La récession et l'emploi

09 décembre 1981
01m 38s
Réf. 00213

Notice

Résumé :

Cet extrait du quatrième volet des "Mémoires de la mine" aborde la question du travail et de l'emploi dans les mines après la planification de la récession, avec les témoignages de deux chefs porions. Robert Volan explique comment les Houillères ont recruté des marocains dont "elles pouvaient se débarrasser à la fermeture des mines plus facilement". Georges Pierrot remarque que les catastrophes puis les déclarations de silicose ont créé un "genre de psychose" et de nombreux jeunes ont refusé d'aller travailler à la mine.

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Date de diffusion :
09 décembre 1981
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Éclairage

Le témoignage de deux chefs porions, Robert Volan et Georges Pierrot, montre toute l'ambiguïté du rapport entre la population du Bassin minier et le métier de mineur. Si ce dernier est valorisé dans la mémoire régionale, il est rejeté par de nombreux habitants bien avant la fin de l'exploitation minière. L'entretien offre un double intérêt, celui de nous expliquer les origines de ce paradoxe, et celui d'évoquer les mineurs marocains.

Les deux chefs porions expliquent très clairement que la population locale s'est détournée du métier de mineur, en raison de sa pénibilité et de sa dangerosité. Si le taux des accidents décline avec le renforcement des mesures de prévention, le coup de grisou de Liévin de 1974, quelques années avant l'émission, marquera les esprits avec un très lourd bilan de 42 morts. Même si le mineur échappe à ces accidents, il a de fortes chances d'être rattrapé par la silicose, également évoquée dans l'entretien. Pour illustrer cette réalité, l'entretien est entrecoupé de plans sur le soutènement marchant, qui remplace le boisage. Des vérins hydrauliques se substituent aux poutres en bois pour assurer l'étançonnage. Ainsi, c'est l'image d'une mine moderne, mais toujours très pénible, qui est figurée ici : les pistons sont lourds à manœuvrer, le danger d'accident reste omniprésent et l'on reste frappé par l'étroitesse de l'espace disponible.

Ainsi, les plus jeunes mais aussi leurs parents hésitent à se faire embaucher à la mine. Ce refus est assez ancien et était déjà évoqué par le syndicaliste Joseph Sauty, de la CFTC, dès 1969. Il est lié à un mouvement général de la société, qui se caractérise par une élévation générale du niveau d'éducation (le pourcentage d'une classe d'âge obtenant le bac passe de 2,7% en 1936, à 20% en 1970, et à 26% en 1980), par le développement de métiers en apparence moins pénibles des industries de haute technologie et du tertiaire, et par le déclin de la culture ouvrière. Le temps de la "génération singulière" décrite par Gérard Noiriel (1), celui d'une classe ouvrière fière de son mode de vie et qui profite de progrès sociaux marquants, est passé avec la crise économique. Une dernière raison est celle de la programmation du déclin charbonnier. Depuis le plan Jeanneney de 1960, et malgré la grève de 1963, les habitants du Nord-Pas-de-Calais savent que le Bassin minier fermera à moyen terme. La date de 1983 est longtemps envisagée, avant que le gouvernement Mauroy ne repousse l'échéance de quelques années. Dès les années 1960, l'État central met en place une énergique politique de reconversion fondée sur des mesures de formations professionnelles et le subventionnement de nouvelles usines, comme Renault à Douai. Ainsi, le refus d'embrasser la carrière minière paraît être une réaction rationnelle. Pour compenser cette difficulté à recruter des mineurs français, surtout dans la période de plein emploi des années cinquante et soixante, les Houillères ont recours à l'immigration marocaine à partir de 1956. Recrutés sur des critères physiques, ils sont formés en quelques semaines puis travaillent pour quelques années, avant de revenir au pays avec un pécule. La rotation du personnel est donc rapide. La situation change toutefois en 1977, lorsque le gouvernement français, confronté au dépassement de la barre du million de chômeurs, décide l'interdiction de l'embauche de travailleurs immigrés. Les mineurs marocains déjà en place restent, et sont donc incités à s'installer. Certains syndicats se battent pour qu'ils obtiennent des droits égaux aux Français, même si ces derniers ne s'associent pas aux mouvements lancés en 1980. C'est finalement la négociation avec le gouvernement marocain qui permet de leur octroyer des avantages importants en novembre 1980.

Ainsi, alors que le gouvernement Mauroy s'emploie à relancer l'activité minière, une partie de la population du Bassin s'est détournée depuis longtemps du métier de mineur, et s'inscrit pleinement dans l'ambition de reconversion.

(1) Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, XIX° XX° siècle, Paris, Seuil, coll. Points, 1986.

Laurent Warlouzet

Transcription

Robert Volan
La première chose qu’on a faite, on a dit, on n’embauche plus d’autochtone parce qu’on ne leur garantira pas une retraite complète. On n’avait pas encore à ce moment-là élaboré, et ça c’était un des points principaux ; alors qu’on savait qu’en faisant venir des Marocains, même si le gosse, il avait été deux ans. La majorité des Marocains ont fait 18 mois, ils sont partis chez eux et ils n'ont jamais fait plus. Vous voyez, on pouvait s’en débarrasser à la fermeture des mines beaucoup plus facilement que du personnel autochtone ; parce qu’il faut quand même reconnaître une chose, c’est que jusqu’à présent, la récession dans les mines s’est toujours bien passée. Il n’y a jamais eu un ouvrier qui a été foutu dehors. Ils ont été mis soit en retraite normale, soit en retraite anticipée. Soit, ils ont été replacés ailleurs dans les autres industries, mais on n’a jamais mis un mineur à la porte.
(Bruit)
Georges Pierrot
Même déjà avant l’arrêt de l’embauchage, il y avait très peu d’autochtones qui sont embauchés ; puisqu’il y avait eu plusieurs catastrophes qui s’étaient produites dans la région. Ensuite, c’était le début des déclarations de silicose. Là, on a vu pas mal de vieux mineurs qui mourraient très jeunes quand même. Enfin pas vieux, ils étaient relativement jeunes, et puis qui mourraient de silicose. Alors, ça a créé un genre de psychose, et les jeunes refusaient d’aller à la mine. Et même surtout, je pense que c’était les parents, c’est-à-dire que les ouvriers qui travaillent aux mines ne voulaient plus envoyer leurs enfants à la mine.
Robert Volan
Les gens avaient déjà trouvé le moyen de sortir et d’aller en vacances assez loin partout en France, et de se rendre compte que l’on vivait aussi bien ailleurs sans travailler à la mine.