Rétrospective de la crise dans les charbonnages

16 février 1984
05m 27s
Réf. 00183

Notice

Résumé :

Rétrospective à base d'archives de la crise dans les charbonnages depuis les manifestations des mineurs à l'occasion des premières fermetures des puits de mines en 1962, aux annonces du gouvernement en 1983 de la fermeture inéluctable. Fin 1983, les mineurs manifestent et le communiste Georges Valbon démissionne de la présidence des Charbonnages de France. Les communistes émettent des réserves et aux Charbonnages les décisions sont repoussées. Côté gouvernement, le 10 janvier 1984, Jean Auroux affirme qu'il y aura des négociations et des solutions sociales. Le 13, les syndicats estiment que la négociation n'a pas commencé et le 20 Antonin Dufresne (CGT) et Jean Marie Spaeth (CFDT) lancent un appel à la mobilisation. Noël Josèphe, président de la région Nord-Pas-de-Calais, demande à voir le coût des suppressions d'emplois dans les mines.

Date de diffusion :
16 février 1984
Source :
A2 (Collection: Midi 2 )

Éclairage

Cette rétrospective intervient à un moment, l'année 1984, où le sort du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est définitivement scellé. Elle met l'accent sur le déclin régulier de l'activité charbonnière et les problèmes financiers, économiques et sociaux qu'il entraîne.

Elle commence par l'évocation des grèves des mineurs en 1962-1963. La raison structurelle du conflit est le plan Jeanneney de 1960 qui prévoit un déclin massif et rapide de l'exploitation charbonnière dans le pays du fait de l'utilisation croissante de pétrole, et du coût de revient trop élevé du charbon français par rapport à la houille importée. Même les chocs pétroliers successifs de 1973 et de 1979 ne remettent pas en cause ce problème fondamental. Il est d'ailleurs plus aigu dans le Nord-Pas-de-Calais, où les veines sont plus difficilement exploitables, qu'en Lorraine où le rendement est supérieur. Cet argument central du coût de revient n'a pas été développé dans ce reportage, qui se concentre plutôt sur les luttes sociales et l'histoire politique récente, depuis l'alternance socialiste de 1981.

Ce sont les évolutions successives de la politique du gouvernement de Pierre Mauroy qui retiennent en effet l'attention du reportage. A la fin de 1981, le Premier ministre annonce une relance de l'exploitation charbonnière, avec la remise en cause des fermetures envisagées, la relance de la prospection et l'embauche de 10 000 mineurs. Ces décisions s'insèrent dans une volonté plus générale de relancer l'économie française face à un chômage qui atteint bientôt 8% de la population active à cette date. L'essor du charbon doit s'associer aux mesures sociales (cinquième semaine de congés payés, 39 heures, lois Auroux promulguées peu après, en 1982) et aux nationalisations en cours.

Mais les résultats économiques ne sont pas au rendez-vous car le chômage continue de progresser. Surtout, les équilibres financiers sont menacés : les nationalisations ont coûté cher et il a fallu ensuite soutenir financièrement les groupes publics par des dotations en capital (35 milliards de francs entre 1982 et 1984) et des prêts multiples. Il s'agissait alors de restructurer les entreprises pour améliorer leur compétitivité mais aussi de combler les pertes structurelles abyssales d'activités comme la sidérurgie ou les charbonnages. Devant la perspective de difficulté à trouver des capitaux pour financer les déficits français, le gouvernement Mauroy adopte le tournant de la "rigueur" en mars 1983. Dans les charbonnages, ce virage se manifeste dans le discours de François Mitterrand du 27 avril 1983, dont un extrait est présenté ici. Le président français explique clairement qu'il faudra étudier la répartition des crédits entre le soutien à l'activité charbonnière et le soutien aux autres activités industrielles car "les mêmes crédits ne peuvent être dépensés deux fois". Dit autrement, il s'agit de savoir s'il est plus rentable d'investir la même somme pour soutenir l'activité charbonnière, ou pour aider au développement d'autres secteurs économiques.

