Débat d’entre-deux tours

28 avril 1988
08m 14s
Réf. 00045

Notice

Résumé :
Avant le second tour de la présidentielle des 24 avril et 8 mai 1988, le président de la République François Mitterrand et le Premier ministre Jacques Chirac débattent en direct le 28 avril. Les échanges sont souvent tendus et le sortant joue pleinement de sa position institutionnelle et de sa situation électorale privilégiée.
Type de média :
Date de diffusion :
28 avril 1988

Éclairage

Après deux années de cohabitation, François Mitterrand, président de la République, et Jacques Chirac, Premier ministre, sont opposés au second tour de l’élection présidentielle des 24 avril et 8 mai 1988. Ils se retrouvent alors le 28 avril pour un débat d’entre-deux tours.

Mais si la situation du sortant (34,1 % le 24 avril) est presque idéale, celle de son adversaire apparaît désespérée. En effet, sa base de premier tour est très étroite (20,0 %), la droite divisée (16,5 % pour Raymond Barre) et affaiblie par la poussée du FN (14,4 % pour Jean-Marie Le Pen). Aussi François Mitterrand peut-il s’indigner du rapprochement entre droite et extrême droite esquissé par le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua ou s’amuser que son Premier ministre envisage l’hypothèse de sa victoire. Plus généralement, ce rapport de forces déséquilibré explique, avec les tensions accumulées de la cohabitation, l’ambiance souvent lourde de ce débat.

Dans cet extrait, la thématique de « l’Etat impartial », proposée par Elie Vannier et sur laquelle François Mitterrand a ouvert la polémique dès sa déclaration de candidature, renforce ce caractère. Jacques Chirac convoque le souvenir du congrès de Valence (23 au 25 octobre 1981) du PS, où l’un de ses dirigeants, Paul Quilès, créait un scandale en réclamant que tombent des têtes dans la haute administration. François Mitterrand réplique en condamnant, comme lors de l’époque gaulliste, « l’Etat-RPR » et s’appuie pour en souligner les dangers sur la mise en place contestée de la Commission nationale de la Communication et des Libertés. Celle-ci, qui ne fut pas sans provoquer une censure partielle du Conseil constitutionnel, serait le signe d’une volonté « de mainmise de caractère totalitaire sur les moyens de l’information ».

Mais de ce vif échange, dans lequel la journaliste Michèle Cotta est impliquée malgré elle, c’est la conclusion qui passe à la postérité en donnant à ce débat, par une petite phrase symbolique, son cachet. François Mitterrand attribue bons et mauvais points à Jacques Chirac qui s’en offusque avant d’être renvoyé, dans un sourire ironique mais sans ménagement, à sa position inférieure. Suit un silence gêné avant que le débat, toujours tendu, ne reprenne son cours. Que le président s’y montre incontestablement dominateur ou inutilement méprisant ne change rien : le 8 mai, il est largement réélu (54,0 %).
Antoine Rensonnet

