Réunion électorale à Nevers avec Georges Pompidou

22 février 1967
04m 20s
Réf. 00188

Notice

Résumé :
Avant les législatives des 5 et 12 mars 1967, le Premier ministre Georges Pompidou et François Mitterrand, président de la FGDS, qui réunit la SFIO, les radicaux et la CIR, s’affrontent lors d’une réunion électorale à Nevers le 22 février. Le second entend montrer que droite et gauche s’opposent dans presque tous les domaines, notamment les institutions.
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Date de diffusion :
22 février 1967
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Éclairage

Soutenu par l’ensemble des forces de gauche, François Mitterrand est parvenu lors de la présidentielle de 1965 à pousser le général de Gaulle à un ballotage inattendu. Ce bon résultat l’a imposé comme leader de la gauche non communiste, désormais réunie au sein de la FGDS qu’il préside. Celle-ci, alliée aux communistes par un accord de désistement, veut faire des législatives des 5 et 12 mars 1967 le troisième tour de la présidentielle.

Conscient de la menace mais prêt à faire évoluer la vie politique française vers la bipolarisation, le Premier ministre, Georges Pompidou mène la majorité au combat électoral. Acceptant de répondre aux « contradicteurs de taille nationale », il rencontre - avant de retrouver Pierre Mendès France le 27 février à Grenoble - François Mitterrand le 22 février à Nevers lors d’une réunion électorale. Si le climat reste plus léger dans la Nièvre qu’il ne va l’être dans l’Isère, celui-ci évolue toutefois en terrain hostile. La salle est acquise aux gaullistes et, pour la majorité, trois orateurs se succèdent avant que Georges Pompidou n’intervienne. Il lui revient encore de conclure après que son adversaire se soit exprimé.

Mais, même dans de telles conditions, le président de la FGDS a intérêt à profiter de cette tribune. Il réserve ses premiers mots à l’enjeu institutionnel, central depuis la Libération, et tente, par la raillerie, de renvoyer la « dispute » entre IVe et Ve Républiques vers le passé. Plus que de s’attirer le fétiche de la modernité et de développer, fors la suppression de l’article 16 (dit des « pleins pouvoirs »), quelque alternative constitutionnelle, il s’agit pour lui d’éviter d’apparaître comme le représentant de cette IVe République tant décriée et de dénoncer à nouveau le « pouvoir personnel » que pratiquerait le général de Gaulle.

Mais quoique toujours vif, ce débat n’est désormais plus qu’un point d’appui pour que s’exprime, dans tous les domaines ou presque, l’opposition entre droite et gauche. François Mitterrand, comme Georges Pompidou, l’a parfaitement anticipé. Pourtant, cette réunion électorale et ces législatives, à l’issue desquelles les gaullistes et leurs alliés conservent une courte majorité quand la gauche progresse nettement, demeure le point le culminant de leur duel. En effet, futurs chefs de l’Etat l’un et l’autre, ils ne s’affronteront jamais au second tour d’une présidentielle.
Antoine Rensonnet

Transcription

(Silence)
François Mitterrand
Les institutions, avez-vous dit, eh bien, c’est vrai, je me souviens d’avoir voté moi-même contre la Constitution de 1946, comme vous sans doute Monsieur le Premier Ministre. J’y voyais poindre, comme vous sans doute, l’anarchie. Et puis, j’ai voté aussi contre la Constitution de 1958 parce que j’y voyais poindre la monarchie. Dans les deux cas, j’ai pensé qu’il serait sage de trouver une voie moyenne qui nous permettrait de fonder enfin la République, qui respecterait l’autorité et la dignité de l’État dans la liberté des citoyens et nous sommes aujourd’hui loin du compte ! Vous comprenez, cette dispute entre la Quatrième et la Cinquième République que le Général de Gaulle et Monsieur Pompidou essaient toujours de ranimer, ça fait huit ans et demi que ça dure ; mais ça me fait penser à la querelle interminable d’un vieux couple acariâtre ; qu'ils se jettent donc leur vaisselle à la figure et qu’ils nous fichent la paix ! Le problème, il est essentiellement de fonder, de fonder la véritable République qui sortira de notre débat, puisqu’il s’agit de choisir pour vous entre une politique et l’autre, la Droite et la Gauche.
(Bruit)
François Mitterrand
L’institution, les institutions, les institutions de la République, les institutions de la République, j’ai donc dit ce que j’en pensais, beaucoup plus frappé d’ailleurs par  l’évolution du régime lui-même qui en change la nature ; car la Constitution de 1958, c’était un compromis entre le Général de Gaulle et les partis politiques qu’il répudie aujourd’hui. Il fallait se tirer du mauvais pas où l’on s’était mis au regard de la légalité en conquérant Paris sur le dos d’une armée révoltée et il convenait d’obtenir un certain nombre d’assentiment ; on a fait le compromis sur un régime parlementaire, à mon avis d’ailleurs, inadapté aux tâches d’un pays moderne. Mais l’évolution n’a pas tardé, la Constitution est tombée du côté où elle penchait, il y avait un peu de démocratie, beaucoup de pouvoir personnel, il n’en reste plus que le pouvoir personnel.
(Bruit)
François Mitterrand
Les institutions, j’aurais l’occasion de le préciser d’autres fois, mais je dis dès maintenant que pour nous, il ne s’agit pas tant de réformer la Constitution de 1958 que d’en finir avec les usages malsains pratiqués par le Chef de l’État et par son Gouvernement. Il s’agit de fonder des institutions débarrassées de l’article 16, qui est l’article de la dictature, et de rendre, et de rendre, et de rendre à la justice son indépendance par la disparition des clauses qui visent le Conseil Supérieur de la Magistrature, ainsi que ce corps domestique généralement oublié qu’on appelle le Conseil Constitutionnel. Il s’agit pour le régime que nous voulons fonder de tirer l’expérience ou plutôt la conclusion des deux expériences manquées, celles qui ont signifié la longue convalescence de la France, il a fallu vingt ans, maintenant regardons devant nous !