La nomination d’Edith Cresson à Matignon

15 mai 1991
05m 14s
Réf. 00224

Notice

Résumé :
Alors qu’il l’a nommé à Matignon au début de son second septennat, François Mitterrand décide, le 15 mai 1991, de remplacer Michel Rocard. Il obtient sa démission et choisit, pour lui succéder, Edith Cresson, première femme Premier ministre. Dans une allocution, il explique ce changement par la nécessité d’un « nouvel élan » dans un contexte d’accélération de l’intégration européenne.
Type de média :
Date de diffusion :
15 mai 1991
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Éclairage

Entre François Mitterrand et Michel Rocard, rivaux depuis le milieu des années 1970, l’antagonisme ne s’est jamais démenti, bien que le premier ait nommé le second à Matignon en mai 1988. Il s’est même brusquement avivé après le congrès de Rennes (15 au 18 mars 1990) marqué par la tentative avortée du Premier ministre de prendre la tête du PS. Mais la guerre du Golfe (août 1990 à février 1991) et son obligation d’unité, derrière le chef de l’Etat, retardèrent la rupture. La paix revenue, elle devient inévitable et, le 15 mai 1991, François Mitterrand obtient la démission de Michel Rocard.

Pour le remplacer, il choisit Edith Cresson, plusieurs fois ministre entre 1981 et 1990, ce qui, notamment parce qu’elle est la première femme appelée à cette responsabilité, surprend et focalise l’attention médiatique. Cette démission et cette nomination ne vont donc pas de soi et le président de la République décide de longuement les justifier au cours d’une allocution solennelle. Logiquement, celle-ci s’ouvre par un hommage à l’ancien Premier ministre et s’achève par une présentation de celle qui lui succède. Entre les deux, François Mitterrand délivre un plaidoyer pro-européen, présentant la réalisation du Marché unique, qui doit être effective au 1er janvier 1993, comme un défi d’ampleur pour la France mais aussi un horizon porteur d’immenses opportunités.

Néanmoins, en dépit de l’enthousiasme de l’orateur, qui approfondit là un peu plus un discours déjà au cœur de sa campagne de réélection, ce qui frappe est sa difficulté à proposer des articulations claires entre ce contexte et la situation politique intérieure. Malgré l’emploi de connecteurs logiques (« C’est pourquoi j’ai jugé que le nouvel élan […] devait être animé par un gouvernement identifié à cette tâche »), il ne parvient guère à expliciter ce qui imposerait ce changement soudain de Premier ministre, en dehors d’un conflit et de convenances toutes personnelles.

Toujours est-il que, avec le congrès de Rennes, cet épisode constitue le début d’une profonde crise pour le Parti socialiste. En proie à l’hostilité du milieu politique et s’affaiblissant par des déclarations intempestives, Edith Cresson reste moins de onze mois à Matignon alors que le PS, jusqu’au désastre des législatives de 1993, connaît une série de lourds revers électoraux. Le président, lui, va bientôt s’enfoncer dans une impopularité massive.
Antoine Rensonnet

Transcription

(Musique)
François Mitterrand
Mes chers compatriotes, vous savez que ce matin, Monsieur Michel Rocard m’a remis sa démission, cet après-midi, j’ai nommé Madame Édith Cresson Premier Ministre. Elle me proposera demain jeudi la liste des ministres, ils se mettront aussitôt au travail. Mais sur ces événements, je souhaite vous dire dès ce soir quelques mots. Michel Rocard a, pendant 3 ans, à la tête du Gouvernement, pris une part déterminante à la conduite de la politique française. Il y a consacré de grandes qualités, réalisé de vraies réformes et obtenu d’utiles résultats. L’histoire associera son nom aux progrès de la France pendant cette période. Je le remercie de l’oeuvre accomplie, comme je remercie les membres de son Gouvernement et je suis assuré qu’il saura, le jour venu, rendre d’autres services au pays. Nous avons traversé il y a quelques mois, avec la guerre du Golfe, une grave crise internationale. Notre peuple a fait face, comme toujours, quand l’essentiel est en jeu. Mais dans le monde où nous sommes, la paix a, elle aussi ses exigences. Or, le 1er janvier 1993, dans 18 mois, un an et demi, l’Europe ne connaîtra plus de frontières intérieures entre les 12 pays de la communauté dont nous sommes. Nous entrerons dans un grand marché où circuleront librement les personnes, les biens, les capitaux. Dans cet espace où vivent 340 millions d’êtres humains, la compétition sera dure, la concurrence sévère. L’avenir de la France y sera engagé. N’en doutons pas, nous n’aurons d’autre protection que notre talent, notre capacité créatrice et notre volonté. Cette voie est difficile mais c’est la seule ouverte, la seule digne de notre histoire et de notre ambition. Tout repli sur nous-mêmes serait fatal. Il nous faut donc mobiliser nos énergies, rassembler nos efforts, préparer notre pays à cette étape décisive. Il n’y a pas de temps à perdre pour muscler davantage encore notre économie et porter nos industries au plus haut, tout en préservant nos équilibres financiers. C’est à cette condition seulement que seront créés les emplois qui nous sont indispensables, que sera garantie notre Sécurité sociale et que s’exercera pleinement la solidarité nationale nécessaire à notre réussite. Tous ensemble, nous gagnerons. Croyez-moi, une France plus forte en Europe, c’est ce que nous pouvons faire de mieux pour la Nation, ce que nous pouvons faire de mieux pour nos enfants, ce que nous pouvons faire de mieux pour réduire les inégalités sociales, remédier à vos difficultés et pour alléger la peine de tant d’entre vous. Je pense aussi que c’est le plus bel apport que nous puissions faire à l’Europe de demain. Et au-delà, à la paix, qui a besoin de notre présence, de notre puissance et de notre détermination. C’est pourquoi j’ai jugé que le nouvel élan auquel je vous ai convié dès la fin de la guerre du Golfe devait être animé par un Gouvernement identifié à cette tâche. Madame Édith Cresson, qui a été successivement Ministre de l’Agriculture, de l’Industrie, du Commerce Extérieur et des Affaires Européenne et qui a montré partout compétence et caractère, m’est apparue comme la plus apte à diriger ce Gouvernement, puisqu’il s’agit d’atteindre l’objectif que j’ai fixé, objectif 93. Mes chers compatriotes, moi, j’ai confiance, si nous nous y mettons tous, cela marchera ! Vive la République, vive la France.