François Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing et le « monopole du coeur »

10 mai 1974
01m 52s
Réf. 00177

Notice

Résumé :
Débat d'entre-deux-tours opposant les deux candidats à l'élection présidentielle de 1974, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand.
Type de média :
Date de diffusion :
10 mai 1974

Éclairage

À moins d’une semaine du second tour de l’élection présidentielle de 1974 qui oppose Valéry Giscard d’Estaing, candidat d’une majorité en crise face à François Mitterrand, candidat de la Gauche unie, se tient le premier débat télévisé d’entre deux tours qui attire près de 7 spectateurs sur 10. Evènement politique et médiatique, le débat reste célèbre notamment à travers les « petites phrases » de Valéry Giscard d’Estaing à son adversaire lorsqu’il qualifie François Mitterrand d’« homme du passé » – une réplique à « l’homme du passif » – et lui rétorque « Vous n’avez pas le monopole du cœur ».

La campagne électorale est courte. Après le décès du Président Georges Pompidou le 2 avril 1974, les candidatures affluent pour le scrutin qui a lieu les 5 et 19 mai. A gauche, dès le 5 avril, les trois partis politiques du du Programme commun désignent François Mitterrand comme candidat unique et le 7 le PSU de Michel Rocard l’approuve. Seuls Alain Krivine et Arlette Laguiller à gauche se présentent.

A droite, la situation est plus compliquée, mais par diverses manœuvres c’est Valéry Giscard d’Estaing, ministre de l’Économie et des Finances, qui apparaît comme le leader de la droite. Sa maîtrise de l’outil télévisuel donne davantage d’écho à sa campagne qu’il oriente sur sa personne : il se présente en candidat ouvert et tolérant et met en avant sa jeunesse.

Valéry Giscard d’Estaing est conscient de la nécessité d’employer des techniques de communication pour modeler son image. Après avoir rencontré l’ex-conseiller de Kennedy, il s’entoure d’un conseiller en communication, Jacques Hintzy, qui est à la tête de l’agence Havas Conseil. François Mitterrand, à l'inverse, fort de l’Union de la gauche qui le soutient après la signature du Programme commun en 1972, mène sa campagne et le débat sur l’alternative qu’il représente. Cet extrait en témoigne.

Tentant d’attirer Valéry Giscard d’Estaing sur le terrain du clivage, alors que celui-ci donne le rythme du débat, il se trouve piégé par un fin stratège. Valéry Giscard d’Estaing a toujours nié avoir préparé cette « petite phrase ». Elle appartient pourtant à un de ses axes de communication sur sa personne : contrer son image de technocrate et donc d’homme froid.
Léa Pawelski

Transcription

François Mitterrand
Le moment est venu, Monsieur Giscard d’Estaing, depuis longtemps, où il aurait fallu utiliser cette richesse créée par tous afin que le plus grand nombre vive. C’est ça, je dirais, c’est presque une question naturellement d’intelligence, c’est aussi une affaire de cœur. Il n’est pas acceptable qu’il y ait une petite catégorie de privilégiés qui sont servis par toutes vos lois, en particulier par vos lois fiscales, qui se tirent de tout, qui reçoivent des jetons de présence, des tantièmes, des bénéfices dans les conseils d’administration, des sommes énormes et scandaleuses ; que la plupart des grandes sociétés aient des bénéfices sans comparaison possible avec qui que soit d’autre, tandis que tant de millions de gens vivent difficilement. Alors je crois que la troisième époque de notre histoire, je parle de l’avenir, Monsieur Giscard d’Estaing, c’est précisément….
Valéry Giscard d'Estaing
Oui, mais vous parlez de l’avenir en prenant sur mon temps Monsieur Mitterrand.
François Mitterrand
C’est précisément, vous aurez le temps d’en finir.
Valéry Giscard d'Estaing
Non, non c’est important ! J’ai beaucoup de choses à dire sur ce que vous venez de dire, et je réponds.
François Mitterrand
C’est de répartir plus justement les fruits de l’effort national.
Valéry Giscard d'Estaing
Mais je suis sur ce point…
François Mitterrand
Et c’est là que j’engage ma candidature, et on sait bien que ce sont les forces politiques et syndicales qui se sont rassemblées derrière moi. Et que c’est ma candidature et mon programme d’action qui permettront demain à la France d’engager la grande aventure, l’admirable aventure, non seulement de la réussite économique mais aussi du progrès social. C’est là tout notre débat !
Valéry Giscard d'Estaing
Eh bien, Monsieur Mitterrand, si on vous a écouté comme je vous ai écouté avec intérêt, on est convaincu que ce qu’il faut faire, ce n’est pas ce que vous proposez. D’abord, je vais vous dire quelque chose, je trouve toujours choquant et blessant de s’arroger le monopole du coeur. Vous n’avez pas, Monsieur Mitterrand, le monopole du coeur, vous ne l’avez pas.
François Mitterrand
Sûrement pas !
Valéry Giscard d'Estaing
J’ai un coeur comme le vôtre qui bat à sa cadence et qui est le mien, vous n’avez pas le monopole du coeur. Et ne parlez pas aux Français de cette façon si blessante pour les autres.