Discours de François Mitterrand censuré à Moscou

22 juin 1984
02m 33s
Réf. 00064

Notice

Résumé :
A Moscou, le journaliste Georges Bortoli évoque la censure de la Pravda et de la télévision soviétique envers les déclarations du président français.
Date de diffusion :
22 juin 1984
Source :
Antenne 2 (Collection: Midi 2 )

Éclairage

« Les Soviétiques s’y attendaient » déclare Daniel Bilalian à l’ouverture du journal, c’est la raison pour laquelle, le passage du discours de François Mitterrand prononcé à l’occasion de sa première visite officielle en URSS du 20 au 23 juin 1984 fut censuré par la presse soviétique dès le lendemain.

Diffusée par les envoyés spéciaux, son allocution eut pourtant un grand retentissement dans le monde. Au cœur du Kremlin, devant le président Constantin Tchernenko et les principaux responsables politiques, le président « brisa un tabou » en dénonçant le sort réservé au physicien et militant des Droits de l’Homme, Andreï Sakharov retenu avec son épouse en résidence surveillée dans la ville de Gorki. Il évoqua aussi « l’Afghanistan », envahi par l’armée soviétique depuis 1979, « le Cambodge » où les troupes vietnamiennes ont pris le pouvoir la même année avec l’appui de l’URSS et, (mais non reprise dans l’extrait), l’installation des SS20 en RDA à l’origine de la crise des euromissiles.

La visite du président de la République intervient, de fait, dans un climat international particulièrement tendu - la reprise de l’expansionnisme soviétique un peu partout dans le monde (Angola, Mozambique, Nicaragua, Salvador, Cambodge, Afghanistan) a aggravé les tensions Est-Ouest.

A travers sa déclaration, Mitterrand pointe la violation des accords d’Helsinki concernant le respect des droits et des libertés des individus et des peuples, accords signés par Moscou lors de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) en 1975. C’est une manière aussi pour François Mitterrand de rappeler clairement son attachement à l’Alliance atlantique sans s’interdire pour autant la recherche du dialogue avec l’URSS qu’il espère renouer à l’occasion de cette visite.
Agnès Tachin

Transcription

Daniel Bilalian
Madame Monsieur, bonjour ! Les Soviétiques s’y attendaient, hier soir au dîner officiel donné au Kremlin en l’honneur du Président de la République française, ils avaient refusé l’entrée des caméras. Ainsi ce matin, nous ne disposons que d’une bande sonore relatant la partie des discours de Monsieur François Mitterrand, évoquant pour la première fois en public et en présence des principaux responsables de l’Union Soviétique, l’affaire du dissident Andreï Sakharov. Ce passage que vous allez entendre a été censuré par l’ensemble de la presse soviétique. De Moscou, l’un de nos envoyés spéciaux, Georges Bortoli.
Georges Bortoli
François Mitterrand a violé un tabou hier soir en prononçant le nom de Sakharov dans un discours officiel devant Monsieur Tchernenko. Aucune caméra n’avait été admise à cette réception du Kremlin, c’est donc le son seul de ce discours de Monsieur Mitterrand que nous vous faisons entendre.
François Mitterrand
Nous vous parlons parfois des cas de personnes, soit qu’elles soient symboliques, c’est comme cela qu’il faut comprendre l’émotion qui existe en Europe et dans beaucoup d’autres endroits, sur des cas qui touchent à des citoyens de votre pays, comme il peut en exister ailleurs, comme il en existe ailleurs. C’est le cas du professeur Sakharov ou bien des inconnus qui, dans tous les pays du monde, euh, peuvent se réclamer des accords d’Helsinki. Mais le droit des personnes, c’est aussi le droit des peuples et vous savez notre désaccord sur les problèmes de l’Afghanistan, les questions que nous nous posons pour le Cambodge. Et nous souhaitons, avec vous, trouver les solutions qui permettront dans la neutralité de ces pays de parvenir à une paix désirable.
Georges Bortoli
Même prononcé dans les termes les plus courtois, de tels propos sont si inhabituels au Kremlin qu’ils ont du paraître à Monsieur Tchernenko à la limite du supportable. Il ne faut donc pas s’étonner si la presse soviétique qui publie ce matin de larges extraits de ce discours, a purement et simplement escamoté le passage sur Sakharov, le passage sur l’Afghanistan et un troisième passage critiquant le déploiement des fusées soviétiques SS-20. Peut-être se trouvera-t-il quand même un certain nombre de soviétiques pour apprendre par le bouche-à-oreille, par les radios occidentales qu’il s’est trouvé un Président français pour défendre Sakharov publiquement au Kremlin. Ici, les vraies nouvelles ne passent pas forcément par le canal de la presse officielle.