L'arrivée du Louvre-Lens vue par les habitants de la Cité 9 de Lens

05 novembre 2005
08m 02s
Réf. 00280

Notice

Résumé :

Le 29 novembre2004, la ville de Lens était désignée pour accueillir un nouveau musée du Louvre. À l'issue d'un concours d'architectes international, c'est le projet d'un cabinet japonais qui a été retenu. Le musée sera installé dans un lieu très symbolique à proximité immédiate de cités minières rénovées. Rencontre avec les habitants de la cité 9 pour savoir comment ils vivent cette arrivée près de chez eux.

Type de média :
Date de diffusion :
05 novembre 2005

Éclairage

Le 29 novembre 2004, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin désigne Lens comme ville d'accueil du nouveau Louvre. Au cours de l'année 2005, l'État, le musée du Louvre et les collectivités locales (en particulier la Région, le principal financeur) définissent les conditions de réalisation du futur musée. A la fin de l'année, après un concours international, l'agence d'architecture japonaise Sanaa est désignée pour édifier le bâtiment. Le projet démontre à quel point les échelles se réarticulent et se mêlent dans le contexte de la mondialisation. L'architecte est asiatique et compte parmi ses réalisations notables le nouveau musée d'art contemporain de New-York (New Museum of Contemporary Art). Il est amené ici à travailler en France, en plein cœur d'une agglomération longtemps structurée par l'extraction du charbon. Le poids de cet héritage minier d'ailleurs est palpable. Le site choisi est un ancien carreau de fosse (la fosse 9 de Lens), à la périphérie ouest de la ville, non loin de cette autre trace minière qu'est le stade Félix Bollaert (il a été construit par la Compagnie des mines de Lens). Comme souvent, le carreau de fosse a été intégralement arasé et débarrassé de ses installations (chevalements et autres) pour ne laisser qu'un vaste espace vert, coincé entre plusieurs anciennes cités ouvrières. Dans ces conditions, la fonction dévolue au Louvre-Lens n'est pas sans ambiguïté : en s'installant dans ce vide, le musée vient-il pérenniser une certaine mémoire minière, inscrite dans le territoire, ou achève-t-il au contraire de l'effacer ?

L'indétermination est aussi perceptible s'agissant du rapport entre le futur musée et la population locale. On a en général, dans les dernières décennies, beaucoup mis en avant la mission d'intégration sociale des musées et la nécessité pour eux de partir, de manière volontariste, à la conquête de nouveaux publics. Cette nécessité est rappelée plus souvent encore dans le cas du Louvre-Lens. Aux yeux des décideurs et des élus, celui-ci ne doit pas être une structure déterritorialisée, ouverte avant tout au tourisme international. Il doit au contraire s'insérer dans une population locale, d'anciens ouvriers et de nouvelles classes populaires, marqués pour beaucoup par un sentiment d'éloignement et d'indignité face à la culture légitime et aux pratiques associées, telle que la fréquentation du musée (1). Le reportage présenté ici montre cependant que ces populations (les anciens mineurs et leurs veuves, mais aussi les habitants venus s'installer dans les logements sociaux que deviennent les cités) ne restent pas passives. Si certains explicitent leur rejet (évoquant notamment l'inutilité d'un tel équipement), d'autres déploient de multiples stratégies d'appropriation. Ils le font en reprenant et en adaptant les arguments du discours public sur le musée, qui à leurs yeux peut servir à les valoriser mais aussi à dynamiser les discussions entre voisins. L'un d'eux tente aussi, de manière très originale, de faire le lien entre des expériences intimes (la première descente au fond) et l'expérience du contact avec le nouveau bâtiment. Le rapport à venir de la population locale avec le musée ne pourra sans doute pas se résumer à des stéréotypes populistes (la découverte miraculeuse de la culture) ou misérabilistes (l'éloignement irrémédiable d'avec l'art). Au moment où le Louvre-Lens ouvre ses portes (le 4 décembre 2012, le jour de la Sainte-Barbe, patronne des mineurs), ce rapport reste encore à définir et nul ne peut encore connaître ce que les habitants de l'ex-Bassin minier feront de ce qui sera, ou pas, "leur" grand musée.

