Les ministres communistes quittent le gouvernement

19 juillet 1984
07m 54s
Réf. 00232

Éclairage

Cette ouverture de journal télévisé revient sur une actualité politique intérieure extrêmement chargée : le 19 juillet 1984 est annoncée la composition du nouveau gouvernement de Laurent Fabius, désormais sans ministres communistes, et les décisions prises par ce premier Conseil des ministres.

En juillet 1984, après avoir remporté le bras de fer avec l’opposition sur un projet de loi sur la presse, le troisième gouvernement de Pierre Mauroy tombe en effet sur le projet de loi sur l’enseignement privé, dit « projet Savary ». Le 12 juillet, le Président annonce le retrait du projet de loi et le 17, il accepte la démission de Pierre Mauroy et désigne Laurent Fabius Premier ministre. Du fait des désaccords qui existaient déjà au sein de la majorité, notamment sur les grandes orientations économiques, des négociations s’engagent sur le maintien de la participation communiste au nouveau gouvernement.

Le 19 juillet, jour de ce journal télévisé, le PCF annonce finalement sa décision de ne plus participer au gouvernement, mais de soutenir sa politique et de « participer à toute décision constructive » avec le PS, là où ce serait possible.

Concomitamment, Laurent Fabius rend publique la composition de son gouvernement et réunit son premier Conseil des ministres. Le journaliste présente les dix-sept ministres et leurs portefeuilles. Sont notamment remarqués l’absence de Jacques Delors qui devient Président de la Commission européenne, et le retour de Jean-Pierre Chevènement, « enfant terrible de l’aile gauche du Parti socialiste » qui « avait quitté sans ménagement » le deuxième gouvernement Mauroy.

Ce Conseil des ministres aborde deux dossiers centraux : il annonce le budget 1985 et publie le texte d’une réforme constitutionnelle. Dès le 12 juillet, François Mitterrand avait en effet annoncé cette réforme qui devait étendre la possibilité de tenir un référendum aux « garanties fondamentales en matière de liberté publique ».
Judith Bonnin

