Débat d’entre-deux tours entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand

10 mai 1974
05m 55s
Réf. 00037

Notice

Résumé :
Alors que le second tour de la présidentielle anticipée des 5 et 19 mai 1974 s’annonce serré entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing, un débat télévisé en direct les oppose le 10 mai. Quoique le candidat socialiste sache exploiter les faiblesses de son adversaire, celui-ci semble mieux maîtriser l’exercice. Neuf jours plus tard, il est élu président de la République.
Type de média :
Date de diffusion :
10 mai 1974
Source :

Éclairage

Après la mort de Georges Pompidou le 2 avril 1974, une élection présidentielle est organisée les 5 et 19 mai. Malgré la précipitation, l’opposition est prête. A la tête du PS depuis 1971, promoteur d’une stratégie d’union, matérialisée par la signature d’un programme commun entre socialistes et communistes, qui a rencontré un certain succès lors des législatives de 1973, François Mitterrand, comme en 1965, est le candidat des principaux partis de gauche. Il arrive en tête du premier tour (43,2 %). Au sein de la majorité, la situation est plus confuse mais le ministre des Finances, Valéry Giscard d’Estaing, chef de file des Républicains indépendants distance Jacques Chaban-Delmas qui échoue à fédérer l’UDR (32,6 % contre 15,1 %).

Avant un second tour incertain, la campagne est marquée par un débat télévisé inédit où s’affrontent les deux prétendants. Sans doute Valéry Giscard d’Estaing, sachant parfaitement se placer face aux caméras, domine-t-il cet exercice quand son contradicteur laisse parfois, notamment lorsqu’il s’empare de ses lunettes, transparaître sa nervosité. Pourtant François Mitterrand, moquant un « changement sans risque » consistant « à avoir hier une majorité UDR-RI pour avoir demain une majorité RI-UDR », sait, lui aussi, trouver des formules à même de frapper les esprits.

Au-delà, alors que se manifestent les premiers signes d’une crise économique, le discours politique apparaît gagné par l’urgence. Le ministre Giscard d’Estaing, trop occupé à faire campagne, ne consacrerait pas assez d’énergie à lutter contre l’inflation, thème fétiche du candidat Mitterrand qui, une fois élu, serait, lui, contraint, faute de majorité parlementaire, de gaspiller un temps précieux dans une inutile dissolution. D’ailleurs, celui-ci reste encore trop dépendant d’un PCF qui inquiète toujours plus qu’il ne séduit. Même soucieux de garder un ton modéré, le leader des RI s’engouffre pleinement dans cette faille. Bientôt, les sondages indiquent qu’il a remporté le débat. Il n’est toutefois pas certain que celui-ci ait décidé de sa courte victoire (50,8 %).

Toujours est-il que le débat devient un passage obligé d’une présidentielle dont l’histoire est indissolublement liée à celle de la télévision. Quant à François Mitterrand, battu de peu, il franchit une nouvelle étape dans sa longue marche vers le pouvoir. Sept ans plus tard, il accède enfin à son rêve élyséen.
Antoine Rensonnet

