Rétrospective de la vie et de l'œuvre du Docteur Schaffner

23 septembre 1966
04m 54s
Réf. 00161

Notice

Résumé :

A la suite de son décès, rétrospective à base d'archives de la vie et de l'œuvre du Docteur Schaffner, député-maire de Lens. Médecin, résistant, élu maire en 1947, il est est à l'origine des modernisations de la ville après la Libération et tout particulièrement celles de l'hôpital et de la maison de retraite. Il a consacré sa vie à la lutte contre la silicose. Fernand Varlet, adjoint au maire, fait l'éloge du docteur en rappelant qu'il a fait progresser la médecine au péril de sa santé.

Date de diffusion :
23 septembre 1966
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Personnalité(s) :

Éclairage

Si le décès du docteur Ernest Schaffner, député-maire de Lens, a jeté, comme le dit le commentaire, la consternation dans les corons et le pays minier. C'est que ce Strasbourgeois d'origine (1) a œuvré dès sa nomination dans le Pas-de-Calais en 1928 pour le dépistage, le traitement et la prévention de la silicose des mineurs.

La notion de "maladie professionnelle" assimilée à un "accident du travail" est reconnue en 1898, mais la loi de 1919 instituant le système de reconnaissance des pathologies liées au travail n'inscrit pas la silicose au tableau des maladies professionnelles (2). Le médecin du travail payé par l'employeur, minimise la gravité de l'infection, d'autant que la détection clinique de la silicose est difficile. Alors qu'elle est reconnue comme maladie dans plusieurs pays (3), en France, les compagnies minières freinent sa reconnaissance jusqu'en 1945. C'est dans ce contexte que le docteur Schaffner est nommé en 1928 médecin-chef des dispensaires d'hygiène sociale de la région de Lens. Il dirige alors les dispensaires antituberculeux du bassin minier du Pas-de-Calais (Lens, Hénin-Liétard, Avion, Carvin, Bully-les-Mines, Oignies, Vitry-en-Artois) et organise les services de pneumologie des sociétés de secours minières de Lens-Liévin. Alfred Maës, maire de Lens, le charge de suivre la construction de l'hôpital de Lens dont il est nommé médecin-chef en 1929. L'hôpital est inauguré le 23 octobre 1932.

Responsable du service de pneumo-phtisiologie, il se préoccupe particulièrement des méfaits de la silicose sur la santé des mineurs. Le diagnostic repose sur des radiographies thoraciques régulières. Il décrit et classe les différents cas. Le matériel médical utilisé à cette époque ne protège pas des conséquences nuisibles des manipulations radiologiques. Le docteur Schaffner est atteint dès 1934 d'une radiodermite grave qui entraîne 18 opérations chirurgicales et l'amputation de la main gauche en 1955. Malgré cela, il poursuit ses recherches et continue de soigner les mineurs silicosés. Il obtient dans ce combat une victoire avec la loi du 4 février 1946 reconnaissant la silicose comme maladie professionnelle.

En mai 1935, il est élu au conseil municipal de Lens sur la liste SFIO présentée par le député-maire Alfred Maës qui débute alors sa carrière politique.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s'engage dans la Résistance et organise le service de santé de la Résistance dans le Pas-de-Calais. En décembre 1941, il est relevé de ses fonctions de médecin-chef de l'hôpital de Lens par les autorités de Vichy. Il retrouve ce poste à la Libération et fait alors partie du Comité de Libération pour l'administration provisoire de la municipalité, dirigé par Paul Sion. En 1945, Le Parti Communiste remporte les premières élections municipales de l'après-guerre avec Auguste Lecœur mais c‘est une liste d'union MRP-SFIO conduite par Ernest Schaffner qui l'emporte aux élections d'octobre 1947. Pendant près de vingt ans, jusqu'à son décès, il s'efforce de moderniser la cité lensoise avec en particulier l'agrandissement de l'hôpital et la construction d'une maison de retraite, avec la reconstruction de l'hôtel de ville, la rénovation d'écoles et la construction du collège Condorcet, l'aménagement de quartiers comme la Résidence Sellier et la Grande Résidence. Lors de ses funérailles, le 26 septembre 1966, une foule nombreuse et recueillie lui rend hommage, dont de nombreux représentants de la corporation minière. Le Centre Hospitalier de Lens porte son nom.

(1) http://www.archivespasdecalais.fr/Anniversaires/30-avril-1901-naissance-a-Strasbourg-du-docteur-Ernest-Schaffner

(2)Paul-André Rosental, De la silicose et des ambiguïtés de la notion de "maladie professionnelle", Revue d'histoire moderne et contemporaine 1/2009, 56-1, p. 83-98.

(3) Paul-André Rosental, Jean-Claude Devinck, Une maladie sociale avec des aspects médicaux : la difficile reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle dans la France du premier XXe siècle, Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1/2009, 56-1, p. 99-126.

