Bicentenaire du serment du Jeu de Paume

20 juin 1989
26m 21s
Réf. 00185

Notice

Résumé :
Le 20 juin 1989, en direct de la salle du jeu de paume de Versailles, François Mitterrand donne sa vision de la Révolution française.
Type de média :
Date de diffusion :
20 juin 1989
Personnalité(s) :

Éclairage

Le 2 septembre 1987, dans le journal Le Monde, Jean-Noël Jeanneney écrivait : "Je me souviens naguère avoir entendu un ancien ministre socialiste expliquer en souriant que la raison majeure pour laquelle il était convaincu que François Mitterrand se représenterait à l'élection présidentielle de 1988, c'était que celui-ci ne supporterait pas l'idée qu'un autre que lui pût prononcer le discours du Bicentenaire". Cette boutade révèle l'attention toute particulière qu'accorde François Mitterrand aux commémorations de la Révolution française. Cette appropriation est telle que les détracteurs du président l'accusent de confiscation et de personnalisation de cette fête nationale. Ainsi la semaine du 14 Juillet 1989, Le Canard Enchaîné titre "Montre ma fête au peuple, elle en vaut la peine (Dantonton)" (cité par Patrick Garcia, Mots, 1992).

La célébration du Bicentenaire compte plusieurs temps forts. Le 15 janvier 1988 a lieu la présentation des archives de la Révolution française par François Mitterrand à la Sorbonne. Le 21 mars 1989, le président a planté un arbre de la liberté, là où le curé Pressac avait planté le premier, en mai 1790. Du 14 au 16 avril a lieu un colloque international intitulé Paris et la Révolution à la Sorbonne.

Le 20 juin 1989, en direct de la salle du jeu de paume de Versailles, François Mitterrand se charge lui-même de donner sa vision de la Révolution française. Il commémore d'abord le 200e anniversaire du serment du Jeu de Paume, où les députés des Etats généraux jurèrent de donner à la France une constitution. Il rappelle les circonstances qui ont abouti à de nombreuses conquêtes (principe de la souveraineté nationale, séparation des pouvoirs, abolition des privilèges, Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen). Il évoque rapidement la Terreur et les images atroces de scènes localisées (Nantes, Lyon). Il reconnaît que les révolutionnaires devaient faire face aux menaces intérieures et extérieures mais il conclut "qu'à courage égal, à conviction égale, tous les choix ne se valaient pas". Ce jugement sur le passé semble indiquer que François Mitterrand se détache de ceux qui ont eu recours à la violence.

Il rappelle ensuite que les idées de la Révolution ont été remises en cause (rétablissement de l'esclavage, inégalités homme-femme, conditions sociales atroces des ouvriers). Malgré tout, il affirme que la Révolution est la matrice de la République française et de la démocratie. Mitterrand achève son discours par une ouverture sur l'avenir. Selon lui, le combat de la République est désormais contre toutes les exclusions et sur la préservation des droits des générations de demain. Il exhorte enfin les Français qui douteraient d'eux-mêmes à observer que le message de la Révolution française se propage encore aujourd'hui tout autour du monde (Europe de l'est, Manifestation de la place Tian'anmen en Chine).

Sur la forme de ce discours télévisé, le réalisateur cadre le président en plan rapproché et en plan large. Sur les plans larges, il est placé en position de maître d'école au milieu d'une foule de jeunes lycéens. Il domine la scène, où seuls le tableau du Serment de David et la statue de Bailly le surplombent. Le réalisateur insiste sur le rôle d'enseignant en insérant des plans de coupe de visages de lycéens. 

Ce discours du Jeu de Paume est le temps fort du Bicentenaire où le président est le plus personnellement impliqué. Au cours des événements suivants, il sera plus en retrait jusqu'à devenir complètement muet lors de la cérémonie du Panthéon. L'année 1989 est marquée par d'autres moments symboliques. Le 13 juillet, l'Opéra Bastille est inauguré avec un spectacle de Bob Wilson. Le 14 juillet a lieu la fête nationale au cours de laquelle le traditionnel défilé militaire est complété par un défilé créé par Jean-Paul Goude et chorégraphié par Philippe Découflé. Du 14 au 16 juillet se tient le sommet du G7 sous la pyramide du Louvre puis au sommet de la Grande Arche de la Défense (inaugurée symboliquement le 26 août). Le 16 septembre, la bataille de Valmy est reconstituée. Enfin le 12 décembre, Mitterrand introduit au Panthéon l'abbé Grégoire, Monge et Condorcet, "des intellectuels en Révolution par la pensée, le verbe, les actes, - jamais par le sang", selon Jack Lang qui prononce le discours officiel.
Félix Paties