Transcription

Valéry d'Estaing Giscard
Si je suis élu président de la République, dans la semaine qui suivra, la France aura un gouvernement, et ce gouvernement, disposant d’une majorité à l’Assemblée nationale, pourra travailler tout de suite. Alors, la question que je pose à François Mitterrand est la suivante, s’il est élu président de la République, à quelle date la France aura-t-elle à la fois un gouvernement et une majorité permettant au gouvernement de travailler ?
François Mitterrand
Eh bien, je suis là pour vous répondre, avant de poser moi aussi des questions. La constitution existe, elle implique des obligations. Ce que vous avez décrit, c’est la réalité de demain. Elle s’imposera à moi, comme à vous. Élu le 19 mai, j’aurais donc à choisir un premier ministre. Je le ferai, j’ai déjà dit, plus avancé que vous dans cette affaire, que je choisirai un député socialiste. Il me semble que j’ai besoin, pour gouverner dans une situation qui représentera, en effet, de grands changements, d’être, comme on dit, sur la même longueur d’onde, en confiance avec ce député socialiste que je désignerai lorsque le moment sera venu. Ensuite, il appartiendra au Premier ministre de présenter la liste de ses ministres, de constituer le gouvernement. Ce gouvernement sera constitué sur la base de la majorité présidentielle, c’est-à-dire, de toutes les forces politiques qui auront soutenu ma candidature au deuxième tour de scrutin. Quelles sont-elles ? On les connaît. Nous aurons l’occasion d’en parler plus profondément tout à l’heure avec monsieur Giscard d’Estaing. Que fera ce gouvernement ? Ce gouvernement, il devra présenter un programme, et là intervient un élément nouveau, dans ce sens que depuis de longues années, les chefs du gouvernement, Monsieur Messmer notamment, et ses prédécesseurs avant lui, n’ont plus jamais présenté de programme à l’Assemblée nationale assorti d’un vote, comme on pourrait dire, pour bien se faire comprendre, de confiance. C’est-à-dire que les différents gouvernements, n’ont pas véritablement soumis leur programme à l’assentiment du parlement, ils sont restés à côté de l’opinion des élus du peuple. Ils ne s’y sont pas intéressés. J’estime qu’il faut revenir à la règle constitutionnelle qui a été appliquée par le Général de Gaulle, pour ses premiers gouvernements, à savoir que le gouvernement devra présenter son programme. Et l’Assemblée nationale devra se prononcer sur ce programme. Quel sera ce programme, essentiellement... Puisque nous serons à la fin du mois de mai, il conviendra de s’attaquer d’abord à ce que Monsieur Giscard d’Estaing a jusqu’ici négligé, je veux dire à l’inflation; à la hausse des prix. Il faudra véritablement tenter de transformer une espèce de débandade, qui fait que le gouvernement actuel accepte tout et n’importe quoi, de peur peut-être de se compromettre ou de prendre ses responsabilités, ou bien alors, parce qu’il estime que l’inflation profite aux intérêts qui lui sont chers. Ce plan dit inflation sera donc soumis aux députés. Les députés l’accepteront ou le refuseront. Les députés accepteront ou refuseront la majorité que je présenterai, la composition du gouvernement qui aura été pratiquement admise par le Premier ministre et par moi-même. C’est à partir de là que nous saurons ce qui se passera. Monsieur Giscard d’Estaing a fait ses comptes, il les a fait assez large. Il semble que il s'attende à une forte majorité de 300 députés, la majorité absolue, aurait-il pu vous préciser, est de 246 suffrages; il pense donc qu’il n’aura pas d’accident parlementaire. En vérité, le trouble qui est consécutif à la mort du président Pompidou, les disputes très profondes de la majorité entre Monsieur Giscard d’Estaing et Monsieur Chaban-Delmas notamment ; les séquelles, enfin, ce qui reste, ce sont des cicatrices mal fermées ; cela signifie qu’il n’y a plus véritablement de majorité pour personne dans cette Assemblée nationale, mais enfin, il appartiendra aux députés de choisir. Le gouvernement fera confiance aux députés pour entamer le dialogue abandonné depuis trop longtemps. Et naturellement, un président de la République, si je suis celui-là, signifiera, comme l’a fort bien dit Monsieur Giscard d’Estaing, une capacité de changement. C’est vrai que ce ne sera pas la même chose. C’est vrai qu’il n’y aura sans doute plus, certainement plus Monsieur Messmer, c’est vrai qu’il n’y a aucune chance avec moi qu’il y ait un quatrième gouvernement Messmer... C’est vrai qu’il n’y aura plus la petite valse qui consiste d’une part, à avoir comme hier, une majorité UDR, républicains indépendants; pour avoir demain une majorité tout à fait transformée, c'est cela le changement sans risque, républicain indépendant UDR. C’est vrai que nous n’avons pas la même conception de l’avenir immédiat de la France. C’est vrai qu’après avoir constaté que pendant trop longtemps, certaines catégories sociales minoritaires, ont reçu l’essentiel du profit du travail de tous. C’est vrai qu’il faut maintenant que la majorité des Français reçoive son dû dans la production nationale. Mais de cela, nous aurons le temps de reparler, il est évident que si l’Assemblée nationale ne devait pas accepter ces propositions, elle serait dissoute.
Valéry d'Estaing Giscard
C'est ça, c’est le point important, effectivement, c’est ça en réalité, que nous attendions. Parce que il est certain que l’Assemblée nationale ne pourra pas soutenir le programme que vous proposerez; vous avez dit que votre gouvernement serait composé à l’image de votre majorité du second tour. Il se trouve qu’en venant ici, j’écoutais la radio, dans mon auto, et Monsieur Marchais parlait très clairement et indiquait qu’il y aurait selon lui, sept ministres communistes dans votre gouvernement. Je serais d’ailleurs intéressé de savoir, puisque  vous avez déjà choisi votre Premier ministre, vous êtes en effet en avance sur moi, mais j’attends le résultat du suffrage universel, de savoir si ces sept ministres communistes, vous avez une idée des fonctions que vous allez leur donner ou ne pas leur donner, parce que ceci intéresse directement les grandes catégories de Français.