Conférence de presse du sommet du G7 de Versailles

05 juin 1982
12m 37s
Réf. 00289

Notice

Résumé :
À Versailles, alors que le sommet du G7 bat son plein, François Mitterrand aborde avec les journalistes les discussions en cours entre les sept principales puissances industrialisées.
Date de diffusion :
05 juin 1982
Personnalité(s) :

Éclairage

Dans la salle du Congrès du château de Versailles, François Mitterrand donne une conférence de presse en tant que président du Groupe des pays industrialisés pour l'année 1982. Alors que le Sommet s'est ouvert la veille et doit s'achever le lendemain, François Mitterrand évoque avec les journalistes de la presse française et internationale les thèmes abordés au cours des discussions avec ses homologues allemand, américain, britannique, canadien, italien et japonais, auxquels s'ajoutent deux représentants de la Communauté européenne. Les dossiers économiques et de politique internationale dominent les débats.

La conférence de presse s'ouvre ainsi sur la guerre des Malouines, après le débarquement de l'armée argentine au mois d'avril sur cet archipel au large de l'Argentine sur lequel le Royaume-Uni revendique sa souveraineté, et à quelques jours de la signature d'un cessez-le-feu qui actera la défaite de la junte militaire au pouvoir à Buenos Aires. François Mitterrand rappelle à ce titre l'attachement des Sept à mettre fin au cycle de violence, pour trouver une issue à ce conflit.

Au chapitre économique figure particulièrement la situation monétaire internationale. Au cours du sommet de Versailles, la France et le ministre des Finances Jacques Delors plaident pour une régulation du système monétaire international, particulièrement instable depuis que les États-Unis ont mis unilatéralement fin, en 1971, à la convertibilité du dollar en or, précipitant l'ensemble des monnaies dans un régime de changes flottants. Le dessein français est donc de retrouver des poches de stabilité à travers la mise en œuvre d'interventions concertées des banques centrales sur le marché des changes. Parmi les autres thématiques abordées, le président Mitterrand rappelle notamment l'engagement commun des Sept en faveur du financement du développement.
Vincent Duchaussoy