Transcription

Elie Vannier
J’aimerais, si vous le voulez bien, vous poser une autre question avant. Raymond Barre a, le premier je crois, utilisé l’expression d’État impartial. Je ne vous demande pas, Monsieur Mitterrand, Monsieur Chirac, de faire le décompte des entorses à cette règle, que vous reprochez à votre adversaire... Mais, plus concrètement, de nous dire, ce que vous ferez demain, l’un, et l’autre, si vous êtes élu, pour assurer cette impartialité de l’État; Monsieur Chirac ?
Jacques Chirac
Cette impartialité de l’État va de soi. Et, ce que, pour ma part, j’ai dénoncé et contesté, a été, en 1981, cette chasse aux sorcières qui a trouvé son point d’orgue au moment du congrès de Valence, dont je n’ai pas entendu d’ailleurs que vous l’ayez condamné ; et c’était d’ailleurs difficile puisque vous-même aviez affirmé que le Parti socialiste devait pénétrer l’État, alors que vous étiez chef de l’État, devait pénétrer l’État et que vous l’y encouragiez. Je crois que c’est une mauvaise méthode. En 86, nous n’avions pas fait la même chose; nous, nous n’avons changé aucun dirigeant des chaînes de télévision ou de radio, par exemple, contrairement à ce qui s’était passé en 81. Et je suis heureux de constater qu’un grand journal du soir, disait récemment, Le Monde, pour ne pas le citer, disait récemment que l’enquête générale faite auprès de l’ensemble de vos confrères, Monsieur Vannier, indiquait que pour la première fois, depuis longtemps, ils n’étaient plus soumis à des pressions politiques, je m’en réjouis. Et cela doit être vrai partout. Demain, si les Français me font confiance, s’ils approuvent mes propositions, je puis m’engager à ce que, conformément à l’esprit qui a toujours été le mien, et que j’ai notamment appliqué pendant les deux ans où j’ai été Premier ministre, l’impartialité de l’État soit totalement garantie.
Elie Vannier
Monsieur Mitterrand ?
Michèle Cotta
Monsieur Mitterrand, je dois vous dire que vous êtes un tout petit peu en retard sur le temps de parole, par conséquent…
François Mitterrand
Alors, il faudra, dans ce cas-là, que Monsieur le Premier ministre, si jamais l’éventualité assez fragile qu’il a évoquée se produisait, c’est-à-dire s’il restait au pouvoir, il faudrait vraiment qu’il fasse des progrès et qu’il change un peu de manière de faire, et de sectarisme. Il faudrait qu’il en finisse avec l’État RPR qui s’est installé de façon insolente, vielle tradition d’ailleurs, qui a été relevée par d’autres partis de Droite. J’ai dit de Droite, pardonnez-moi, mais enfin, c’est l’expression qu’avait employée Monsieur Pasqua lorsque au soir du 24 avril, il a dit, non pas 36, non pas 19 ou 20, mais il a dit 51, il y avait 51% de voix de droite. Donc là, il a effacé toute distinction entre les centristes, le RPR et le Front National, mais je reviens là-dessus; si vous dites solennellement aujourd’hui, plus de chasse aux sorcières, c’est très bien, c’est une bonne intention, il faudra que les futurs gouvernements la reprennent à leur compte. Mais vous avez tout mêlé; Valence, pas condamné, mais écoutez, il ne faut pas avoir des lectures à trous... Si vous aviez lu plus attentivement le journal Le Monde, que vous venez de citer, vous auriez vu un grand titre en première page, le congrès de Valence s’est tenu pendant que j’étais au Mexique pour la conférence de Cancún, et quand je suis revenu, accueilli par les journalistes, très ému, dès ma descente d’avion, j’ai dit, ben, ce n’est pas ça qu’il faut faire. Ce n’est pas ça qu’il faut faire... Il faut pas essayer de diviser les Français. Et certaines expressions excessives de mes amis, eh bien, ils ont eu tort, et cela figure en première page, et je n'ai jamais parlé autrement à mes amis, que j’approuve souvent, mais qu’il m’arrive de désapprouver. Donc là, votre information est inexacte, ou bien vous avez voulu transmettre à l’opinion publique qui vous écoute, un message erroné, volontairement erroné. De même que vous avez dit, mais vous avez encouragé, vous, les socialistes, à investir l’État en citant Madame Nicole Kern, journaliste du Figaro, honnête femme et honnête journaliste, mais qui est quand même la seule à avoir entendue, parmi les 40 journalistes qui se trouvaient être avec moi, l’expression que vous venez de relever, alors, évitons ce genre, si vous voulez, d’attaque personnelle... Politiquement, j’estime que l’État RPR est un grand danger, il est ressenti par beaucoup d’autres que par moi, c’est l’accaparement de l’Etat, et je pourrais le démontrer. Vous avez fait une petite incursion sur l’information...