(1) Voir sur ce point toute la sociologie des publics des musées développée dans la lignée du travail fondateur de Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L'amour de l'art. Les musées d'art européens et leur public, Paris, Éditions de Minuit, 1966/

Marion Fontaine

Transcription

(Silence)
Eric Brisson
Il y a tout juste un an, le 29 novembre 2004, la ville de Lens, qui ne possède pas de musée aujourd'hui, était désignée pour accueillir un nouveau musée du Louvre. Le 26 septembre dernier, à l'issue d'un concours d'architectes international, c'est le projet d'un cabinet japonais qui a été retenu. L'ouverture de ce Louvre Lens , pas une annexe du Louvre, mais bien un musée à part entière, est programmée pour le 2ème semestre 2009. Objectif 500 000 visiteurs par an dans un lieu très symbolique. Ce Louvre Lens sera bâti à proximité immédiate de cités minières rénovées. Marie Candice-Delouvrié et Jean-Pascal Crinon ont rencontré les habitants de la cité 9 pour savoir comment ils vivaient cette arrivée d’un musée près de chez eux.
Héléna Prébiac
C’est là où ils vont bâtir le Louvre, ben c’est dans les rails là.
Marie
Dans les rails ?
Héléna Prébiac
Oui, alors voyez, c’est ça le Louvre.
Marie
Oui, mais si c’est Garin, c’est pas…
Héléna Prébiac
Mais non !
Sophie Golebiowski
Là de…
Héléna Prébiac
Ah oui Bollaert, Bollaert.
Sophie Golebiowski
Bollaert.
Marie Candice Delouvrié
Elles conservent chaque article, chaque photo qui peuvent les rapprocher un peu plus du musée depuis ce jour d’été 2004 que Marie, Héléna et Sophie ne sont pas prêtes d’oublier
Héléna Prébiac
On est sorties, et puis on voit du monde là-bas, vous vous rappelez ?
Marie
Oui, oui, oui, oui, oui ; oui, oui on arrivait trois malheureuses.
Sophie Golebiowski
Et puis moi, je n’étais même pas coiffée.
Marie Candice Delouvrié
Elles n’avaient rien prémédité.
Héléna Prébiac
Si,si on voit monsieur le ministre qui est là, vous voyez.
Marie Candice Delouvrié
En visite à Lens, Renaud Donnedieu de Vabres est allé vers elles , avant même que la ville ne soit choisie pour accueillir le Louvre, elle a trouvé là ses trois ambassadrices.
Héléna Prébiac
Si le Louvre ouvre à Lens, ça sera une bonne chose, parce que ça va aider même les jeunes à connaître l’art, parce que à Lens, qu’est-ce qu’on voyait ? Y’a que le football.
Sophie Golobiowski
Et bien ça va reboucher la mine là, parce que là ils tiraient quand même le charbon et puis maintenant, bon ben si on voit autre chose et bien tant mieux !
Marie Candice Delouvrié
C’est une revanche, quelque part ?
Héléna Prébiac
Ah oui ca c’est une revanche pour la population…
Sophie Golobiowski
Parce que les femmes de mineurs, elles étaient toujours au boulot, hein ! Hue casquette, à faire à manger, ... d’un homme... faire le travail.
Héléna Prébiac
Ça sera une revanche pour les mineurs. Attendez, attendez, je vais vous tenir. Viens gratter mon truc ici.
Marie Candice Delouvrié
Depuis 50 ans, elles n’ont pas quitté leur cité, qui compte plus de veuves de mineurs comme elles aujourd’hui, que d’anciens mineurs eux-mêmes . On la surnomme parfois la cité des Ecrivains ou tout simplement le 9 en référence à la fosse du même nom. Stéphane y est descendu pour la première fois à 14 ans et demi.
Stéphane Lojowski
Vous voyez, là vous êtes arrivé à la salle des pendus. Et là, là c’était le chevalet, l’entrée, la lampisterie, le chevalet, tout ce qui s’ensuit, l’entrée de la mine.
Marie Candice Delouvrié
Ce fils de Polonais a surtout travaillé de nuit pour entretenir les galleries. Le puits numéro 9 - contrairement à la fosse 3 de Liévin - n’a pas connu de catastrophe collective, mais du chevalet aux bâtiments qui formaient le carreau de la fosse fermée dans les années 60, il ne reste rien aujourd’hui. Juste un terrain vague de 21 hectares pour un projet auquel il a encore du mal à croire.
Stéphane Lojowski
J’ai jamais vu un Louvre, bon j’ai vu si, à Paris j’étais, on m’a fait voir de loin : « là c’est l’ Louvre, là c’est l’Tour Eiffel » , donc là … je voudrais quand même pouvoir y rentrer d’dans pour voir comment qu'c’est d’dans puis comment qu’c’est en dehors, comment qu’ c’est fait. On en parle que ça va être en verre, que ça va être en aluminium, que ça va faire des reflets comme-ci, comme-ça, mais, on ne peut pas s’imaginer plus loin. C’est comme à la fosse, dans les mines, vous ne pouvez pas expliquer à quelqu’un qui n’a jamais été au fond d’une mine, parce que l’expliquer, le lui dire, il n’a pas compris, il sait pas, il aurait fallu qu’il descende pour voir comment qu’c’est, alors là il aura compris.
