisque la Direction et les services des mines considèrent qu’il y a exploitation quand il y a production. Nous disions, il y avait 50 ouvriers qui étaient en préparatoire pour l’exploitation et qu’il était absolument indispensable de mettre en place cette télé-grisoumétrie. En ce qui concerne également les mineurs du VC1 qui ont été autopsiés ; nous continuons de dire que la présence du grisou relevé dans le sang est bien une preuve qu’il y avait du grisou dans ce quartier de Six Sillons, grisou bien avant l’explosion. On pourrait également dire ; que le fait pour la direction des Houillères d’avoir installé une culbute d’aérage sans avoir l’autorisation du service des mines est également pour nous très grave. Voilà en gros, si vous voulez, les premières constatations que nous pouvons faire ; les premières critiques que nous pouvons faire sur ce très volumineux dossier que nous allons maintenant étudier dans le mois qui vient.
Claude Bouin
Nous considérons que le Service des mines est un organisme dépendant du ministère de l’Industrie ; qui est lui-même disons le ministère de tutelle des charbonnages de France ; et qu’à ce titre, le service des mines, dans cette affaire, est juge et partie. D’ailleurs, le code de procédure pénale prévoit que le Service des mines, dans une telle catastrophe minière, peut donner son avis sur les suites judiciaires à donner. Et dans le cadre qui nous intéresse aujourd’hui, le service des mines dans ses conclusions, a d’ailleurs dit qu’il ne voyait aucune suite judiciaire à donner ; et que par conséquent, il n’en propose pas.
Journaliste
Mardi prochain, vous allez vous rendre à Matignon, qu’allez-vous dire au Premier ministre ?
Claude Bouin
Et bien oui, mardi prochain, nous allons nous rendre à Matignon voir Monsieur Chirac. Nous avons demandé une entrevue avec les familles des victimes. Nous allons demander à Monsieur Chirac de tenir ses promesses ; les promesses qu’il a faites à Liévin le jour des funérailles des 42 victimes. Face aux cercueils de nos camarades, Monsieur Chirac a déclaré qu’il était décidé à faire la lumière sur la catastrophe. Nous ne pensons pas que le rapport du service des mines contribue à faire toute la lumière sur la catastrophe.