Débat de politique générale du gouvernement Pompidou

14 avril 1966
08m
Réf. 00161

Notice

Résumé :
François Mitterrand, à la tribune de l'Assemblée nationale, s'exprime dans le cadre du débat de politique générale du gouvernement Pompidou en 1966.
Type de média :
Date de diffusion :
14 avril 1966

Éclairage

En 1965, deux faits propulsent François Mitterrand sur le devant de la scène politique : en septembre, il se retrouve à la tête de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) et en décembre, lors de l’élection présidentielle, candidat unique de la gauche, il met en ballottage au 1er tour, le général de Gaulle. Le député de la Nièvre acquiert alors une stature nationale et devient l’une des figures de l’opposition.

Fort de sa position, quelques mois plus tard, le 13 avril 1966, il répond à l’Assemblée nationale, au discours de politique générale prononcé la veille - dans la même enceinte - par le Premier ministre. Cette vidéo, qui nous en apporte quelques extraits, montre les talents oratoires qu’il utilise pour nourrir le violent réquisitoire qu’il dresse contre la dérive présidentielle de Charles de Gaulle.

A la suite de la réélection du Général à la présidence de la République, Georges Pompidou est - sans surprise - reconduit dans ses fonctions de Premier ministre le 8 janvier 1966, et forme un nouveau gouvernement. Or, fort de l’interprétation gaullienne de la Constitution et l’équilibre nouveau des pouvoirs qu’elle implique, ce dernier attend trois mois avant de prononcer son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale.

Cette présentation tardive du gouvernement et le non engagement de sa responsabilité devant l’Assemblée nationale, met l’opposition vent debout. Dans son intervention, François Mitterrand s’insurge alors contre cette double entorse à la tradition parlementaire. Il renouvelle sa ferme opposition à la Constitution « gaullienne » de 1958 dans laquelle l'équilibre des pouvoirs connaît de profondes modifications en faveur du pouvoir exécutif - au détriment du législatif -, fustigeant « le gouvernement de la dérobade » qui a refusé de mettre sa responsabilité en jeu.

Le député critique aussi fermement les orientations de l’exécutif en matière de politique étrangère, notamment sur le retrait des unités françaises de l’OTAN, annoncé un mois plus tôt par le président de la République.

Soutenu par sa majorité, de Gaulle se heurte à des critiques virulentes de la gauche non-communiste pour qui le retrait de l'OTAN met définitivement un terme à une diplomatie "atlantiste" qu'elle promeut depuis la fin de la guerre. Parmi elle, François Mitterrand est l'un des plus sévères et il l’exprime avec force dans ce discours. À ses yeux, la sortie de l'OTAN trahit une "volonté d'isolement fondée sur l'idée que le nationalisme est la vérité de notre temps", voire "une sorte de poujadisme aux dimensions de l'univers" et témoigne d’une dérive présidentielle dans le champ de la politique extérieure.

Pour sanctionner le discours de politique générale du Premier ministre et s’opposer à son gouvernement, le député de la Nièvre déposera, quelques jours plus tard, une motion de censure avec nombre de ses collègues de l’opposition. Bien que finalement celle-ci ne sera pas adoptée, une fois de plus François Mitterrand aura trouvé une tribune pour exprimer son opposition « au pouvoir personnel » du général de Gaulle.
Pierre Gaudibert

