François Mitterrand à propos des communistes au gouvernement

16 mars 1981
06m 07s
Réf. 00231

Notice

Résumé :
Après beaucoup de détours, François Mitterrand admet qu'il sera probablement amené à prendre des ministres communistes au gouvernement s'il est élu à la présidence de la République - et si les dirigeants communistes changent d'attitude sur la forme et sur le fond.
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Date de diffusion :
16 mars 1981
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Éclairage

À un peu plus d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle, François Mitterrand, candidat officiel du Parti socialiste, est l’invité de l’émission politique emblématique d’Antenne 2 depuis 1977 : Cartes sur table. Cette émission, ordinairement mensuelle, passe en mars 1981 à un rythme hebdomadaire pour recevoir les quatre principaux candidats à la présidentielle. Après Jacques Chirac et avant Georges Marchais et Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand est le second candidat à y être interviewé par les deux journalistes Jean-Pierre Elkabbach et Alain Duhamel. Durant 1h20, les candidats sont amenés à réagir à l’actualité et à développer leur programme.

Parmi les nombreux sujets abordés, celui de l’alliance avec les communistes au second tour, et de la présence de communistes au gouvernement en cas de victoire de François Mitterrand, est à la fois un classique et un sujet brûlant. Un classique, car en période de Guerre froide, l’éventualité de communistes au pouvoir est un enjeu central de tous les accords politiques conclus par la gauche depuis 1965 - année où François Mitterrand, comme en 1974, est le candidat unique de la gauche. Mais depuis la rupture du processus d’actualisation du Programme commun de gouvernement le 23 septembre 1977, les deux principaux partis de gauche se déchirent et ont pris des positions totalement divergentes, par exemple sur les crises afghane et polonaise. Si chacun se renvoie par ailleurs la responsabilité de la rupture, le rapport de force électoral est nettement en faveur du PS qui a bénéficié à plein de la démarche unitaire initiée en 1972.

Les journalistes cherchent ainsi à obtenir de François Mitterrand une analyse de la désunion de la gauche et des annonces sur ce que serait néanmoins un gouvernement à tête socialiste en cas de victoire. Les nombreux détours empruntés par François Mitterrand et sa tendance à faire à la fois les questions et les réponses rendent ce passage parfois comique, et surtout emblématique de la gêne du candidat socialiste. On comprend finalement à travers les lignes qu’il sera probablement amené à prendre des ministres communistes au gouvernement, mais qu’en l’état, et tant que le PCF ne change « d’attitude, non seulement sur la forme mais aussi sur le fond », tout accord paraît impossible.

Finalement, au terme du premier tour où le PCF fait son score le plus bas depuis 1936 et le PS son plus haut depuis 1945, le PCF appelle à voter au second tour pour François Mitterrand. Aucun ministre communiste n’intégre le premier gouvernement Mauroy. Mais à l’issue des législatives, un « accord politique de gouvernement » est conclu entre le PS et le PCF, et quatre ministres communistes entrent au gouvernement.
Judith Bonnin

