Funérailles de la catastrophe de la mine de Liévin

16 février 1945
01m
Réf. 00240

Notice

Résumé :

Le 30 janvier 1945 une galerie s'est effondrée à l'étage 432 de la fosse n°3 de Lens à Liévin tuant 9 mineurs. Reportage (muet) sur les funérailles. Les rues sont désertes dans les corons. La population et les familles sont rassemblées à l'église près de la fosse n°3, puis les cercueils sont portés par des mineurs en tenue de travail, entourés par des femmes portant des voiles blancs. Monsieur Lacoste, ministre de la Production Industrielle, prononce un discours devant les cercueils et les familles. Les cercueils sont portés sur des chariots vers le cimetière.

Type de média :
Date de diffusion :
16 février 1945
Personnalité(s) :

Éclairage

Quelques mois après la Libération du Bassin minier (août-septembre 1944), alors que la guerre continue (Dunkerque est toujours occupée), que l'épuration sauvage est à peine canalisée par l'instauration des cours de justice officielles (octobre-décembre 1944) et que le retour à la normal tarde à s'imposer, un accident mortel frappe la communauté des mineurs de Liévin. L'effondrement d'une galerie de la fosse n°3 tue neuf mineurs le 30 janvier 1945. La dangerosité du travail des mineurs est connue et les catastrophes ("Courrières" en 1906, 1 099 morts) contribuent à faire des mineurs des "chevaliers des temps modernes". Que les chevalements soient arrêtés, que le deuil paralyse l'ensemble des corons, et que la cérémonie soit mise en scène par la corporation ne surprend pas. Depuis le XIXe siècle, les mineurs et leurs familles sont logés par les Compagnies autour de la mine dans des logements alignés, noircis par la poussière de charbon. La mono activité, l'hérédité du métier et l'endogamie limitent l'ouverture à l'extérieur tandis que la dangerosité et la pénibilité du métier soudent la communauté des mineurs et de leurs proches. La hiérarchie, pourtant très présente dans les mines, n'apparaît pas ici. Ce sont les mineurs, ceux du fond, qui, avec leur fanfare, leurs familles et leurs proches, accompagnent les cercueils dans leurs vêtements de travail, leurs casques et leur lampe, seuls boucliers du labeur quotidien.

L'organisation de la cérémonie, très particulière du cortège où les hommes (nettement majoritaires) et les femmes sont séparés, laissent l'impression d'une mémoire occultée. Les charrettes portant les cercueils tirés par des chevaux de traits et les croix de bois portées par les mineurs renforcent la solennité de la manifestation. La tradition est celle des enterrements religieux mais l'Église ou ses représentants sont à peine visibles. Accusée d'avoir fait travailler les mineurs du Nord-Pas-de-Calais pour l'Allemagne pendant quatre ans, la hiérarchie traditionnelle, celle des ingénieurs et du directeur, est également effacée. Les directions encore en place ont été suspendues le 11 octobre 1944, et l'ordonnance de nationalisation des Houillères du Nord-Pas-de-Calais du 13 décembre 1944 (18 mois avant le vote de la nationalisation des charbonnages du 16 mai 1946), regroupe les 18 concessions d'avant-guerre sous la direction d'un directeur général nommé par le gouvernement.

Le ministre de la production industrielle, Robert Lacoste, assiste à la cérémonie et prononce un discours. Sa présence témoigne de la reconnaissance de l'ensemble de la Nation à l'égard du sacrifice des mineurs. L'importance du charbon pour la reconstruction nationale explique que les mineurs soient au centre des actualités alors qu'à déjà débuté la "bataille du charbon", bien avant donc son "lancement officiel" en août 1945. Or, après quatre années de privations et de travail intensif, les mineurs sont peu productifs, les galeries, le matériel et les outils sont usées par l'exploitation intensive orchestrée par les Allemands. Pendant les quatre années de l'occupation, le Nord-Pas-de-Calais est classé "zone interdite" sous l'autorité de la Kommandantur de Bruxelles et de l'Oberfeldkommandantur 670 de Lille. Les Compagnies minières entrent dans la voie de la collaboration économique à partir de novembre 1940. Les mineurs subissent de très fortes pressions pour augmenter la production. Le recours au travail forcé, l'allongement de la durée du travail, avec la généralisation de la semaine de 52h30 au fond et de 54h à la surface, l'augmentation des cadences et la diminution de la ration calorique, mais aussi l'activisme du parti communiste fortement implanté dans les bassins, favorisent l'entrée en résistance et les grèves sporadiques. L'effondrement de la galerie en janvier 1945 témoigne de la prolongation de l'exploitation intensive des puits depuis la Libération.

Le film montre bien la lassitude des mineurs. La situation des bassins reste explosive. Aux déceptions suscitées par l'épuration officielle s'ajoute l'insatisfaction provoquée par la lenteur et l'insuffisance du ravitaillement et du retour à la normal. Le légalisme du Parti communiste et l'engagement de la CGT en faveur d'une intensification du travail dès août 1944, comme la détermination du commissaire de la République de la région du Nord, Francis Louis Closon, qui organise l'épuration officielle et noue des relations directes avec les mineurs aboutissent progressivement à rétablir un ordre précaire. Mais des grèves éclatent encore au début de 1945. Dans ce contexte, l'accident de Liévin menace la timide reprise de la production de charbon de janvier 1945. Or, les mines ne produisent plus que 80% des quantités d'avant guerre (1 900 000 tonnes par mois en août 1945 contre 2 350 000 en 1938). Alors que la France ne répondait déjà pas à ses besoins, désormais, elle ne dispose plus des devises nécessaires pour régler ses importations. Le travail des mineurs est donc plus que jamais nécessaire à la reconstruction nationale. Le commentateur précise d'ailleurs que "ce n'est pas de la faute des mineurs si nous manquons de charbon".

Béatrice Touchelay

Transcription

(Musique)
Journaliste
A Liévin, au pays des mines, les corons sont déserts, la ville est en deuil. Une catastrophe a enseveli des mineurs, et la région toute entière va leur faire de solennelles funérailles. La fraternité des hommes du pays noir se manifeste jusqu’au-delà de la mort. Les mineurs, fiers de leurs traditions et de leurs noblesses souterraines, forment un des corps de métiers les plus solides et les plus courageux de France.
(Musique)
Journaliste
Monsieur Lacoste, Ministre de la Production industrielle, salue les morts de la mine et tous ces travailleurs qui redoublent aujourd’hui d'efforts. Ce n’est pas leur faute si nous manquons de charbon. Et le cortège noir et blanc des hommes et des femmes de la mine accompagne aujourd’hui ceux qui sont morts au travail.
(Musique)