Transcription

Journaliste 1
Au sujet des problèmes monétaires, Monsieur le Président, je voulais vous demander si la France était prête à accepter un certain contrôle de la vie monétaire internationale de la part du Fonds Monétaire, du FMI ?
François Mitterrand
Un contrôle de ?
Journaliste 1
Un contrôle de la vie monétaire, un contrôle du mouvement des changes de la part du Fonds Monétaire International ?
François Mitterrand
La France n’est pas décidée à n’importe quoi, mais la France est l’un des pays qui proposent. Qui propose, donc il ne s’agit pas de dire qu’elle subit, c’est un pays qui propose que de l’ordre soit mis dans le domaine monétaire. Nous sommes un des pays demandeurs, estimant que la guerre économique qui se livre entre des pays alliés et amis rend insupportable et en même temps tout à fait difficile l’harmonie de nos positions sur les autres terrains. En plus, cela complique la vie de chacun. Donc, la France est un pays demandeur, et pour l’instant, je ne vous parle pas essentiellement du Fonds Monétaire International, je vous parle de l’amorce de régularisation, d’assainissement ou de stabilisation des cours des monnaies. Bien entendu, cela se fera en relation avec le FMI mais c’est un autre sujet. Monsieur, oui ?
Journaliste 2
Monsieur le Président, je suis le directeur d’un journal italien, Le Peuple Nouveau. J’avais déjà eu l’honneur de vous poser une question à Rome. Mais cette fois, je veux vous demander comment vous pensez possible de concilier toutes les déclarations d’aide et de bonne volonté faites par les pays industrialisés vers les pays émergents ?
François Mitterrand
Entre ?
Journaliste 2
Lorsqu’il devient aussi facile une guerre entre un et un autre pays entre appartenant à deux parties, vous ne croyez pas que le conflit aux Malouines a élargi l’écart déjà si dramatique entre les pays industrialisés et les pays émergents ?
François Mitterrand
Ce que je peux vous dire, c’est que je ne m’exprime pas ici, pour l’instant, c’est une fonction qui me fera d’ici peu m’exprimer, mais je ne m’exprime pas ici en qualité de Président de la République Française, je m’exprime en tant que Président de la Conférence du Sommet des Pays Industrialisés. Je ne vais donc pas étendre cette rencontre de ce soir, qui n’est d’ailleurs que préparatoire à celle de demain, par toute une série de considérations qui me seraient personnelles, ou qui viseraient simplement la politique de mon pays par rapport à l’ensemble des problèmes qui se posent sur la surface de la planète. Donc, il ne faut pas qu’il y ait de malentendu entre nous, ce n’est pas l’objet de cette rencontre. Je suis là pour vous informer de l’état de nos travaux. Alors, je vous ai déjà dit qu’il y avait eu hier soir un long entretien, un long échange de vues entre les neuf principaux participants sur la guerre des Malouines. Alors, si vous me posez des questions là-dessus, je ne suis pas d’ailleurs autorisé à vous révéler ces conversations qui n’ont pas fait l’objet jusqu’alors d’un document public, bon ; mais il n’est pas difficile d’imaginer qu’à la fois, la solidarité qui s’exerce à l’égard de notre alliée, la Grande-Bretagne, face à ce qui ne peut pas s’appeler autrement qu’une agression, sans poser le problème du droit à l’origine sur la souveraineté ou sur les capacités juridiques détenues par tel ou tel autre pays ; mais nous ne pouvons pas accepter qu’un problème de ce type soit réglé par la violence, ou alors, à quoi s’engagerait-on ? On a protesté dans d’autres circonstances, on le devait dans celle-là. À partir du moment où la Grande-Bretagne usait de son droit de défendre ce qu’elle estimait être une possession, et surtout de refuser le fait de la violence, tous les pays alliés de la Grande-Bretagne, lorsqu’ils se trouvent en Europe occidentale, ont naturellement affirmé leur solidarité. Mais ils ne pouvaient pas oublier non plus les très profondes affinités qui existent entre l’Amérique Latine et nos civilisations d’Europe Occidentale. À quoi s’ajoute la réalité quotidienne de relations qui sont généralement profondes et bonnes entre nos peuples, c’est ça, la vie politique. Nous voyageons face aux événements, entre des dangers, des périls et sur le mode mineur, des inconvénients, il faut choisir mais pas au-delà de la nécessité. Ce qui veut dire que nous avons débattu de ce qui pouvait maintenant survenir selon la décision des armes et le voeu général est qu’il soit possible de parvenir, comme l’indiquait la résolution 502 des Nations Unies, à un cessez-le-feu qui permettrait de débattre, cette fois-ci en paix, avec toutes les amitiés retrouvées, la possibilité de chercher une issue qui convienne aux parties prenantes.
Sylvain Gouz
Sylvain Gouz, TF1, Monsieur le Président, dans votre exposé, ce matin, vous avez, en préambule, me semble-t-il, invité vos homologues à se mettre d’accord sur la nature et l’origine de la crise économique que nous traversons depuis quelques années. Avez-vous le sentiment, à l’issue de la discussion, que cet accord sur les origines et les causes de cette crise se soit révélé existant ?