Transcription

Jean-Pierre Elkabbach
La question, sans eux, il est pratiquement impossible sinon très difficile d’arriver au pouvoir, sans les communistes. Et avec eux, c’est aussi difficile parce que…
François Mitterrand
Vous avez assez raison, vous avez assez raison, mais si je veux bien me faire comprendre, dans un sujet controversé, hein, j’ai bien vu quand même qu’il y a environ un mois, c’était l’avalanche, tout de suite. La majorité de Droite, là, derrière son candidat sortant, il a cru tenir l’argument majeur qui, rapidement, m’écraserait. Les ministres communistes, les ministres communistes, c’est comme s’il y avait un écho en sourdine. L’autre, l’autre partie de l’orchestre qui répondait, je veux des ministres communistes, naturellement, ils disaient, le pauvre François Mitterrand, il ne va pas en sortir. Je essayer de…
Jean-Pierre Elkabbach
Vous voulez dire qu’ils jouent ensemble ?
François Mitterrand
Je vais essayer, ça arrive. Je vais essayer de dire exactement pour les Français, à travers vous, si vous le permettez, ce que j’entends par la réponse à cette question et j’essaierai de la décomposer. D’abord, si vous me posez la question, sur quelle majorité politique vous appuierez-vous si vous êtes élu Président de la République ? Voilà la première question que vous pourriez me poser.
Alain Duhamel
Eh bien, c’est ce que je voudrais bien vous poser, effectivement.
François Mitterrand
Attendez, mais vous verrez que j’irai plus loin dans les questions, je vous aiderai à élucider ce problème.
Alain Duhamel
Non, non mais Monsieur Mitterrand, si vous êtes d’accord, vous répondez puis nous posons nos questions, je crois que c’est mieux que chacun fasse son travail.
François Mitterrand
J’aime m’en poser à moi-même et vous verrez que je le ferai aussi bien que vous.
Alain Duhamel
Ça, je n’en doute pas, ce que je voudrais, c’est qu’on soit juste un peu associés.
François Mitterrand
Associons-nous le temps de cette émission, en effet. Alors je veux dire, si votre question veut dire sur quelle majorité politique vous appuierez-vous quand vous serrez élu Président de la République ? Je vous réponds, je m’appuierai sur la majorité parlementaire que le suffrage universel enverra à l’Assemblée Nationale. Dans une situation semblable, Monsieur Giscard d’Estaing, en 1978, qui pouvait redouter une arrivée en majorité à l’Assemblée Nationale d’une majorité de Gauche avait répondu clairement à Verdun-sur-le-Doubs qu’il s’inclinerait devant le verdict du suffrage universel. Nous répondons sur ce plan-là de la même façon. Au fond, ce sont les Français qui décideront lorsqu’ils auront à élire leurs députés. Mais je ne me contenterais pas, naturellement, de cette réponse et je suis prêt à aller plus loin. Est-ce que vous voulez que je me pose la question ?
Alain Duhamel
Non, j’aime autant que ce soit moi, si vous voulez, j’aime autant que ce soit moi, la question suivante.
Jean-Pierre Elkabbach
Alors, Alain.
Alain Duhamel
La question suivante mais qui est la suite logique. Vous avez dit que si vous êtes élu, vous dissoudrez l’Assemblée pour qu’effectivement, ce soit la majorité des Français qui détermine la nouvelle majorité dans cette Assemblée. La France a un scrutin qui est un scrutin majoritaire à deux tours, dans un scrutin majoritaire à deux tours, par la force des choses, il faut bien qu’on ait une alliance électorale ; en tous cas, disons un désistement, avec un partenaire. Quel serait ce partenaire, comment est-ce que vous voyez les choses ?
François Mitterrand
Bref, avez-vous l’intention, c’est votre question, de prendre des ministres communistes,
Alain Duhamel
Non, ce n’est pas ma question.
François Mitterrand
S’il y avait une majorité de Gauche.
Alain Duhamel
Non, non, ce n’est pas ma question.
François Mitterrand
Allons droit au but, allons droit au but.
Jean-Pierre Elkabbach
Comment obtenir la majorité de Gauche après…
François Mitterrand
Vous ne voulez pas que je réponde à cette question ?
Alain Duhamel
Si mais, si vous voulez bien, Monsieur Mitterrand, si vous voulez bien, Monsieur Mitterrand, comme au fond, on est en train de parler de la même chose, ce serait bien que vous répondiez à nos questions quand on vous les pose, et ensuite, on en viendra aux autres.
François Mitterrand
Je les pose en termes encore plus clairs. Si, ou quand je serai élu Président de la République, ai-je l’intention de prendre des ministres communistes s’il y a une majorité de Gauche ? Je vous réponds avec la même clarté ! Pour que se forme une majorité, il faut qu’il y ait un accord ou un contrat de gouvernement entre les formations politiques intéressées. En l’occurrence, puisque l’on parle d’une majorité de Gauche, essentiellement à Gauche, ce qui n’est pas exclusif, on compte le Parti Communiste et le Parti Socialiste. Cette réponse relève de leur autorité et de leur compétence. Le Parti Socialiste et le Parti Communiste engageront-ils, après l’élection présidentielle, des conversations, soit pour des désistements électoraux, soit pour aller plus loin dans un accord ou un contrat de gouvernement, c’est leur affaire. Mais je ne m’abstrais pas de cette affaire...
Jean-Pierre Elkabbach
Est-ce que le Président s’engagera dans cet…
François Mitterrand
Bien entendu, j’y arrive. Vous me demandez en somme mon avis à moi, et mon avis, c’est que tant que les dirigeants communistes resteront comme ils le sont aujourd’hui, éloignés de l’union qu’ils ont brisée ; tant qu’ils se cantonneront dans une attitude et dans une campagne passionnément, systématiquement, parfois calomnieusement antisocialiste ; tant qu’ils joueront un double jeu entre la Droite et la Gauche ; tant qu’ils resteront alignés sur des positions étrangères dans des affaires aussi graves que celles de l’Afghanistan ou de la Pologne, il ne me paraît pas raisonnable de penser, ni juste, pour que le gouvernement mène une politique harmonieuse, qu’il y aurait des ministres communistes. La réponse appartient donc aux dirigeants communistes. Sont-ils prêts, oui ou non, à revenir à des dispositions qui avaient prévalu lorsque nous avons pu aboutir à la signature du programme commun en 1972 ? Et dans l’état actuel des choses, comment commettrai-je l’imprudence, surtout après ce que j’entends tous les jours, de penser qu’ils y ont prêts. Voilà pourquoi je vous réponds très aisément, je ne pense pas que la situation soit créée, qui permette, dans l’état de mes connaissances, à la veille de l’élection présidentielle, à l’avant-veille, sans doute, d’élections législatives, les dirigeants du Parti Communiste doivent changer d’attitude, non seulement dans la forme mais aussi sur le fond.