Transcription

François Mitterrand
Mesdames et Messieurs, à quelque pas d’ici s’élevait la salle des Menus Plaisirs. En cette matinée du 20 juin 1789, les députés du Tiers Etat comptaient s’y retrouver, comme ils le faisaient depuis l’ouverture des États généraux. Mais sur l’ordre du Roi, elle avait été fermée dans la nuit, personne n’en était prévenu. Sous une pluie violente, la foule des arrivants piétinait, ne sachant où aller. L’ardeur était si grande qu’en dépit du mauvais temps, on songeait déjà à siéger dans la rue quand quelqu’un signala que le Jeu de paume, tout proche aussi, était ouvert, on s’y précipita. Là, s’installèrent comme ils purent près de 600 représentants, presque tous debout. Élus trois jours plus tôt, Président de l’Assemblée du Tiers, qui s’était décrétée Assemblée Nationale, la première de notre histoire, Sylvain Bailly monta sur une table pour se faire entendre. Dans le climat fiévreux et enthousiaste qu’on imagine, il soumit à l’assistance l’énoncé d’un serment rédigé par Jean-Joseph Mounier, représentant du bailliage de Grenoble. Nous jurons de ne jamais nous séparer de l’Assemblée Nationale et de nous réunir partout où les circonstances l’exigeront jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affirmée sur des fondements solides. Tous jurèrent et signèrent, un seul s’y refusa, Martin-Dauch, député de Castelnaudary. Ainsi fut adopté ce texte simple, simple mais décisif, puisqu’il marquait la rupture avec l’ordre ancien et qu’il annonçait au monde que désormais, le peuple français serait souverain en son royaume. Ne cherchons pas à découvrir derrière les mots l’expression juridique du régime qui va naître. Littéralement, on pouvait penser que s’esquissait le passage d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle. À l’heure du Jeu de paume, tout est encore possible. Les députés sont royalistes, ils ne se posent pas d’autres questions, ils veulent la réforme, pas la révolution. Mais ils ne se doutent pas que la France en est à l’un de ces rares moments où l’histoire bascule. Face à la crise économique et financière, à la résistance aveugle des privilégiés et au blocage d’un système parvenu à son extrême usure, ils apprendront que le mouvement qu’ils ont mis en marche ne s’arrêtera plus, qu’il est des temps où la réforme est en soi révolutionnaire. Le tableau de David donne de la séance du 20 juin une idée de la ferveur que chacun ressentait. La toile inachevée comporte quelques erreurs mais l’essentiel y est ! L’entassement des députés, le public massé aux fenêtres et aux tribunes, l’élan et la détermination des hommes du Tiers Etat pour qui la loi ne devait plus procéder des décisions d’un seul mais de la Nation toute entière. Il me faudrait trop de temps pour évoquer le long cheminement des idées, l’enchaînement des expériences qui, à partir de là, conduisirent le cours de la Révolution Française. Portons plutôt un rapide regard sur les quelques semaines qui précèdent le Jeu de paume. On y voit, comme dans un film qui s’accélère, se creuser le fossé entre le Régime et la Nation. Lorsqu’il convoque, pour le mois de mai 1789, les États généraux, qui n’avaient plus été réunis depuis 175 ans, le Roi entend les limiter à ce qu’ils furent jadis, un moyen d’obtenir pour les finances malades du royaume des ressources supplémentaires. Le cérémonial, calqué sur celui de 1614, exclut toute délibération en commun des trois ordres, noblesse, clergé, Tiers Etat, et n’accorde à ce dernier qui, pourtant, représente plus de 90% de la population, qu’une place subalterne. Mais les députés du Tiers n’acceptent plus de se soumettre à la prépondérance des deux autres ordres. Ils veulent ce que veulent les Français, être entendus ! Les cahiers de doléances rédigés dans les villes et villages en vue des États généraux l’ont abondamment exprimé. On y a consigné tout ce dont le pays ne veut plus et tout ce à quoi il aspire, le refus de l’arbitraire et des privilèges, la demande de terre et de travail, l’abolition de la torture et de la peine de mort, la soif de liberté et d’institutions nouvelles, les droits de l’homme et une Constitution. Bref, plus de justice et plus d’égalité. Traités en sujets quand ils se veulent citoyens, les représentants du peuple refusent de n’être que les figurants d’une pièce qui se jouerait