Déclaration de candidature à la présidentielle

22 mars 1988
07m 44s
Réf. 00044

Notice

Résumé :
Président de la République depuis 1981, forcé à une cohabitation avec Jacques Chirac depuis 1986, François Mitterrand annonce, le 22 mars 1988 lors du journal de 20 heures d’Antenne 2, sa quatrième candidature à l’Elysée. Si celle-ci ne surprend personne, son acharnement à dénoncer les clans et les bandes ne laisse, en revanche, d’étonner.
Date de diffusion :
22 mars 1988
Source :
Antenne 2 (Collection: JT 20H )

Éclairage

En mars 1986, après la victoire de la droite aux législatives, la France est entrée en cohabitation, François Mitterrand n’ayant d’autre choix que d’appeler le président du RPR Jacques Chirac à Matignon. Profitant des ambigüités de cette situation institutionnelle et des difficultés du gouvernement, le chef de l’Etat voit alors sa popularité rapidement remonter au point d'apparaître bientôt comme le favori de l’élection présidentielle prévue au printemps 1988. Au début de cette année, il semble même presque assuré de l’emporter. Reste à déclarer sa candidature.

Pendant que Michel Rocard, le Parti socialiste et diverses personnalités animent longtemps la précampagne dans son camp, François Mitterrand fait longtemps durer le faux suspense. Il n’y met un terme que le 22 mars, trente-trois jours seulement avant le premier tour, sur le plateau d’Antenne 2 devant les journalistes Henri Sannier et Paul Amar.

Il lui faut aussi donner un sens à cette décision. Le sortant surprend alors en se livrant à une charge virulente contre « les partis, les groupes, les factions » qui iraient jusqu’à menacer la « paix civile » et la « paix sociale ». Plus encore qu’à ranimer une conscience de gauche – en 1965 déjà, il dénonçait l’accaparement de l’Etat par l’ancêtre du RPR –, elle doit lui permettre d’incarner un président énergique et déterminé mais surtout rassembleur avec la « France unie » comme slogan et pour qui l’âge n’est synonyme que de sagesse. Elle ouvre ainsi vers une campagne qui, malgré quelques nouveaux éclats de surenchère verbale, se veut très désidéologisée. En particulier, le président, comme il le souligne dès l’annonce de sa candidature, malgré la publication de La Lettre à tous les Français le 7 avril, ne propose pas de véritable programme car dans ce cas il ne confondrait plus – unique trace d’humilité surtout destinée à souligner ce qui le sépare de ses adversaires – son rôle et celui du Premier ministre.

Cette stratégie, qui s’appuie sur une position politique tout à fait exceptionnelle, est un succès. Après un excellent premier tour (34,1 %), François Mitterrand est aisément réélu (54,0 %) le 8 mai face à son Premier ministre.
Antoine Rensonnet