C'est le même dilemme que présente Noël Josèphe, le président de la région Nord-Pas-de-Calais, mais dans des termes différents : faut-il mieux subventionner l'activité d'un mineur ou payer un chômeur ? L'intervention du président de région dans le débat témoigne de l'émergence d'un nouveau type d'acteur : les collectivités locales dont les pouvoirs ont été considérablement accrus depuis la loi de décentralisation de 1982. Noël Josèphe est particulièrement sensible à ce problème car de nombreuses industries régionales sont en difficulté à cette époque. La Normed, le chantier naval de Dunkerque, ne survit que par des "aides au sauvetage" mensuelles depuis la fin de 1983. Des symboles de l'industrie textile locale ferment, à l'image de la monumentale usine Motte-Bossut de Roubaix en 1981 réhabilité aujourd'hui en centre des archives du monde du travail.

Le coût social du déclin des charbonnages est en effet élevé. Depuis le lancement du plan Jeanneney en 1960, le gouvernement et ses relais locaux comptent sur la formation pour faciliter l'embauche de mineurs, et plus généralement d'habitants du bassin minier, mais c'est une œuvre de longue haleine. Cela explique les multiples manifestations de mineurs à la fin de 1983, et l'hostilité des communistes, alors alliés aux socialistes au sein du gouvernement. Georges Valbon, le président communiste des Charbonnages de France, démissionne ainsi en novembre 1983.

Les mots d'ordre restent les mêmes depuis les années 1960 : le maintien du charbon français au nom d'un argument politique, l'indépendance énergétique. L'approche financière est refusée au profit d'un débat sur la "vérité des prix" , une revendication déjà proposée depuis longtemps car le coût de revient excessif du charbon français est contesté. Il est vrai qu'à l'époque, la plupart des prix français ne sont pas libres mais contrôlés par le gouvernement. Une suspicion pèse alors sur le charbon, dont le prix artificiellement bas serait en fait une subvention aux industries consommatrices, qui sont alors principalement des groupes nationalisés. Le retour à la liberté des prix en 1986 confirmera finalement le coût excessif du charbon français.

Finalement, c'est Jean Auroux, le dynamique ministre du travail qui a le dernier mot en insistant sur l'accompagnement social de la régression charbonnière. Le mineur reste protégé par son statut. Les licenciements seront évités et des solutions de reconversion seront proposées. Ainsi, le couple formée par le déclin charbonnier et la reconversion économique et sociale continue de s'imposer.