ailleurs. De mai à juin, ils tiennent bon, réclament une assemblée commune où l’on voterait par tête et non par ordre, invitent les autres à les rejoindre et soudain, l’histoire s’emballe. Le 17 juin, sur la proposition de Sieyès, ils se proclament Assemblée Nationale. Le 18, ils s’attribuent le vote de l’impôt. Le 19, ils accueillent quelques membres du clergé. Le 20, ils prêtent le serment que nous célébrons aujourd’hui. Le 23, après une décevante séance royale, ils refusent de se séparer, fût-ce par la force des baïonnettes et décrètent leur Assemblée inviolable. Le 24 et le 25, ils reçoivent le ralliement de la majorité du clergé et de 45 députés de la noblesse, bref, le Roi doit céder. Vous connaissez le reste, il se joue en moins de deux mois. Sur fond de révolte des campagnes, de mobilisation des villes, c’est la prise de la Bastille, l’abolition des privilèges, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la fin de l’absolutisme, c’est la Révolution. De cette Révolution, le serment du Jeu de paume demeure un acte fondateur. Il est le geste inaugural qui, contre l’autorité des siècles, les acquis de la naissance et la fatalité de l’arbitraire, proclame un ordre nouveau. Quelques semaines passeront et les constituants de 89 s’attacheront à définir les Droits de l’Homme et des Citoyens, et peut-être à force de lui faire référence et révérence, perd-on parfois de vue la signification historique de la déclaration du 26 août. Une révolution commence, et voilà une Assemblée qui décide que rien n’est plus urgent que de tirer au clair les principes au nom desquels elle agira. À ces tâches, à cette tâche, les députés consacrent douze jours, n’examinant pas moins d’une cinquantaine de projets. Le texte adopté retentit comme un cri pour la liberté des hommes, l’égalité des droits, le règne de la loi, la souveraineté du peuple, le bien-fondé de la révolte contre l’oppression. Il exprime une parole lourde de la souffrance et de l’humiliation de générations pour lesquelles l’injustice, du père au fils, passait avec le sang. Il lance, pour les siècles à venir, un acte de foi dans la libération de l’Homme. Mais rien n’est fini, ou plutôt tout commence. Inspiré par l’intense bouillonnement d’idées de la philosophie du Siècle des Lumières, mais obligés d’inventer pas à pas des réponses aux situations imprévisibles qui se proposent, la Constituante, puis l’Assemblée Législative, puis la Convention, ces architectes de la même révolution, pour reprendre l’expression d’un de mes prédécesseurs, jetteront l’une après l’autre les bases de la République dont nous sommes les héritiers. Après l’avènement de la souveraineté nationale, l’abolition des privilèges et la déclaration des droits, ce seront la reconnaissance des libertés religieuses, la citoyenneté des protestants et des juifs, le libre accès de tous aux fonctions publiques et militaires, les lois sur le divorce et sur les droits des enfants naturels, les premières élections au suffrage universel, l’abolition de l’esclavage, l’armée au service de la Nation, la création des départements et des premiers musées nationaux. Mais aussi, le principe de l’enseignement gratuit et obligatoire à la suite de Condorcet pour qu’on ne voie plus, disait Lamarck, Lakanal, pardon, dans l’intelligence d’une grande Nation de très petits espaces cultivés avec un soin extrême et de vastes déserts en friche. Certes, ce n’est pas sans douleur que la France s’arracha à l’ordre séculaire et elle n’y parvint qu’au terme d’un combat déchirant. Le sang coula de part et d’autre, pouvait-il en être autrement ? Les hommes écrivent l’histoire tels qu’ils sont, avec leurs passions et leurs peurs qu’exacerbaient les tensions et les menaces de l’époque. Alors que la terreur régnait, Saint-Just, dans ses carnets de l’an II notait. "Tous les principes sont affaiblis, il ne reste que des bonnets rouges portés par l’intrigue ; l’exercice de la terreur a blasé le crime comme les liqueurs fortes blasent le palais. La Révolution est glacée". Je ne puis me défaire de ce jugement porté par l’un de ceux qui symbolisent précisément la violence froide d’un pouvoir qui ne connaissait qu’une peine, la mort, pour qui lui manquait, ou plutôt, qui manquait à l’idée qu’il avait de lui-même. Et défilent dans mon esprit les images atroces de