Marie Candice Delouvrié
En 2009 date d’ouverture du musée, Stéphane a déjà prévu de déposer sa femme au Louvre les jours de match avant de rejoindre pour sa part le temple du ballon rond.
Boulangère
Qu’est-ce que vous pensez du Louvre ?
Client
Je ne fais qu'en penser du mal, alors je préfère ne pas en parler.
Boulangère
Ah !
Cliente
Mais non c’est bien c’est mieux que de parler que de foot, de Lens quand même, si si c’est bien, ça va relever le niveau.
Marie Candice Delouvrié
La boulangerie du 9 est discrètement surnommée "boulangerie du musée". Quant à Lucette Trinel, 79 ans, trois générations d’épicières, elle a investi dans des poissons japonais, clin d’œil au choix de l’architecte du Louvre... sans conviction.
Lucette Trinel
Cinq… tiens.. Y’en a qui sont contents, y’en a… que de toute façon ça n’apportera rien , c’est pas ça qui apportera du travail , on entend un petit peu de tout quand même.
Marie Candice Delouvrié
Et vous, vous en pensez quoi ?
Lucette Trinel
Moi, moi, rien , vous savez, ça ne me dérange pas du tout, c’est ce que je vous dis, mais enfin, pensez j’irai quand il sera là, si je le vois encore.
Abderrazak Janati-Idrissi
Mais ne vas pas changer le nom de la boutique quand même ! Ca sera la boutique du Louvre.
Lucette Trinel
J'ai déjà pris des poissons japonais, merci, au revoir.
Abderrazak Janati-Idrissi
Bon courage, au revoir.
Marie Candice Delouvrié
Abderrazak est arrivé dans le quartier, il y a deux ans. Recteur de la mosquée, enseignant dans un lycée lensois, il est d’un naturel optimiste.
Abderrazak Janati-Idrissi
Il y a un point commun pour tout le monde, c’est qu’on va être valorisés, tu le disais ce matin, ça veut dire que notre cité, va être… que ce soit la cité ou la ville, on va être...
Fille
Plus connus.
Abderrazak Janati-Idrissi
Voilà, on va être plus connus.
Marie Candice Delouvrié
Depuis le début, il défend son point de vue.
Abderrazak Janati-Idrissi
Au lieu que nous, on aille vers le Louvre, c’est le Louvre qui est venu vers nous. On y va à pied, c’est à côté, on habite à côté. Les aménagements qui vont se produire sur les routes etc, ben, nous dans les discussions avec les voisins, on va les aborder, au moins, il y aura des sujets qui vont s’installer qui vont permettre de communiquer plus.
Marie Candice Delouvrié
Mais les travaux ne débuteront réellement que dans un an. Seules ces images de synthèse permettent d’imaginer le Louvre-Lens. Une succession de salles en verre et en aluminium, modulables, pour privilégier la lumière naturelle, plutôt qu’un édifice souterrain, projet qui était également en compétition.
(Musique)
Marie Candice Delouvrié
Mais la famille de Stéphane n’a jamais franchi la porte d’un musée.
Sonia Lojowski
Voilà, c’est ça, j’aime bien la lumière, j’aime bien le plafond qui va y être …
Marianne Klafczynski
Je vous dirais franchement moi que je n’y crois pas, comme on est 'core là maintenant que rien ne bouge, non j’y crois pas vraiment.
Sonia Lojowski
J’ai plein les yeux, moi, oh oui, oh oui, mon Dieu, avoir ça maintenant.
Héléna Prébiac
Il est pas grand comme tableau, il y a du monde pour approcher, c’est tellement difficile, que… parce que tout le monde veut voir… La Joconde quoi.
Marie Candice Delouvrié
Contrairement à ses deux amies, Héléna est allée au Louvre une fois dans sa vie.
Héléna Prébiac
Elle a un voile sur la tête, on ne s’en est même pas aperçu.
Marie
Elle n’a pas de voile.
Héléna Prébiac
Ben si ! si un léger, si, si il y en a un.
Marie
Ah bon !
(Musique)
Cédric Duffroy
Moi je vais y aller le premier jour que ça va ouvrir, ça va être trop bien, surtout pour voir La Joconde pour l’école.
Marie Candice Delouvrié
T’es sûr qu’elle y sera La Joconde ?
Cédric Duffroy
Ben oui !
Marie Candice Delouvrié
C’est pas possible qu’elle n’y soit pas ?
Cédric Duffroy
Ben non parce que si elle y est à Paris, il faut qu’elle y soit à Lens.
Marie Candice Delouvrié
Les habitants du 9 finiront-ils par s’approprier le Louvre ? Sans La Joconde, sans pyramide ni château parisien, mais sur une page d’histoire, qui, pour beaucoup, n’est pas tournée.
Stéphane Lojowski
Y’aura la culture, mais l’charbon il sera encore au-dessous, on peut contourner, on peut passer à côté du Louvre, en étant sous terre et puis extraire du charbon, et un chevalet, c’est vite fait aujourd’hui, un puits de mine, mi j’suis persuadé que en… en six mois il est fait hein !
Marie Candice Delouvrié
Le pari d’une rencontre, celle de deux univers qui jusque là s’étaient ignorés.