Laurent Warlouzet

Transcription

Noël Mamère
C’est un jour important pour les mineurs, leurs représentants syndicaux sont reçus aujourd’hui par le Premier Ministre, Monsieur Mauroy. Ils doivent discuter de l’emploi et de l’avenir des principaux bassins miniers de France, notamment ceux de la Lorraine et du Nord-Pas-de-Calais. Les Charbonnages, c’est un des grands secteurs industriels français face à une inévitable mutation. La saga des Charbonnages, si j’ose m’exprimer ainsi, elle commence en 63 et elle vous est racontée par Laurent Sauerwein.
Laurent Sauerwein
1962-63, les premières fermetures de mines, le déclin du charbon commence au profit du pétrole. 10 ans plus tard, 1973, c’est la guerre de Kippour, le prix du pétrole flambe. Du coup, on augmente la production de charbon français mais ce n’est qu’un bref sursaut et à nouveau c’est le déclin.
(Musique)
Laurent Sauerwein
Jusqu’en 1981, avec la gauche au pouvoir, Pierre Mauroy annonce une politique de relance du charbon. Les charbonnages recrutent 10 000 jeunes mineurs comme Daniel Valin dans le Nord, il a 24 ans.
(Bruit)
Laurent Sauerwein
Et puis le 27 avril 83, c’est le tournant. Au cours d’un voyage dans le Nord, François Mitterrand annonce à quoi serviront les crédits de l’Etat.
François Mitterrand
A quoi doivent-ils être consacrés. Ben moi, je le vous dis d’une formule qui n’aura pas d’équivoque, ils seront consacrés à tout ce qui permettra la rénovation du Bassin minier par le charbon lorsque les effets induits apparaîtront supportables ; ils seront consacrés à d’autres industries, et les mêmes crédits ne pouvant pas servir deux fois, cet examen devrait être fait par la région, en discussion avec la ville, pour que je sois exactement informé sur ce qu’il convient de faire justement.
Laurent Sauerwein
Il faudra donc choisir, subventionner les mines déficitaires et elles le sont presque toutes sauf en Lorraine, ou reconvertir, implanter de nouvelles industries dans les bassins miniers. Les syndicats ont conclu que le gouvernement renonce au charbon.
(Bruit)
Laurent Sauerwein
10 novembre 83, inquiétude dans les bassins miniers, deux jours de grève.
(Silence)
Laurent Sauerwein
14 novembre, démission de Georges Valbon, le président communiste des Charbonnages de France. Il reste partisan de la relance du charbon français. L’affaire prend une dimension politique.
(Silence)
Laurent Sauerwein
Deux jours plus tard, dans la nuit du 16, les députés votent le budget de l’industrie. Les communistes émettent des réserves sur le charbon. En 84, les Charbonnages recevront 6 milliards et demi de francs, la même somme que l’an passé. Compte tenu de l’inflation, cela équivaut à une baisse. On parle de 8000 suppressions d’emplois.
(Silence)
Laurent Sauerwein
15 décembre, les syndicats de mineurs protestent, ils estiment qu’aucune négociation sérieuse n’a encore eu lieu et ils rédigent ce document, une plate-forme revendicative commune. Pour les syndicats, le charbon français, c’est l’indépendance énergétique, des économies en devise, des emplois ; toute une filière qui débouche sur la carbochimie, la gazéification et la production de matériels à exporter. Tout cela concluent-ils exige que l’on préserve une base de production de charbon français.
(Bruit)
Laurent Sauerwein
Du côté de la direction des Charbonnages, les décisions sont reportées de semaine en semaine et l’on est très discret. Dans le quartier de la Défense, chauffé au charbon, Monsieur Le Guillou pèse ses mots.
Michel (Le) Guillou
Il y a du charbon français qui mérite d’être exploité et même s’il y a pour cela besoin d’une légère subvention, je crois que l’Etat français a intérêt, pour son indépendance énergétique, à exploiter le charbon français qui mérite de l’être.
(Bruit)
Laurent Sauerwein
Même propos du côté du gouvernement où on rappelle en outre la protection qu’accorde le statut du mineur.
(Silence)
Jean Auroux
Je voudrais que les mineurs soient bien conscients que chacun d’entre eux aura une solution sociale à son problème, pas licenciement, une concertation exemplaire et il ne faut pas qu’il y ait du malentendu au moment où commencent ces négociations. Nous voulons que ce soit de véritables négociations décentralisées, régionalisées dans Charbonnages de France.
Laurent Sauerwein
13 janvier, tous les syndicats, CGT, CFDT, CFTC, FO et CGC se réunissent à nouveau. A leurs yeux, la négociation n’a toujours pas commencé. Ils demandent à être reçus par Pierre Mauroy avant son voyage dans le Nord.
Antonin Dufresne
Nous avons décidé, si cette entrevue devait être négative, de lancer une grève de 48 heures reconductible dès le lendemain de cette entrevue et avant le 17 février, jour du Conseil d’administration des Charbonnages.
(Silence)
Laurent Sauerwein
20 janvier, une fois encore, la négociation avec la direction des Charbonnages n’a pas abouti.
Intervenant
Je crois qu’il apparaît très clairement que la volonté de négociation exprimée par les organisations syndicales ne trouve aucun écho dans cette maison. Dans ces conditions, les fédérations appellent, comme ils l’ont fait aujourd’hui, les mineurs à poursuivre la mobilisation pour faire pression avec l’entrevue que nous aurons avec Monsieur Mauroy dans les prochains jours.
(Silence)
Antonin Dufresne
Nous demandons au gouvernement, à la direction des Charbonnages, de faire la vérité sur les prix du charbon.
(Bruit)
Laurent Sauerwein
Dans les régions, on fait les comptes, mais que faut-il mettre dans la balance ?
Noel Josephe
Tous, nous sommes préoccupés par le prix de revient de tout produit, sans quoi, nous ne serions pas très responsables. Et je crois que ce n’est pas suffisant car je prends le cas des mineurs, et il faut mettre en balance le coût social de la suppression d’un emploi de mineur et voir ce que ça coûtera à la Nation. Il faut aussi voir ce que coûte un emploi de mineur dans les conditions difficiles.
(Bruit)
Laurent Sauerwein
Temps difficile pour une difficile équation qui met en balance des chiffres et des hommes.