Nantes, de Lyon, des Carmes, des prisons de septembre, la liste est longue. Ne faisons pas cependant, aux acteurs de la Révolution l’injure de croire qu’ils s’affrontaient pour peu de choses ou pour de délirants motifs. N’oublions pas la guerre à l’intérieur, la guerre à l’extérieur, les périls encourus par le pays, la Nation en danger, sans indulgence pour les fautes, les excès ou les crimes ! Tâchons de comprendre pourquoi, dans le mouvement complexe de la Révolution, à courage égal, à conviction égale, tous les choix ne se valaient pas. Assurément, avec la Révolution, bien des inégalités ne furent pas vaincues. L’abolition de l’esclavage ne fut acquise qu’un demi-siècle plus tard. La résistance armée à l’Europe coalisée prit après la victoire le visage de la conquête. La persécution religieuse ignora la liberté de conscience qui venait d’être proclamée. Rien ne vint corriger la discrimination dont les femmes étaient victimes. Et l’on vit par la suite à quel point la cruelle condition ouvrière de la Révolution industrielle devait nier, ruiner en fait la liberté et l’égalité érigées en principe par la révolution politique. Mais la Révolution a fait la République, celle-ci ne peut, sans se renier, oublier ce qu’elle est, d’où elle vient, la pensée dont elle procède, l’idéal qu’elle assume, le mouvement qu’elle incarne. Car la République n’est pas une forme vide, elle contient un ensemble d’institutions et de règles, de droits et de devoirs qu’on appelle la démocratie. L’Angleterre, les premiers États de l’Amérique indépendante avaient défrichés le chemin. La France alla plus loin ! Imparfaite et donc perceptible, riche de contradictions et donc d’évolutions, ce mode de gouvernement que connaissent encore trop peu de pays dans le monde, elle est, il est notre façon de vivre ensemble. La démocratie, disait Jaurès, nous en parlons quelquefois avec un dédain qui s’explique par la constatation de certaines misères, de certaines vulgarités ; mais si vous allez au fond des choses, c’est une idée admirable que d’avoir proclamé que dans leur politique et sociale d’aujourd’hui il n’y a pas d’excommunié, pas de réprouvé, que toute personne humaine a son droit ! Et à ceux qui reprochaient au Parlement ses bavardages, Clemenceau répondait : "Gloire au pays où l’on parle, honte au pays où l’on se tait, ces discussions qui vous étonnent, c’est notre honneur à tous, elles éprouvent surtout notre ardeur à défendre les idées que nous croyons justes et fécondes. Ces discussions ont leur inconvénient, le silence en a davantage". Arrêtons-nous, s’il vous plaît, un instant sur l’histoire contrastée des deux siècles qui nous séparent du 20 juin 1789. Dix régimes, sans compter le provisoire, ou bien les transitions, se sont succédés ; alternant les avancées et les reculs, conquêtes qui ont prolongé l’oeuvre de la Révolution, défaites où c’en était fini de la République et des droits fondamentaux. Paix, guerre, gloire, humiliation, démocratie, dictature, liberté, répression, c’est l’histoire même des sociétés humaines et de leurs contradictions. Quelle leçon tirée, s’il en est une, de ce tourbillon d’événements sinon que rien n’est achevé, que rien ne s’achève jamais. Que le combat change de forme mais pas de sens ; que de nouveaux orages surgissent du plus clair horizon, que d’autres dominations se substituent à celles que l’on avait détruites, qu’apparaissent d’incessantes ruptures entre l’idéal et le réel. Il y a, écrivit Victor Hugo, dans ce que la Révolution nous a apporté, encore plus de terres promises que de terrains gagnés, et il ajoutait, ayons une si fière façon de nous en souvenir qu’il en sorte la liberté du monde. Célébrer les grands anniversaires, c’est préparer les grands événements. Voilà pourquoi nous commémorons en ce jour et continuerons de le faire au cours des semaines prochaines le bicentenaire de 1789. Nous sommes dans cette salle du Jeu de paume pour nous interroger en commun et devant le pays sur ce qui nous lie à ce passé et pour mieux concevoir notre tâche à venir. Un peuple sans mémoire n’est pas un peuple libre. Les dictatures commencent par effacer de l’histoire les faits qui les encombrent, barrent l’accès au passé et se croyant maîtresses des voix de l’avenir, musèlent toute pensée, toute parole rebelle. Souvenez-vous, chaque fois qu’on