Intervention radiophonique avant les législatives

30 décembre 1955
05m 07s
Réf. 00035

Notice

Résumé :
Trois jours avant les législatives anticipées du 2 janvier 1956, François Mitterrand, président de la petite Union démocratique et socialiste de la Résistance, intervient à la radio pour présenter les propositions du parti qu’il dirige. Celui-ci, qui s’inscrit dans la coalition dite de Front républicain, entend d’abord mener une politique visant à ramener la paix en Algérie.
Type de média :
Date de diffusion :
30 décembre 1955

Éclairage

Trois jours avant le scrutin, lors de la campagne pour les législatives du 2 janvier 1956, François Mitterrand présente la formation politique qu’il a rejointe en 1947 et préside depuis 1953, l’UDSR.

Directement issue de la Résistance, celle-ci, depuis sa fondation en juin 1945, ne pèse guère électoralement. Cependant, dans une IVe République où les majorités reposent sur des formules diverses et instables, elle s’est imposée comme une force-charnière et est toujours représentée dans les gouvernements. Pour ces législatives, elle est divisée mais s’inscrit majoritairement, derrière son président et avec la SFIO et les radicaux, dans le Front républicain, coalition de gauche dont l’âme est Pierre Mendès France. Elle s’oppose principalement – signe d’une bipolarisation encore timide puisque le PCF, ici dénoncé comme « parti totalitaire », reste isolé et qu’une poussée poujadiste menace – à celle du centre-droit menée par le président du Conseil sortant Edgar Faure.

Au cœur de la stratégie de différenciation de l’UDSR et du Front républicain figure la politique à mener au sein des territoires de l’Union française et en Algérie où le conflit, ouvert en novembre 1954, n’a cessé de prendre de l’ampleur au cours de l’année 1955. C’est là le « thème principal » du discours de François Mitterrand, ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Mendès France (juin 1954 à février 1955). Il plaide, sans toutefois précisément les définir, pour des solutions ambitieuses car sortant de « la routine » et appelle avant tout à « la paix » mais n’envisage certainement pas une indépendance algérienne, qui n’est alors ni du domaine du dicible, ni sans doute du pensable.

A l’issue du scrutin, le Front républicain remporte une courte victoire, qui le laisse très éloigné de la majorité absolue, et le socialiste Guy Mollet devient président du Conseil alors que François Mitterrand est nommé ministre de la Justice.

L’incapacité de ce gouvernement et de ses successeurs à mettre un terme au conflit algérien va entraîner, après la crise du 13 mai 1958, la chute de la IVe République. Le processus de bipolarisation, esquissé lors de législatives de janvier 1956, est brutalement freiné. Grâce notamment au rôle-clef joué par François Mitterrand, il va à nouveau se développer sous la Ve République.

Antoine Rensonnet

Transcription

François Mitterrand
En ce dix-huitième jour de la campagne électorale, les candidats de l’UDSR qui se présentent dans 37 circonscriptions de la métropole ; et qui, à Paris, sont entraînés par nos amis : Georges Beauchamp, Joseph Lanet, Kosciusko-Morizet et Jean Legaret ont déjà défini les raisons de notre combat. Mais je veux aujourd’hui rappeler à tous ce qu’est et ce que veut l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance. Ce parti, fondé au lendemain de la Libération par des femmes et des hommes formés aux rudes disciplines de la Résistance, et qu’animait surtout la volonté de refaire l’unité de la France, n’a pas achevé sa mission, loin de là. Au moment où tant de tâches attendent les responsables de la Nation face aux drames de l’Union Française, face aux difficultés des travailleurs, face à la nécessité de réformer l’État, l’UDSR a mis en oeuvre un programme d’action précis. En Afrique Noire comme en Afrique du Nord, en Indochine comme à Madagascar, l’UDSR a constamment cherché à construire une communauté durable et fraternelle. C’est à Brazzaville, et par l’un des nôtres, que fut tracé le premier plan d’une Union Fédérale où chaque peuple évoluerait selon ses propres aspirations dans un cadre commun. C’est en Côte-d’Ivoire, et par l’un des nôtres, qu’en 1950 fut tentée la première expérience qui fit revenir à la République Française des populations qui se croyaient nationalistes parce qu’elles avaient besoin de dignité, de respect, de travail et de sécurité. L’UDSR a voté dans ses congrès de 1951 et de 1952 les conditions politiques de la paix en Indochine ; celles-là même qu’en 1954, l’action énergique et efficace du Président Mendès-France devait faire prévaloir. Pour l’Afrique du Nord, elle s’est associée étroitement à la conciliation en Tunisie, comme elle a dénoncé l’absurde complot qui, en 1953, engagea la France au Maroc dans une suite d’événements tragiques et de déchirements fratricides dont notre patrie fut, en fin de compte, la première victime. Quant à l’Algérie, on sait qu’aux côtés de Pierre Mendès-France, j’ai présenté le 4 février 1955 un plan de réforme que la majorité modérée de l’Assemblée Nationale refusa, aidée d’ailleurs en ceci par le Parti Communiste, prenant ainsi devant l’histoire la lourde responsabilité de manquer une chance de concorde et de paix. Nous pensons que la France n’a plus d’avenir, ni de grandeur sans son prolongement africain. Nous croyons que les peuples d’Afrique ne peuvent se développer et poursuivre hardiment leur évolution historique qu’en compagnie de la France. Nous croyons enfin que les uns et les autres, pour leur sécurité commune, doivent bâtir une Union Fédérale qu’il nous faudra bien reconnaître au plus tôt dans notre Constitution. Mais en cet instant même où l’Algérie souffre de tant d’années perdues et de tant d’inégalités accumulées jusqu’à la révolte, l’UDSR, continuant l’oeuvre qui fut la sienne depuis plus de dix ans, affirme que ses efforts seront consacrés par priorité à tenter de résoudre pacifiquement le problème algérien. Tel est le thème principal qu’un jeune parti, qui se forma dans les douleurs et les colères d’une patrie déchirée, propose à vos réflexions au cours de ces brèves minutes. Mais les solutions que supposent les besoins du monde moderne ne seront pas trouvées dans la routine et le seul souvenir de vielles querelles. L’UDSR affronte le combat démocratique du 2 janvier 1956 dans le cadre du Front Républicain, ce qui signifie pour elle un choix et ce choix s’appelle progrès, justice, jeunesse et paix. Sans sectarisme et dans le seul souci de servir la France et la démocratie, elle vous engage à lutter contre les partis totalitaires et à condamner le bilan de ceux qui n’ont pas su redresser la patrie qui mérite bien un autre destin. Demain, pour les constructions nécessaires, en Europe comme en Afrique, pour la justice sociale dans la métropole comme dans les territoires d’outre-mer, pour ce qui reste à faire et qui exige tant de chaque citoyen, nous répèterons cet appel qui garde tout son sens : liberté, liberté chérie, combats avec tes défenseurs !