François Mitterrand
L’objet essentiel n’était pas celui des causes, bien que naturellement, et je comprends le sens de votre question, bien qu’on n’ait pas pu séparer arbitrairement l’examen des remèdes sans avoir analysé l’origine de la crise mondiale. Et l’une des raisons principales de cette crise, c’est reconnu par tous, tient au fait qu’une nouvelle révolution industrielle a suivi les progrès de la science et de la technique ; et que, comme toujours, et c’est cela le problème central, cette mutation technologique n’a pas été préparée ou suivie par les responsables politiques. De telle sorte qu’un décalage s’est produit, spécialement depuis dix ans, comme il s’était produit au moment des deux premières révolutions industrielles, mais avec un caractère plus aigu encore, entre le moment où explose le progrès technologique et le moment où la société s’y adapte ; le moment où l’ancienne société s’effondre avec une formidable déperdition des emplois, tandis que tarde à naître la nouvelle société avec la projection des emplois nouveaux. Or, tout le problème consiste à faire que la révolution technologique, qui est naturellement, c’est son nom, révolution, qui porte en elle un puissant changement, soit accompagnée ; accompagnée par exemple de la formation professionnelle pour qu’une main-d’oeuvre soit immédiatement mise en mesure de maîtriser la nouvelle technologie ; pour que ces technologies produisent très rapidement, dans les domaines où elles le peuvent, la création d’emplois. Quand il y a robotisation, il faut aussi fabriquer les robots, et les robots ne viennent pas de nulle part. Ils viennent de la connaissance d’une science et d’une technique, généralement électroniques, qui supposent des connaissances et qui doivent employer des centaines de milliers de personnes, pour ne prendre que cet exemple. Mais j’irai plus loin, dans certains domaines, prenons celui de la santé, les technologies, les biotechnologies, sur le plan de l’alimentation, sur le plan du médicament, peuvent permettre, si cela est bien géré, de modifier considérablement la façon dont est supportée la charge de santé qui, comme vous le savez est l’un des facteurs principaux du déséquilibre des prélèvements obligatoires dans la plupart de nos pays ; et une prévention sociale, en même temps que ses effets curatifs, qui n’irait pas en moins mais en plus pour assurer la protection générale. Et cependant, la technologie doit permettre de penser, on en connaît assez pour pouvoir l’affirmer, que cela se ferait dans des conditions infiniment plus économiques. Mais pas tout de suite, au contraire. Il faut donc hâter la transition. Pour cela, il faut s’en assurer la maîtrise et, d’abord, il faut y penser, combien de gens n’y ont jamais pensé ? Prenez le cas de l’agriculture. On a déjà constaté, ce n’est pas du tout voyager dans l’utopie, que l’autosuffisance alimentaire était possible simplement en démultipliant les moyens de production agricole des pays du tiers-monde. C’est ce qu’est en train de démontrer, dans la réalité quotidienne, un pays comme l’Inde, à compter du moment où telle ou telle forme de bioénergie, de biotechnologie, est en mesure de démultiplier cette production. C’est ce qui se produit dans plusieurs autres pays du tiers-monde. Des pays qui disposent d’une certaine richesse, et donc du moyen d’investir, peuvent considérablement modifier les données des industries agroalimentaires et de la nourriture dans le monde. C’est-à-dire, à la fois aboutir à une meilleure économie, prise dans les deux sens du terme, l’économie en général, mais aussi le sens de l’économie, être économe des forces de l’humanité, tout en produisant davantage. Alors, tout cela a été étudié et je peux vous dire, Monsieur Gouz, que les sept autres délégations, autres que celle de la France, sont intervenues après que j’aie fait ce rapport introductif, et que chacun a ajouté ses suggestions, a fait valoir ses observations, toutes sont allées dans le même sens, en considérant que c’était une démarche essentielle ; bref une dimension nouvelle pour l’appréhension du monde moderne par les pays en question. Monsieur ? Ce n’est pas la peine de vous retourner, c’est à vous, c’est ça, très bien, et le micro vous arrive.
Journaliste 3
Pour revenir au problème monétaire, est-ce que le Président Reagan a accepté le principe d’une intervention américaine sur les marchés des changes ?
François Mitterrand
Je vous ai dit tout à l’heure que le principe d’interventions, au pluriel, sur le marché des changes avait été retenu, que l’on débattait de ses modalités, que tout cela ferait l’objet du rapport à l’heure actuelle mis au point par les ministres de l’économie et des finances, et qui seront réexaminé par les représentants personnels avant demain matin.