a, chez nous, voulu brouiller la trace de Révolution, les libertés ont été menacées. À la France de 1789, nous ne demandons pas qu’elle nous tende un miroir mais qu’elle nous rappelle de quel rêve, de quel combat, de quel choix a émergé la France contemporaine, sur quelles valeurs s’est fondée la République qui est la nôtre. Rappellerais-je qu’elle ne s’est pas faite en une fois, miraculeusement jaillie de quelque geste héroïque, qu’elle s’est bâtie difficilement, au prix d’efforts de chaque génération dans une tension constante entre la résignation à l’ordre des choses et l’aspiration au mieux-être, entre la tentation du laisser-faire et la volonté de conduire solidairement notre destin. De l’aventure collective de 1789, nous n’avons pas à gommer les aspérités, à retrancher ce qui pourrait nous déplaire, à ne retenir que ce qui nous convient, nous n’aurions rien à y gagner ! Qu’on en débatte vivement, tant mieux, c’est un signe de vitalité de notre démocratie, la preuve que la Révolution n’est pas objet inerte, que les questions posées n’ont rien perdu de leur modernité. Mais s’il y a débat, et il y a débat, et sur quel ton ! Comme si, à distance, les adversaires de la Révolution avaient repris espoir ! Occupons la place qui nous revient, celle d’héritiers fidèles et fiers, déployons le drapeau et donnons à la République l’élan auquel aspire notre peuple. À grands traits, je vois dans le refus des exclusions le vrai chantier qui nous attend. La République a besoin de compter son monde, les exclus du travail, les exclus du savoir, les exclus du bien-être, les exclus de la dignité, les exclus de la santé, les exclus du logement, les exclus de la culture doivent disposer de tous leurs droits. L’égalité passe par là, la liberté aussi, il n'est pas de République sans espoir. Quant à la pauvreté, au racisme et à l’ignorance, ils sont les pires ennemis de la démocratie. Mais d’autres rendez-vous nous attendent. Il est possible désormais de maîtriser la terre, notre terre, il est possible de la détruire. Il est possible de comprendre notre corps, de le guérir, il est possible aussi de le manipuler, d’en modifier les caractères. On pense aussitôt aux contraintes qui seront ainsi levées. Mais comment ne pas penser de la même façon aux menaces qui pèsent aussi sur nous, et plus encore sur les générations futures. Les intérêts et les droits des hommes d’aujourd’hui ne peuvent prévaloir sur les intérêts et les droits des hommes de demain. Mesdames et Messieurs, si les Français doutent parfois d’eux-mêmes, qu’ils écoutent la rumeur qui monte des quatre coins de la planète. Partout où l’on se bat pour l’indépendance nationale, pour le droit d’un peuple à disposer de lui-même, pour l’avènement des pays pauvres au partage des richesses, pour la liberté de pensée, pour l’égalité des droits, c’est le message de la Révolution Française qu’on entend et chacun dans le monde le sait. C’est au nom de ces idéaux qu’on rêve et qu’on se bat. La présence en grand nombre à Paris dans trois semaines de Chefs d’État et de Gouvernement des plus anciennes démocraties et de pays en lutte pour leur vie et leur développement témoignera pour l’oeuvre accomplie depuis le jour où, à Versailles, je cite, les députés, errant dans les rues, ne cherchaient qu’à se rencontrer pour se réunir, où le peuple consterné demandait, mais où est l’Assemblée Nationale ? Et on ne la trouvait plus. Où le despotisme qui croyait triompher expirait sous les coups qu’il venait de se porter à lui-même. Où quelques hommes, à l’approche d’une horrible tempête et dans un lieu sans défense qui pouvait devenir leur tombeau sauvèrent une grande Nation. Ainsi parlait Mirabeau. Observons, pour conclure, le mouvement de l’histoire telle qu’elle se déroule sous nos yeux. Notre Europe démocratique qui se forme et grandit et l’autre Europe qui s’en inspire ou qui cherche à s’en inspirer, qui s’en rapproche ou qui cherche à s’en rapprocher. Observons le mouvement du monde, partout lève la même espérance. Et cela nous ramène à Pékin, place Tian’anmen. Trois images, une statue de la liberté, quatre chiffres, 1789, et ce jeune homme, seul, debout devant les chars. Avez-vous entendu ce que criait la foule ? On me l’a rapporté. Nous avons du pain, nous voulons des lois, la vraie révolution est en marche.
(Bruit)