Aurélie David

Transcription

(Silence)
Claude Laplaud
Brutale, la nouvelle a couru dans toute la ville, dans les corons miniers jetant partout la consternation. A six heures, ce matin, le docteur Schaffner unanimement estimé, était terrassé par une crise cardiaque. Hier soir encore, il présidait une manifestation et travaillait dans son bureau de l’Hôtel de ville jusqu’à 21 heures. Alsacien de naissance, grand ami du docteur Schweitzer qui fut son professeur de philosophie ; le docteur Schaffner était âgé de 66 ans. Ce fut une grande figure de la Résistance. Elu maire de Lens en1947, le docteur Schaffner fut à l’origine de toutes les grandes réalisations municipales. Mais ce qui lui tenait le plus à cœur sans doute, c’était son Hôpital et sa maison de retraite. C’est ce qu’il nous disait le 16 Février 1965.
Ernest Schaffner
Aux voix du social, vous savez, je suis médecin. Je suis venu ici dans le Pas-de-Calais envoyé par le gouvernement pour créer justement les installations sociales et médicales des caisses de secours. Il y a 37 ans, je suis venu pour trois mois, et je suis encore là. Eh bien, j’ai quand même créé un hôpital qu’on m’avait également, c'était un des devoirs à faire. J’ai créé cet hôpital qui est maintenant un centre hospitalier, un des plus grands du Pas-de-Calais et du Nord, puisqu’il y a actuellement a 1250 lits. Et nous avons fait une maison de retraite qui est unique en France. Une maison de retraite,qui, on nous a traité de luxe, mais vous ne pensez pas que dans les dernières années de leur vie ; les gens qui n’ont jamais eu de luxe, même pas souvent le plus nécessaire ; eh bien, ils ont droit à un peu de luxe avant de mourir. Et je peux vous dire une chose, qui m’a surpris, que ces braves vieux, ces braves vieilles qui ont eu beaucoup de peines dans leur vie ; qui n’ont jamais eu de satisfaction parfaite, eh bien, ils s’adaptent au soi-disant luxe. Ils s’adaptent au beau, parce que dans chaqu'un à l’intérieur d’un homme, le plus pauvre, c’est un humain quand même, un petit peu, il sait sentir et voir ce qui est beau dans la vie.
Claude Laplaud
Le docteur Schaffner qui ne comptait que des amis, a consacré sa vie à la lutte contre la silicose, cette terrible maladie contractée par les mineurs. A la journée des houillères cette après midi à Lens, chacun évoquait sa mémoire. Eminent radiologue, il fut, lui-même, victime des rayons X. Le docteur Schaffner était une personnalité dans toute l’acception du terme. C’est son adjoint et compagnon de route, monsieur Fernand Varlet, qui nous parle du député maire de Lens, avec beaucoup d’émotions.
Fernand Varlet
Le docteur Schaffner m’honorait, je pense, de son amitié. Et vous me pardonnerez d’en parler aujourd’hui devant vous avec beaucoup d’émotions, vraiment beaucoup d’émotions. C’est une émotion, d’ailleurs partagée aujourd’hui par l’ensemble de la population et les témoignages de sympathie qui parviennent à cet hôtel de ville ; le son de tous les milieux, depuis ses amis politiques qui le pleurent, jusqu’aux plus humbles mineurs qu’il a peut-être un jour soignés ou peut-être un jour sauvés ; en passant par tous ceux qui l'avait côtoyé, qui l'avait conquis. Je crois, d’ailleurs, que le docteur Schaffner était un homme qui ne pouvait pas ne pas conquérir ceux qui l’approchaient. Ce qui a guidé sa vie, ce doit être en définitive le souci de la noblesse dans l’action. Il était né en Alsace avec le siècle, il y a 66 ans. Et il avait de cette province – qu’il chérissait et qu’il aimait tant – ramené, je crois, des vertus humaines particulièrement efficaces, en tout cas, le courage et l’obstination. Et c’est sans doute le courage qui aura guidé sa vie toute sa vie. Il s’était placé sous le signe de la noblesse de l’action. N’est-ce pas la noblesse de l’action qui lui a permis de réaliser dans le domaine médical, les progrès par exemple qu’il a fait naître dans la lutte contre la silicose ? La silicose, qui était avant lui une maladie, mais non pas une maladie professionnelle. Il a œuvré de façon telle à ce que elle devienne, à l’avantage des mineurs, une maladie professionnelle. Et c’était justice rendue aux mineurs. Et puis, il a œuvré aussi contre la silicose sur le plan médical pur. Il a fait progresser la médecine dans ce domaine. Et cela lui a valu de recevoir la médaille d’or de l’Académie de médecine, il n’y a pas si longtemps, d’ailleurs. Et pourtant, il ne faisait pas ses progrès sans péril, car il a dû subir un nombre important d’amputations. La première avait été le tournant de sa vie. S’il avait ce jour-là dit : "non, j’ai compris le sens de la souffrance que je vais endurer et je recule", il aurait reculé et il aurait été lui-même sauvé. Or, il n’a pas voulu reculer. Il a subi 17 amputations après la première. C’était, je l’avais dit, le sens de sa vie, la noblesse de l’action. Je crois que c’est toute sa définition.