Transcription

Journaliste
Extrait de la séance de cet après-midi.
François Mitterrand
Refus d’une cession extraordinaire après la constitution d’un gouvernement, refus d’engager la responsabilité ministérielle. Il me permettra de dire, je pense, Monsieur le Premier ministre, que son gouvernement devrait mériter, dès le début de sa constitution, ce qualificatif d’être le gouvernement de la dérobade. Pour ce qui concerne…
(Bruit)
François Mitterrand
Je ne voudrais pas cependant omettre de vous adresser à vous, Monsieur le Premier ministre, mes félicitations car, car si après tant d’années au pouvoir, sans que j’aille jusqu’à le dire qu’il s’agisse d’un des bienfaits principaux de la stabilité, c’est au moins un hommage rendu par le chef de l’État aux qualités que vous avez constamment montrées dans l’exécution de ses décisions.
(Bruit)
François Mitterrand
Or, la composition du gouvernement importe, à vrai dire, assez peu à l’Assemblée nationale, car nous  savons depuis longtemps de quelle manière on fait et défait les ministres. Nous avions ou l’on avait, l’on avait un Premier ministre, nous avions un Premier ministre qui avait, ne nous en déplaise, la majorité de l’Assemblée nationale, sa confiance, on l’a renvoyé. Nous avons eu un Premier ministre qui n’a pas eu la confiance de l’Assemblée nationale, on l’a gardé. Ceci nous montre de quelle manière les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, au gré des retouches successives appliquées de facto à la Constitution, nous emmènent en réalité à une situation de fait et non point à une situation de droit ; à savoir que nous avons à faire à des praticiens du pouvoir qui ont leurs qualités, leurs compétences, nous n’en doutons pas, mais qui n’obéissent en réalité à aucune ligne directrice pour ce qui concerne la connaissance et le souci qu’ils ont de leur relation avec le Parlement. C’est ainsi qu’un certain nombre de problèmes capitaux sollicitent notre attention, nous obligent à en discuter alors que depuis déjà de nombreux mois, nous avons été privés de ce moyen. Ce qui vient d’abord à l’esprit concerne notre politique extérieure, nous aurons d’ailleurs l’occasion d’en reparler dans quelques jours lors de la discussion sur le vote de la motion de censure. Mais dès maintenant, je veux donner quelques indications, pour préciser les conditions dans lesquelles un certain nombre d’entre nous ont été amenés à nous opposer au gouvernement sur les problèmes du désengagement atlantique. Il est scandaleux que votre décision ait été prise en l’absence d’une politique de rechange. Que signifie le désengagement atlantique s’il ne signifie pas d’autres engagements. Et je pense, notamment, puisqu’il n’est pas question, vous l’avez dit vous-même, d’un renversement des alliances, je pense, notamment, que vouer la France à quitter d’une certaine manière le bloc atlantique sans avoir pour autant préalablement défini une politique nouvelle précise à l’égard des pays de l’est, et surtout en ayant négligé toute politique européenne, quand vous n’avez pas tout fait pour la détruire ; alors, j’ai le sentiment que nous avions raison lorsque nous disions que votre politique était celle de l’isolement nationaliste. Je ne doute pas une seconde, Monsieur le Premier ministre, je le répète, de votre sincérité lorsque vous parlez de la paix, mais je pose ce problème politique à l’Assemblée nationale. Sert-on la paix lorsqu’on démolit les alliances sans en construire d’autres ? Je vous pose la question, sert-on la paix lorsqu’on défait toutes les communautés nouvelles ? Sert-on la paix lorsqu’on défait l’Europe ? Sert-on la paix, Monsieur le Premier ministre, lorsqu’on refuse de signer l’accord sur la cessation des expériences nucléaires ? Sert-on la paix…
(Bruit)
François Mitterrand
Sert-on la paix, sert-on la paix lorsqu’en réalité, on refuse de participer au débat sur le désarmement ? Sert-on la paix lorsque dans la réalité des choses, on ne cesse de moquer l’arbitrage international ? Sert-on la paix lorsqu’on prétend abriter la sécurité de la France derrière cette ligne Maginot de la force de frappe, tandis qu’on invite tous les peuples du monde à s’abriter derrière leurs frontières sous la protection d’une bombe désormais disséminée partout où chacun en réclamera l’usage !
(Bruit)
François Mitterrand
Ce que je dénonce, ce que je dénonce, ce que je dénonce, Monsieur le Premier ministre, dans cette politique extérieure, j’entendais dire certains d’entre vous dire, mais on parle un peu de tout là-dedans, c’est que j’ai de la peine à m’y reconnaître ! Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Premier ministre…
Intervenant
Messieurs, je vous en prie.
François Mitterrand
Faites-moi la grâce de penser que si j’ai de la peine à m’y reconnaître, vous aussi ! Et je dirais, Monsieur le Premier ministre que si je voulais définir cette politique, je vous dirais : Après tout, elle est nationaliste, c’est évident, nul n’en doute, l’isolement de la France, on l’a cent fois répété, mais c’est tout à fait autre chose. Je crois que la définition de nos politiques extérieures, c’est tout simplement une sorte poujadisme aux dimensions de l’univers.
(Bruit)
François Mitterrand
Mais en réalité, Mesdames et Messieurs, le grand débat commencé depuis tant d’années continue, et continue entre deux façons de considérer l’État et ses structures. Monsieur le Premier ministre, vous avez supposé qu’un certain nombre d’entre nous, avaient pu accepter l’idée que vous vous faisiez du régime tel qu’il fonctionne. Certes, notre opinion diverge, certains d’entre nous pensent que ce régime doit être modifié radicalement, ou d’autres pensent qu’il serait déjà modifié radicalement si on se contentait d’appliquer sa constitution. Mais les uns et les autres se retrouvent pour estimer que face à un régime de pouvoir personnel qui décide des plus grands intérêts de la France, sans consulter les représentants du peuple, les uns et les autres sont d’accord pour considérer que partout et pendant les mois qui viennent et pendant tout le temps qu’il faudra, il y aura d’un côté, et c’est aussi simple que cela, les républicains en lutte contre le pouvoir personnel et ceux qui n’ont pas compris !
(Bruit)
Intervenant
Taisez-vous Monsieur Marcenet.
François Mitterrand
J’ai dit, la lutte entre les républicains et les adversaires du pouvoir personnel ! Et le témoignage que nous offre la majorité m’incite davantage à penser à la nécessité de cette lutte.
(Bruit)