Allocution de François Mitterrand sur la Toussaint sanglante

07 novembre 1954
06m 28s
Réf. 00086

Notice

Résumé :
Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, le Front de libération nationale (FLN) déclenche soixante-dix attentats sur le sol algérien faisant huit morts, quarante blessés et d'importants dégâts matériels. Cette nuit, ultérieurement connue sous le nom de Toussaint sanglante, marque le début de la guerre d'indépendance algérienne. Le 7 novembre, François Mitterrand, ministre de l'Intérieur, exprime à la radio la position du gouvernement. L'État s'engage à réprimer avec sévérité l'insurrection tout en menant en Algérie des réformes politiques, économiques et sociales.
Type de média :
Date de diffusion :
07 novembre 1954
Personnalité(s) :

Éclairage

En juin 1954, un gouvernement dirigé par Pierre Mendès France est investi par l'Assemblée nationale. Le travail de ce dernier en matière de décolonisation est décisif. En juillet, il met fin à la guerre d'Indochine avec la signature des accords de Genève. Le même mois, dans son discours de Carthage, il ouvre la voie vers l'autonomie du protectorat tunisien.

François Mitterrand est alors le ministre de l'Intérieur du gouvernement Mendès France. À ce titre, il est en charge de l'Algérie, territoire colonisé depuis les conquêtes militaires de la monarchie de Juillet dans les années 1830 et 1840. La IIe République et les régimes successifs font de l'Algérie, à la différence des autres colonies, un ensemble de trois départements français. Si la nationalité française est octroyée aux Algériens, il n'en va pas de même de la citoyenneté qui n'est attribuée qu'à quelques milliers d'entre eux. Durant plus d'un siècle, se met en place en Algérie un système colonial favorisant les Européens, qui ne représentent que 10% de la population de ces trois départements au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les Algériens, soit plus de huit millions de personnes, sont discriminés. Entre 1944 et 1947, quelques réformes institutionnelles sont votées sans qu'il n'y ait de véritables évolutions politiques et sociales favorables à ces derniers. En parallèle, les courants nationalistes algériens se renforcent malgré la répression de l'État.

Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, des attentats sont perpétrés par le Front de libération nationale (FLN). Ils marquent le début de la guerre d'indépendance algérienne. Aux revendications de souveraineté du FLN, le gouvernement répond par son intransigeance : « L'Algérie c'est la France » déclare François Mitterrand le 7 novembre à la radio. Cette affirmation doit être replacée dans le contexte de l'époque. Au début de la guerre, l'immense majorité des politiciens, à gauche comme à droite, la plupart des médias et l'opinion publique française ne conçoivent pas l'indépendance de l'Algérie. Pour beaucoup d'entre eux, il serait intolérable d'abandonner un territoire conquis au siècle précédent sur lequel vit désormais un million de Français.

Dans son allocution radiophonique, François Mitterrand ne se contente pas de condamner les assassinats commis par le FLN. Il affirme la volonté du gouvernement de réprimer sévèrement l'insurrection tout en œuvrant à davantage d'égalité entre l'ensemble des habitants de l'Algérie. La promesse de ces réformes à venir ne résiste ni aux oppositions conservatrices du lobby colonial ni à l'engrenage de la guerre. Pierre Mendès France et ses ministres sont mis en minorité à l'Assemblée Nationale le 5 février 1955 et doivent quitter le pouvoir.

La position de François Mitterrand, comme celle de nombreux Français, sur les rapports entre l'Algérie et la France évolue au cours de la guerre. D'abord favorable à l'assimilation, il défend ensuite une solution fédéraliste avant d'accepter l'idée de l'indépendance.
Victor Delaporte

