Le général Jaruzelski reçu à l'Elysée

04 décembre 1985
04m 31s
Réf. 00219

Notice

Résumé :
Le 4 décembre 1985, le président Mitterrand devient le premier chef d'État et de gouvernement occidental à recevoir le chef de l'État polonais, le général Jaruzelski, auteur de la répression contre le syndicat Solidarité (Solidarność) en 1981. Cette entrevue suscite en France une certaine émotion et quelque incompréhension.
Date de diffusion :
04 décembre 1985
Source :
Antenne 2 (Collection: Midi 2 )
Lieux :

Éclairage

Le 4 décembre 1985, le président Mitterrand devient le premier chef d'État occidental à accorder une entrevue au général Jaruzelski, chef de l'État polonais, responsable de la répression du 13 décembre 1981 à l'encontre du syndicat Solidarité (Solidarność), porteur de revendications démocratiques dont l'écho s'était largement fait entendre en France. Si l'on considère que ce même général Jaruzelski déclarait deux ans auparavant à la télévision polonaise que "la Pologne sera pour l'actuelle administration française un Diên Biên Phu diplomatique", la rencontre, même effectuée à la demande de la partie polonaise, a de quoi surprendre.

Au-delà des inquiétudes manifestées par les proches du syndicat Solidarité, le Premier ministre Laurent Fabius lui-même, interpellé au cours de la séances des questions au gouvernement de l'Assemblée nationale, ne s'est-il pas déclaré "personnellement troublé" par la visite du dirigeant controversé ? Même si le général est entré côté jardins et qu'il n'a pas été accueilli sur le perron par le président français, la visite a "choqué" l'opposition parlementaire, à l'image de l'ancien Premier ministre Raymond Barre, et bon nombre de parlementaires socialistes dont certains choisissaient de siéger en portant un badge de Solidarité.

Si l'opposition polonaise incarnée par Solidarité et Lech Wałęsa déclarait préférer attendre les résultats de cette visite sur le peuple polonais pour se prononcer, celle-ci représentait bien une rupture dans la diplomatie française qui prit de court nombre de ses partenaires, et s'apparentait à un brevet de respectabilité décerné à Wojciech Jaruzelski. Interrogé sur ce revirement, François Mitterrand assumait l'entrevue en déclarant que face aux difficultés rencontrés par la Pologne et par les Polonais, il avait choisi la voie du dialogue.
Vincent Duchaussoy

Transcription

(Musique)
Noël Mamère
Bonjour à tous. Pourquoi ? C’est la question que se posent ce matin journalistes, hommes politiques et opinions publiques. Pourquoi le Président Mitterrand reçoit-il en son Palais de l’Élysée le Général Jaruzelski, symbole du coup de force du 13 décembre 81 contre le syndicat Solidarité, gestionnaire de la pénurie dont souffrent les Polonais, dirigeant d’un pays où a été assassiné le père Popieluszko et plus récemment, responsable de l’expulsion de 35 universitaires de renom qui parlaient trop clair, si je puis dire. Pourquoi cette volte face du Président français qui, en Europe, fut l’un des Chefs d’État à observer la position la plus intransigeante à l’endroit de la Pologne de Jaruzelski. Brève réponse du Président Mitterrand hier, alors qu’il quittait Luxembourg. "Mon état d’esprit est que la France doit venir en aide aux Polonais", et dans le journal Le Matin d’aujourd’hui, "Vous connaissez la position de la France sur la pratique des libertés en Pologne et notamment les libertés syndicales et religieuses". Ainsi, le Président français est-il devenu tout à l’heure le premier dirigeant occidental à recevoir le chef de la Pologne normalisée. Il était un peu plus de 10 heures 30 lorsque le Général Jaruzelski est arrivé au Palais de l’Élysée, Philipe Gassot.
(Bruit)
Philipe Gassot
Visite privée à caractère officiel, visite officielle teintée de privé, difficile de qualifier le voyage du Général Jaruzelski. Tout d’abord, peut-être, une petite erreur du protocole. Le général se présente Faubourg Saint-Honoré devant les grilles de la cour d’honneur, les portes restent closes, le premier Polonais n’est pas attendu de ce côté-là mais côté jardin. Il faut bien faire marche arrière et se rendre côté jardin, une entrée plus discrète vers la grille du coq. Le convoi fait le tour du pâté de maisons.
(Bruit)
Philipe Gassot
Beaucoup de journalistes attendaient côté jardin depuis le matin. Dans ces jardins de la présidence, la garde républicaine attend. Musique militaire certes, mais pas d’hymne national. Avec une raideur toute militaire, le Général Jaruzelski a, pour la circonstance, échangé ses lunettes strictes et foncées contre une monture plus moderne. La poignée de main et le baisemain, rigueur militaire, et la visite au Chef de l’État. L’entretien n’aura pas duré une heure, comme prévu, mais près d’une heure et demie.
(Bruit)
Philipe Gassot
À la sortie, le Général Jaruzelski n’a pas hésité à s’adresser aux journalistes.
Wojciech Jaruzelski
C’est une conversation très utile, très sincère. Il y a naturellement nombreuses questions que l’on peut discuter, mais nous étions d’accord qu’il faut renforcer et développer les relations de la Pologne et de la France pour le bien de nos peuples, pour le bien de la paix en Europe et dans le monde.
(Bruit)
Noël Mamère
Le Général Jaruzelski qui, avant de repartir pour Tunis, avait exprimé le désir de faire une promenade sur les bateaux-mouches ne la fera puisque la société indiquait qu’elle refusait sa présence sur ses navires. L’entretien entre les deux hommes a donc duré une heure, les soixante minutes dont disposait le Président Mitterrand entre le Conseil des ministres et son départ pour Fort-de-France. Comme vous pouvez vous en douter, peu de choses ont donc filtré de ces discussions, la discrétion étant de rigueur depuis le début de cette affaire. Et pour tenter de comprendre un petit peu mieux les raisons qui ont conduit François Mitterrand à accepter cette visite du général polonais, une seule référence officielle, cette brève déclaration du Chef de l’État au moment de son départ du Luxembourg.
François Mitterrand
Mon état d’esprit est que la France doit venir en aide aux Polonais. Mais que le problème, qui semble aujourd’hui discuté par une partie de l’opinion, c’est, quelle est la meilleure façon ? Moi, j’ai conclu que la meilleure façon, c’était en discutant et en proposant plutôt qu’en s’ignorant. Cela dit, je ne suis pas à l’origine de cette rencontre, elle m’a été demandée par le Chef de l’État de Pologne.