La vie quotidienne à Bruay : la poussière de charbon

11 décembre 1958
01m
Réf. 00245

Notice

Résumé :

Jacques Krier est allé à la découverte d'une famille de mineurs à Bruay-en-Artois ( aujourd'hui Bruay-la-Buissière). Dans cet extrait il montre que la poussière de charbon s'insinue partout. Les femmes du Nord qui tiennent à la propreté de leur maison ont beaucoup de travail ; elles ont renoncé à faire la lessive en semaine. Les jardins en sont aussi recouverts et il faut laver plusieurs fois la salade. Pour le mineur qui la respire, la poussière donne une maladie : la silicose.

Type de média :
Date de diffusion :
11 décembre 1958
Personnalité(s) :

Éclairage

"Le charbon est partout à Bruay, il est à la fois la richesse et le malheur du pays"

A Bruay-en-Artois dans le Pas-de-Calais, des puits sont installés en pleine campagne et dès 1852, des corons aux maisons basses et jointives sont édifiés par les Compagnies pour loger les mineurs et leurs familles contre un loyer modique. Le statut du mineur de 1946 reconnaît le droit au logement des mineurs chefs ou soutiens de famille, actifs et retraités (article 23). Il oblige les Houillères à fournir ces logements et à les entretenir. Avec le statut, les mineurs deviennent des ouvriers particulièrement bien défendus par des commissions paritaires de discipline et de conciliation qui sont égalitaires (part égale des représentants du personnel et des exploitants), bénéficiant de salaires relativement élevés (bien que leur éventail soit largement ouvert) et de congés plus fréquents que les autres catégories d'ouvriers et avec un régime de protection sociale, maladie et vieillesse intéressant.

Pourtant, le confort des habitations est rudimentaire sans salle de bains ni sanitaires. Le plus souvent collées aux puits, elles sont exposées en permanence à la poussière de charbon, sauf le dimanche lorsque les puits sont fermés. Tout y est noir ou gris, les briques, les toits, les murs qui séparent les maisons. Seul le nettoyage incessant des devantures des maisons par les femmes de mineurs atténue la grisaille. Le linge étalé dans les jardins pour sécher le dimanche offre également, un jour sur sept, quelques notes de couleurs. L'homme est absent, il est à la mine, on ne voit que des enfants et des femmes dans les corons pendant la journée en semaine. La vie du coron se caractérise par une stricte répartition des tâches entre les sexes. La femme, mère ou épouse du mineur, est chargée de l'entretien du foyer, pendant que l'homme travaille à la mine. Ses tâches quotidiennes sont nombreuses et rythmées par la mine. Luttant quotidiennement contre la poussière de charbon, elle s'escrime à laver la salade, à frotter le linge dans la lessiveuse et à le faire sécher le dimanche, à entretenir le foyer et à garder coquette la devanture de la maison.

Ainsi, en pleine période des Vingt Glorieuses (1952-1972), la vie quotidienne des femmes de mineurs parait immuable.

Depuis le milieu du XIXe siècle, l'activité économique des cités minières comme Bruay-en-Artois est tournée vers le charbon. La mono activité, la faiblesse de l'exogamie et des débouchés extérieurs comme les "avantages" procurés par les Houillères (logement, retraite, mais aussi charbon) contribuent à enclaver les bassins et à les immobiliser, alors que le monde bouge et que des énergies nouvelles sont en train de s'imposer (le gaz naturel et le pétrole).

De ce fait, le rapport des femmes de mineurs à la mine est complexe. Pourvoyeuse d'emplois, elle condamne le mineur à une vie difficile, sous la double menace d'une catastrophe immédiate, au fond du puits, et d'une catastrophe différée, la silicose, maladie invalidante qui ne se manifeste qu'au bout de plusieurs années d'exposition et qu'il est difficile de faire reconnaître. La famille du mineur connaît une vie difficile et monotone, dans un cadre poussiéreux, où le charbon, les terrils et les chevalements sont partout. La poussière s'infiltre jusque dans les poumons des mineurs. La silicose frappe durement le Bassin à partir de la fin des années 1950, conséquence de la généralisation du marteau-piqueur qui augmente la poussière en suspension et des excès productivistes de la bataille du charbon et de la Reconstruction. Visible en surface et moins visible dans les puits, mais combien plus redoutable, la poussière de charbon subsiste jusqu'en 1990. Bien après la fermeture du dernier puits, la silicose demeure.

Béatrice Touchelay

Transcription

Jacques Krier
Le charbon est partout à Bruay, même à la surface, il flotte dans l’air, il se dépose dans les jardins ou sur les maisons. Les femmes du nord tiennent beaucoup à la propreté de leur maison, mais elles ont vraiment beaucoup de travail. Autour du siège 6, elles ont renoncé à faire leur lessive en semaine. Le linge est noir en moins d’une heure, on ne peut laver que le dimanche.
(Silence)
Jacques Krier
Les jardins aussi sont recouverts d’une épaisse poussière noire, il faut rincer la salade dans cinq eaux successives avant que l’eau de rinçage soit claire.
(Bruit)
Jacques Krier
Le charbon, c’est à la fois la richesse du pays et son malheur. Quand il se dépose dans les poumons, il donne lieu à une maladie qu’on appelle la silicose.