Transcription

François Mitterrand
Il y a deux mois, la catastrophe d’Orléansville frappait l’Algérie et avec elle, la Nation française toute entière. Contre les rigueurs de la nature, les hommes s’unissaient, un grand mouvement de solidarité apportait à chacun un peu de consolation et beaucoup d’espérance. Mais voici qu’aujourd’hui, par la volonté de quelques uns, un nouveau drame atteint les trois départements d’Algérie. Pendant la nuit du 31 octobre au 1er novembre, on a tué, incendié, provoqué l’émeute et le désordre, et pourquoi ? Pourquoi donc furent-ils abattus ce jeune instituteur et sa femme, qui devaient le lendemain commencer leur belle et difficile mission au coeur même de l’Aurès ? Ils venaient apporter aux enfants algériens les leçons d’une vieille et haute culture, en même temps que les richesses d’un coeur fraternel. Que cherchaient donc leurs assassins ? Voulaient-ils aussi, en abattant le caïd de M’Chouneche, Ben Hadj Sadok qui retournait à son poste de responsabilité, crier leur hostilité contre les anciens combattants de l’armée ; ces anciens combattants qui fournissent tant de cadres, courageux et utiles à l’administration. Qu’a-t-on voulu prouver en tirant à bout portant sur ces jeunes soldats qui montaient la garde d’un casernement ? Crimes odieux contre d’innocentes victimes, crimes absurdes et qui seront châtiés, car celui qui emploie de tels moyens doit savoir qu’il sera frappé à son tour. En s’attaquant à nos compatriotes algériens, les meurtriers et les émeutiers ont dressé contre eux la force française. Cette force défendra la justice en maintenant l’unité nationale, en protégeant ceux qui travaillent et ceux qui peinent, en rétablissant la paix civique. Appuyée sur la volonté de concorde et de progrès de l’immense majorité du peuple, elle interdira aux agitateurs, le plus souvent recrutés à l’étranger, la poursuite d’une oeuvre de destruction. Si les meneurs ont voulu alerter l’opinion internationale, à la veille d’une session des Nations Unies, ils ont eu tort. L’Algérie, c’est la France, et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne. Le seul arbitre des différends entre les citoyens, c’est l’État. Le seul responsable de l’ordre, c’est l’État. Et il ne peut y avoir d’autre juge que lui et d’autre autorité que la sienne lorsque l’unité nationale est en jeu. Les meneurs ont-ils cru que l’opinion française se diviserait et finalement les laisserait agir à leur guise ? Ils ont alors oublié que derrière le Gouvernement, tous les Français, qu’ils soient de la métropole ou de l’Algérie se grouperaient pour défendre le bien commun, la terre commune, la République, enfin. Ou bien, ont-ils obéi par irréflexion aux mots d’ordre de ces étrangers sans scrupule qui, chez eux, ne sont capables ni de sauvegarder l’ordre, ni de créer la prospérité, ni d’élever le niveau de vie des travailleurs, ni d’abattre les injustices. S’ils sont alors sacrifiés, sauront-ils pour quelle cause, et se rendent-ils compte qu’on les trompe au bénéfice d’intérêts qui ne sont pas les leurs ? Peut-être aussi, ces meneurs ont-ils compris que la politique d’égalité et de progrès poursuivie par le Gouvernement de la France allait permettre à tous les Algériens de se réconcilier dans une oeuvre commune, ils ont voulu empêcher cela ! Le terrain qui leur convient, c’est la haine et c’est la misère. Une politique de démocratie sociale, voulue et mise en oeuvre par le Gouvernement, voilà donc ce que craignaient avant tout les séparatistes. Pressés d’agir, ils ont voulu leur nuit sanglante. Et cependant, ils n’ont réussi qu’à fortifier encore notre résolution. En effet, le Gouvernement a tout de suite pris la décision, toutes les décisions nécessaires. Des renforts militaires ont été envoyés et répartis là où cela était utile. Sur tout le territoire algérien, armée et police ont resserré leur réseau de surveillance et de contrôle. Un parti qui a choisi la lutte armée contre la Nation a été dissous. De nombreux chefs de bandes ont été arrêtés. Chaque jour verra l’autorité de l’État s’affirmer davantage. Qu’on ne croie pas non plus que les menaces et l’agitation affaibliront notre volonté de conduire le peuple d’Algérie vers des étapes nouvelles afin que son statut entre de plus en plus dans les faits. Investissements et grands travaux, formations professionnelles, fonction publique, décentralisation administrative, multiplication des collectivités locales de plein exercice seront l’objet de prochaines mesures. Déjà, l’augmentation des bas salaires a été décrétée, un grand effort sera fait pour améliorer la condition des travailleurs algériens en France. Tout cela, je l’ai dit récemment encore à l’Assemblée Algérienne. Avec le concours des élus parlementaires, des délégués à cette Assemblée, des conseillers généraux, des maires, des présidents de djemaa et de centres municipaux, l’oeuvre sera poursuivie sans relâche. Nous ne nous laisserons pas détourner de nos objectifs. Il nous suffit pour cela de mesurer d’un regard l’étendue du chemin déjà parcouru par l’Algérie. Il nous suffit également de pouvoir compter en toute certitude sur la libre et entière adhésion des populations musulmanes qui n’a jamais cessé de se manifester dans les rudes épreuves, et en particulier au cours de ces derniers jours. Que la fête du Mouloud, que tous les musulmans du monde s’apprêtent à célébrer avec une égale ferveur et une même espérance, soit placée pour nos compatriotes d’Algérie sous le signe des grands principes spirituels où se rejoignent du fond de l’histoire les idéaux qui animent pour jamais les membres inséparables de la Communauté Française. Et que tous sachent que lorsque le danger menace, l’unité des citoyens, la force de la loi, la grandeur de la République sauront toujours rester maîtresses du destin de la France.