Souvenirs d'un pêcheur mineur silicosé

15 octobre 1976
02m 39s
Réf. 00250

Notice

Résumé :

Un ancien mineur, silicosé, explique comment les activités de plein air dans les marais de Wingles, en particulier la pêche, lui ont sauvé la vie.

Type de média :
Date de diffusion :
15 octobre 1976
Source :

Éclairage

Le témoignage de cet ancien mineur qui a travaillé 37 ans à la mine, victime de la "maladie du charbon", la silicose, et maintenu en vie par sa passion pour la pêche montre à quel point la mine marque des générations de mineurs. Respirant plus de huit heures par jour et pendant des années la poussière du charbon, de nombreux mineurs sont victime de la silicose qui progressivement les empêche de respirer. A un moment, même parler devient impossible. La poussière pénètre dans le poumon, obture les vaisseaux et durcissent les parois condamnant progressivement à l'étouffement. Reconnue maladie professionnelle invalidante en août 1945, cette maladie est incurable et elle ne se déclare qu'après plusieurs années d'exposition au charbon. Une personne silicosée à 80% ne peut fournir aucun effort physique et elle risque d'être emportée par le moindre coup de froid. Ce retraité, comme ceux qu'il côtoie, ne doit sa survie qu'à ses activités en plein air. Il évoque le braconnage et surtout la pêche, qui sont des activités physiques de plein air plus bénéfiques que le jardinage, auquel il ne fait pas allusion, le jardinage étant une activité trop physique pour ce pensionné. "C'est fini les travaux de jardin" dit-il.

Dans la catégorie des loisirs "ordinaires" des mineurs, la pêche occupe une place toute particulière, la transformation des paysages par l'activité minière ayant donné naissance à de nombreux marais, étangs, marécages et étendues d'eau artificielles. Ainsi des affaissements miniers se sont remplis d'eau dès la fin du XIXe siècle entre Wingles, Douvrin et Billy Berclau. Particulièrement en vogue dans le nord de la France, la pêche est autant un moment de délassement pour le mineur, dans un cadre naturel, au jour et au grand air, qu'un moyen de diversifier son alimentation.

Ce survivant de générations de silicosés ne dit rien des difficultés à surmonter pour faire reconnaître la maladie, ni de son quotidien que cette maladie peut rendre pénible, ni des souffrances de la fin de vie des silicosés. La seule allusion à sa famille concerne son fils qui lui supprime sa canne à pêche pour éviter qu'il n'attrape froid. Malgré le drame de la silicose, ce pensionné témoigne d'un réel optimisme se considérant comme l'un des rares survivants des générations sacrifiées à la mine, et en particuliers de celles qui sont contemporaines de la bataille du charbon et de la généralisation du marteau-piqueur qui augmente les particules de charbon en suspension. Cette maladie fait encore 900 morts par an en France en 1998, bien après les fermetures des puits de mine.

Béatrice Touchelay

Transcription

Intervenant
J’ai 64 ans.
Journaliste
Qu’est-ce que vous faisiez à la mine ?
Intervenant
J’ai commencé à treize ans au fond, comme galibot, jusqu’à 50 ans, c’est-à-dire que j’ai 37 ans de service. J’ai commencé sans certificat d’études et je suis sorti chef porion. Alors, j’ai bossé, mais seulement maintenant, je suis croqué, j’ai la silicose 80 %.
Journaliste
Et ça fait comment, ça fait mal ?
Intervenant
Je ne peux plus respirer, non, je suis suffoqué, je ne peux plus rien faire du tout. C’est fini les travaux de jardin, tout ce que vous voulez. Il n’y a plus qu’une seule chose, me promener et dire des bêtises. D’ailleurs le docteur, il exige que je me promène. Il ne faut pas que je reste chez moi. Si j’reste, près de mon feu, je suis un homme mort.
Journaliste
Vous aimez beaucoup la pêche ?
Intervenant
Ah là, depuis 10 ans, je suis dans l'étang, et c’est ce qui m’a sauvé. Quand j’avais terminé mon poste en remontant du pont, aussitôt lavé et d'avoir cassé la croute, je venais au marais, je me ré-oxygénait, vous voyez. Et je suis un peu braconnier, alors l’hiver, j’étais dans les bois. Un petit lapin avec des frites, ça ne fait pas de mal, hein.
Journaliste
Est-ce que vos affaires de pêche, vous les avez gardé ?
Intervenant
Ah non, pour le moment, tout est confisqué chez mon fils.
Journaliste
Pourquoi ?
Intervenant
Parce qu’il ne veut plus que je viens pêcher.
Journaliste
Pourquoi ?
Intervenant
Pour cette histoire de silicose, si j'ai froid, je suis un homme mort. Le soleil, ce n’est pas bon et le froid ce n’est pas bon. Le moindre petit rhume que j’ai, la moindre petite bronchite que je peux avoir, c’est 5 % en plus, chaque fois d’après le médecin. Mais seulement, je viens ici deux fois par jour dans sur l'étang et j'ai un peu le, je m’occupe un peu de tout, quoi, j'fais enrager Monsieur le Maire, si vous voulez, j’aime bien, voilà.
Journaliste
Vous êtes très handicapé quand même dans la vie.
Intervenant
Ah oui, c’est un métier assez triste.
Journaliste
Il y en a beaucoup de mineurs comme vous ?
Intervenant
Vous voyez, Monsieur, tous les mineurs qui ont été comme moi, qui n'sont pas venus au marais comme moi, parce que la pêche c’est vraiment intéressant, ça ré-oxygène les poumons. Ils ne sont pas venus à la pêche, ils ont fait un peu de bistro, ils ont fait un peu de promenade et un peu de bistro, ils sont tous enterrés. Tout le monde est mort, je suis le seul de ma classe qui est resté. Et j’en suis fier et c’est le marais qui m’a sauvé, le marais et les bois. Je suis un peu homme de bois, vous voyez. J’aime bien traînailler dans toutes les directions, et ça fait pas toujours plaisir, mais enfin je rentre trotter. Ma femme me dit que je suis un crapule et j’en suis content, voilà !