François Mitterrand contre la loi de programmation militaire de 1964

02 décembre 1964
57s
Réf. 00267

Notice

Résumé :
Cet enregistrement exclusif retranscrit la séance de débat parlementaire qui se tient à l’Assemblée nationale, le 2 décembre 1964, au sujet de la loi de programmation militaire. C’est un document d’archive rare puisqu’il permet d’entendre les premières positions de François Mitterrand sur les questions de défense, radicalement opposées, à l’époque, à celle du général De Gaulle. Ecouter ce discours permet par la suite de mesurer, rétrospectivement, quelle est l’évolution de Mitterrand à ce sujet, avant que celui-ci ne parvienne à son tour à la fonction de chef de l’Etat en 1981.
Type de média :
Date de diffusion :
02 décembre 1964

Éclairage

Lorsque François Mitterrand prend la parole à l’Assemblée nationale, ce mercredi 2 décembre 1964, il vient de regagner son siège de député de la Nièvre depuis 1962, après l’avoir perdu à l’issue des élections législatives de 1958. Mais c’est surtout en tant que principal opposant au Général de Gaulle et en tant que futur candidat à l’élection présidentielle de 1965 qu’il exprime ici ses positions sur la deuxième loi de programmation militaire - après celle de décembre 1960.

Très critiques, les propos de Mitterrand s’inscrivent dans un contexte bien précis. En 1964, cette nouvelle loi vise à définitivement mettre en œuvre les conceptions du Général De Gaulle en matière de défense : doter la France d’une force de dissuasion strictement française, assurant ainsi son indépendance nationale vis-à-vis des forces alliées occidentales. En effet, depuis 1962, plusieurs pourparlers entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne envisagent de faire participer la France à la création d’une Force multilatérale (M.L.F), composée de sous-marins à fusées américaines mais à équipages nationaux. C’est pour éviter un droit de regard extérieur sur la constitution de la force de frappe française, incompatible avec le principe de l’indépendance nationale, que De Gaulle refuse de répondre favorablement à ces propositions anglo-saxonnes. Dans l’esprit du chef de l’Etat, la loi de programmation de 1964 doit donc, devant les parlementaires, justifier ce choix d’une défense « franco-française » et expliquer les modalités financières qui permettront à la France de se doter d’une force nucléaire nationale.

Cet extrait du discours de François Mitterrand résume très bien les motifs de désaccord entre l’opposition parlementaire – dont il est le leader – et les défenseurs de cette loi. Par le recours marqué à la forme anaphorique, il explique avec conviction à son auditoire les quatre raisons qui, à ses yeux, rendent ce texte inadapté au contexte stratégique de l’époque : il n’y a pas de force de dissuasion française absolue puisque la supériorité nucléaire américaine et soviétique condamne la France à ne pouvoir causer que des dommages partiels en cas de conflit atomique ; il n’y a pas de force de dissuasion française absolue puisque le coût d’un tel programme nucléaire national risque de compromettre son arrivée à terme ; il n’y a pas de force de dissuasion française absolue si l’effort consacré à l’acquisition de l’arme nucléaire entraîne une négligence du développement des armes conventionnelles participant, elles aussi, à la sécurité des Français ; il n’y a pas de dissuasion française absolue si le choix de l’indépendance nationale conduit la France à l’isolement au lieu de l’inscrire dans la construction d’une défense européenne.

Rétrospectivement, Mitterrand semble déjà faire acte de campagne contre De Gaulle et le gaullisme. En s’opposant à cette loi de programmation militaire, l’auteur du Coup d’Etat permanent clarifie ses positions en tant que candidat potentiel à la fonction de chef de l’Etat, sur deux points essentiels : plutôt que de voir la France participer à sa manière à la prolifération nucléaire, il veut qu’elle œuvre pour le maintien de la paix ; plutôt que de la voir s’isoler au prix de son indépendance nationale, il souhaite que la France prenne activement part à la construction européenne.
Alice de Lyrot

Transcription

François Mitterrand
Il n’y a pas de dissuasion absolue si l’agresseur éventuel sait que l’armement français ne peut lui causer que des dommages partiels tandis que lui pourrait anéantir notre pays. Il n’y a pas de dissuasion absolue si l’agresseur éventuel sait que la France n’est pas en mesure d’aller au bout de son programme. Il n’y a pas de dissuasion absolue si l’agresseur éventuel sait que la France n’a pas pris les dispositions convenables pour assurer la survie des populations françaises. Il n’y a pas de dissuasion absolue lorsqu’on est un pays seul qui risque de se présenter seul au moment de l’échéance d’épouvante.