Jacques Chirac
Vous vouliez vraiment le démontrer.
François Mitterrand
C’était vraiment extraordinaire, d’entendre cette démonstration sur l’information... La manière dont la CNCL s’est installée, la manière dont elle a été composée, les nominations auxquelles elle a procédé, tout cela a montré une mainmise de caractère totalitaire, je n’hésite pas à employer ce mot, sur les moyens de l’information. Allez donc dans un département d’outre-mer et jugez RFO... Je ne veux pas faire de distinction, c’est insupportable. Mais je pense qu’après le 8 mai, car c’est la seule chose qui m’intéresse, c’est la seule chose, tout ce qui s’est passé là... Je ne vais pas critiquer votre gestion, vous passez votre temps à critiquer la mienne... Cela ne m’intéresse pas, c’est après le 8 mai, ce qui est intéressant. Les Français, ils attendent leur avenir immédiat, c’est dans quelques jours. Alors, je voudrais vraiment qu’il soit entendu que nous allons faire triompher quelques principes de liberté qui ont été bafoués au cours de ces derniers temps.
Michèle Cotta
Avec quel…
Jacques Chirac
Je voudrais dire un mot, quand même; une phrase... Parce que je trouve, qu’il y a tout de même, une certaine audace à parler des médias. Monsieur Mitterrand, en 81, tous les dirigeants de chaînes ont été changés par vous, pas par moi. Quand la Haute Autorité a été créée, je ne voudrais pas demander le témoignage de Madame Cotta, un dirigeant que celle-ci voulait nommer, a été interdit par l’Élysée, toute la presse en a fait état, personne ne l’a contesté.
François Mitterrand
Sauf Madame Cotta, sauf Madame Cotta ici présente, qui l’a écrit dans un ouvrage en disant que l’Élysée n’avait fait aucune pression... Madame ?
Jacques Chirac
Nous Monsieur, nous, Monsieur Mitterrand..
Michèle Cotta
Tout à fait, mais je souhaiterais être en dehors de tout ça s'il-vous-plaît…
Jacques Chirac
Nous n’avons... nous vous y laissons. Nous, nous n’avons changé personne en 86, personne. Lorsque quelques semaines avant les élections de 86 dont vous avez bien vu que vous alliez les perdre, que le peuple français vous désavouerait... Vous vous êtes caché dans un petit coin pour négocier, avec vos amis, l’attribution sans aucun appel d’offres de La Cinq et de la Six. Pensez-vous que ce soit véritablement l’État impartial ? Alors, ne revenons pas sur le passé, je suis d’accord avec vous, ce sont des procès d’intention, ils méritent d’être faits un petit peu, pas trop n’en faut, je suis d’accord avec vous. Et voyons l’avenir ! Eh bien, je souhaite, Monsieur Mitterrand, que vous, et votre parti, ayez la même conception de l’impartialité de l’État que celle que j’ai toujours eue et qu’a toujours eue le mouvement auquel j’appartiens.
François Mitterrand
Je vous ai observé pendant deux ans, vous me donnez là un bien mauvais exemple, mais je ne vais pas m’engager davantage... Moi, je vous appelle, et je ne fais aucune observation particulière sur votre façon de vous exprimer, vous en avez le droit. Moi, je continue à vous appeler Monsieur le Premier ministre, puisque c’est comme cela que je vous ai appelé pendant deux ans, et que vous l’êtes. Eh bien, en tant que Premier ministre, j’ai constaté que vous aviez, et c’est bien juste de le dire, de très réelles qualités, vous n'avez pas celles de l’impartialité, ni du sens de la justice dans la conduite de l’État.
Jacques Chirac
Permettez-moi juste de vous dire, que ce soir, je ne suis pas le Premier ministre et vous n’êtes pas le président de la République... Nous sommes deux candidats, à égalité, et qui se soumettent au jugement des Français, le seul qui compte, vous me permettrez donc de vous appelez Monsieur Mitterrand.
François Mitterrand
Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier ministre.