Transcription

Henri Sannier
Monsieur le Président, bonsoir, et merci d’avoir accepté l’invitation de la rédaction d’Antenne 2, ma première question est simple et directe à la fois, vous allez le voir. Quelque chose me dit d’ailleurs que je serai le dernier journaliste de France et de Navarre à vous poser cette question : Monsieur le Président, êtes-vous à nouveau candidat à la Présidence de la République ?
François Mitterrand
Oui.
Paul Amar
Vous avez mûrement réfléchi ?
François Mitterrand
Je le crois.
Henri Sannier
On peut savoir quand vous avez pris cette décision, certains disent c’est en juillet 87, d’autres disent c’est pendant les fêtes de fin d’année.
François Mitterrand
Je n’en sais rien moi-même.
Paul Amar
Au fond, pourquoi briguez-vous un second mandat, Monsieur le Président, j’allais dire, Monsieur le candidat ?
François Mitterrand
Vous savez, depuis déjà, quelques mois, j’ai beaucoup écouté les discours des uns et des autres et dans tout ce bruit, j’aperçois un risque pour le pays de retomber dans les querelles et les divisions qui, si souvent, l’ont miné. Eh bien, je veux que la France soit unie, et elle ne le sera pas si elle est prise en main par des esprits intolérants, par des partis qui veulent tout, par des clans, ou par des bandes. Elle ne sera pas non plus, et sur le premier point, j’insiste, car il faut la paix civile à la France, si on veut qu’elle soit prête à aborder le temps qui vient.
Paul Amar
Monsieur Mitterrand, très franchement, ce sont là les circonstances exceptionnelles dont vous avez parlé ?
François Mitterrand
Je n’ai pas terminé sur ce point, je ne ferai pas un long discours, ayez la patience de m’entendre. J’ai dit que la France ne sera pas unie non plus, si des intérêts particuliers, égoïstes par nature, exercent leur domination sur le pays, au risque de déchirer le tissu social, d’empêcher la cohésion sociale qui correspond à la cohésion nationale nécessaire. Alors, je dis, il faut la paix sociale, il faut la paix civile, il faut la paix sociale. Alors, vous m’avez posé la question en m'interrompant...
Paul Amar
Vous avez dit, vous avez dit un jour, "je ne me présenterais qu’en cas de circonstances exceptionnelles".
François Mitterrand
Oui...
Paul Amar
Apparemment, vous venez de donner une définition...
François Mitterrand
Oui...
Paul Amar
Honnêtement, Monsieur le Président, la démocratie n’est pas menacée, le pays est en paix...
François Mitterrand
Il faut toujours prendre des précautions. Tout ce que j’ai vu, je viens de vous le dire, mérite la plus extrême attention. Alors, les circonstances internes, exceptionnelles, ne sont pas d’ordre spécialement international aujourd’hui, bien qu’on aura l’occasion d’en parler d’autres fois... Par un concours de circonstances, qu’on appellera, si vous voulez, exceptionnel, que je n’attendais pas, que je ne désirais pas, et bien oui, il m’est apparu, et pas à moi seul, que j’étais en mesure de faire front pour éviter ces germes de division dont je viens de parler.
Paul Amar
À qui faites-vous allusion, Monsieur Mitterrand ?
François Mitterrand
Eh bien, je crois, j’ai fait allusion tout à l’heure d'une façon très claire…
Paul Amar
À vos adversaires ?
François Mitterrand
Aux partis, aux groupes, aux factions dont l’intolérance éclate tous les soirs dans les propos qu’ils tiennent.
Paul Amar
Monsieur Mitterrand, vous avez 71 ans, c’est un bel âge, il faut respecter ses aînés, mais n’est-ce pas un handicap pour briguer un second mandat ?
François Mitterrand
Oui, peut-être, sans doute, écoutez, je vais vous faire une confidence, j’aimerais mieux avoir 10 ans de moins. Bon, c’est comme ça, ce n'est, après tout c’est vrai, il faut le reconnaître, que quatre années de moins que le Général de Gaulle quand il s’est représenté en 1965. La différence n’est pas immense. Bon, et qu’il a été élu. J’ai noté un jour dans un livre de Jules Romains cette réflexion : "la jeunesse, c’est le temps que l’on a devant soi". Et qui est-ce qui peut répondre à cette question, ni vous, ni moi.
Paul Amar
Je vais citer un autre livre, la Bible, à un certain moment, Moïse,
François Mitterrand
Un grand livre, oui.
Paul Amar
Moïse passe le relais à Josué pour conduire le peuple vers la terre promise, est-ce qu’il n’aurait pas été plus sage que, François Mitterrand passe le relais à un Josué Socialiste ?
François Mitterrand
Oui, oui, mais dites-moi, mais vous êtes très prometteur, il avait au moins 100 ans Moïse à ce moment-là. Josué, il arrivera de toute façon, je suis assez raisonnable pour en apprécier le moment.
Paul Amar
Je pensais à Michel Rocard.
François Mitterrand
Mais ce serait un excellent candidat, nous en avons parlé encore tous les deux, il y a 48 heures.
Paul Amar
Vous avez dit tout à l’heure, intolérance, or, il y a eu la cohabitation ou la coexistence. Et cette cohabitation a permis tout de même un certain consensus entre vous-même, le président de la République, et Jacques Chirac, le Premier ministre, consensus sur la politique étrangère, sur la défense, sur les institutions, sur l’Europe. Franchement, qu’est-ce qui vous différencierait aujourd’hui de vos adversaires, employons le terme, puisque vous êtes candidat, de Jacques Chirac, ou de Raymond Barre ?
François Mitterrand
Écoutez, là, vous forcez un peu la note, ce qui est différent apparaît à beaucoup d’autres Français que vous, mais enfin, n’insistons pas; ce qui est vrai, ce n’est pas dans les 10 à 12 minutes que nous aurons ce soir, que je pourrais développer les grandes orientations de la campagne que j’entends mener d’ici le 24 avril, et le 8 mai. Mais je publierai ces documents, je rencontrerai d’autres journalistes, je m’exposerai à la question et même à la critique.
Paul Amar
C’est une information que vous nous donnez, vous avez un programme ? J’ai l’impression que ce programme tient en un mot, je rassemblerai, j’ai déjà rassemblé et je rassemblerai à nouveau.
François Mitterrand
Ça, j’ai déjà entendu dire ça par beaucoup de gens qui redoutaient que je fusse candidat. Beaucoup, hein... Alors, je ne sais pas pourquoi vous transmettez jusqu’ici cette note que j’entends, en effet, très souvent. Comme je n’ai pas entendu jusqu’alors le vrai projet de quelque candidat que ce soit, alors ça voudrait dire que la France serait dans un immense vide... Eh bien, rassurez-vous, j’espère qu’ils se réveilleront tous, en tout cas, je vais les y aider.
Paul Amar
Vous venez de nous dire que vous allez publier des documents...
François Mitterrand
Oui, oui...
Paul Amar
Est-ce que en quelques mots, vous pouvez nous définir les grandes lignes de votre programme, en deux mots.
François Mitterrand
Je ne crois pas que ce soit raisonnable, mais j’ai dit qu’il y a pour la France une politique constitutionnelle, les institutions, qu’est-ce qu’on en pense... Il y a, pour la France, une politique internationale, est-on aussi pour la paix des armes, c’est-à-dire, contre le surarmement, et pour le désarmement, s’il est contrôlé, bien entendu. Il y a les problèmes économiques, et les problèmes sociaux, et les problèmes culturels, et les problèmes de l’environnement... Comment voulez-vous que ce soir, pour ce très bref dialogue, je puisse développer ces thèmes ? Mais en effet, je parlerai de ces orientations sur chacun des points que je viens de citer et sur quelques autres, mais ce ne sera pas un programme... Le rôle du président de la République n’est pas, j’ai appris ça, moi, depuis déjà sept ans, j’ai été candidat en 1981, et en effet, je me suis lancé dans des propositions, 110, qui ont été, pour 90 d’entre elles, appliquées... Mais, j’ai un peu confondu, parce que je n’en avais pas l’expérience, les rôles du chef de l’État, et les rôles du Premier ministre.