Transcription

Bernard Rapp
Mesdames, Messieurs, bonsoir. Chacun jugera selon ses idées ou sa sensibilité politique, mais le fait est que ce soir, il n’y a plus de ministres communistes au Gouvernement. Et c’est donc la première surprise ou demi-surprise du remaniement de ce matin. La seconde, c’est le départ de Jacques Delors, un départ que nous évoquions déjà hier soir, Jacques Delors qui ne fait pas partie du nouveau cabinet et qui s’en va à la présidence de la Commission Européenne. Enfin, troisième surprise, le retour de Jean-Pierre Chevènement, l’enfant terrible de l’aile gauche du Parti Socialiste avait quitté sans ménagement le deuxième Gouvernement de Pierre Mauroy. La nouvelle équipe compte seize ministres, dix-sept précisément avec Laurent Fabius. Une équipe ramassée qui n’a pas tardé à entrer dans le vif du sujet puisque quelques heures seulement après sa formation, les ministres tenaient leur premier conseil à l’Élysée avec, à l’ordre du jour, le projet de révision de la Constitution ; et déjà la confirmation de la suppression du prélèvement exceptionnel de 1% sur la Sécurité sociale. Ce premier conseil, c’est l’occasion pour nous de passer en revue les nouveaux responsables du Gouvernement. Pierre Alain et Jean-Michel Mercurol.
Journaliste
Gaston Defferre devient Ministre d’État mais abandonne l’Intérieur pour le Plan et l’Aménagement du Territoire. Pierre Bérégovoy succède à Jacques Delors au Ministère de l’Économie, des Finances et du Budget.
Journaliste 2
Promotion pour deux femmes. Huguette Bouchardeau et Georgina Dufoix qui deviennent Ministres, la première garde l’Environnement, la seconde remplace Pierre Bérégovoy aux Affaires Sociales et à la Solidarité Nationale.
Journaliste 1
Robert Badinter reste Garde des Sceaux. Premier nouveau venu, Pierre Joxe, il quitte la présidence du Groupe Socialiste pour le Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation.
Journaliste 2
Aux Affaires Étrangères, toujours Claude Cheysson. Charles Hernu reste aussi à la Défense et Michel Rocard à l’Agriculture.
Journaliste 1
Autre promotion féminine, celle d’Édith Cresson qui conserve le Commerce Extérieur avec en plus le Redéploiement Industriel. L’inattendu, le retour de Jean-Pierre Chevènement à l’Éducation Nationale. Paul Quilès conserve l’Urbanisme et le Logement mais récupère le portefeuille des transports de Charles Fiterman.
Journaliste 2
Michel Crépeau garde le Commerce et l’Artisanat mais s’occupera également du Tourisme.
Journaliste 1
Deux autres nouveaux venus, Michel Delebarre au Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, laissé vacant par les communistes Rigout et Ralite ; ainsi que Hubert Curien, le père de la recherche spatiale en France qui s’occupera de la Recherche et de la Technologie.
Journaliste 2
Enfin, Roland Dumas reste aux Affaires Européennes et porte-parole du Gouvernement.
Bernard Rapp
Alors, il s’agit là de la colonne vertébrale de ce nouveau Gouvernement, les ministres délégués et les secrétaires d’État devraient être désignés dans les jours qui viennent. Et l’on saura alors si l’équipe de Laurent Fabius est plus réduite que celle de Pierre Mauroy. Mais je vous le disais et vous aviez pu le voir, il y avait déjà un Conseil des Ministres cet après-midi, un premier conseil fort important puisqu’on y débattait du projet de référendum et du budget 1985. Nous retrouvons sur place à l’Élysée Jean-Louis Lescene.
Jean-Louis Lescene
Le premier Conseil des Ministres du Gouvernement Fabius s’est terminé il y a une heure environ par la traditionnelle photo de famille des seize nouveaux promus de la matinée, entourant le Président de la République et le Chef du Gouvernement. Alors, au cours de ce conseil, première décision importante, Laurent Fabius a obtenu l’autorisation d’engager la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement à l’issue d’une déclaration de politique générale. La discussion aura lieu à l’Assemblée Nationale mardi prochain. Ensuite, une mise au point du Chef de l’État. Vous n’êtes, a-t-il dit aux nouveaux ministres, les représentants d’aucun parti politique, vous êtes le Gouvernement de la France, avant d’ajouter que sa cohésion était indispensable. Vous devez, a dit François Mitterrand, respecter vos adversaires politiques, fin de citation. Le Président de la République a ensuite rendu un hommage particulier à Pierre Mauroy et Jacques Delors. Mais ce premier Conseil des Ministres du nouveau Gouvernement aura été l’occasion d’aborder immédiatement deux dossiers d’actualités. Et d’abord le référendum. On connaît maintenant le texte de la modification de la Constitution qui sera soumis à référendum si les députés, mais surtout les sénateurs le veulent bien, une phrase ajoutée à l’article 11 qui autorise le recours au référendum sur, je cite, les garanties fondamentales en matière de libertés publiques, fin de citation. Deuxième sujet abordé au cours de ce même conseil, le budget pour 1985. Comme l’avait annoncé Monsieur Mitterrand, le déficit sera limité à 3% du produit intérieur brut, la Sécurité sociale sera équilibrée sans impôts nouveaux, les impôts seront réduits de 8%. Mais le plus important et la première bonne nouvelle, les prélèvements et le prélèvement exceptionnel de 1% pour la Sécurité sociale sera supprimé dans ce budget 85. C’est Pierre Bérégovoy qui a présenté les grandes lignes de ce budget, histoire, sans doute, pour le nouveau Ministre de l’Économie de prouver qu’il connaissait déjà bien ses dossiers avant même d’être nommé.
Bernard Rapp
Quatre hommes manquaient donc à ce premier Conseil des Ministres. Ce sont les quatre responsables communistes qui siégeaient jusqu’alors au Gouvernement, Messieurs Fiterman, Rigout, Ralite et Le Pors. Ils appliquaient aujourd’hui la décision du comité central du PC qui a décidé la nuit dernière de ne plus participer au Gouvernement tout en précisant qu’ils continueraient à le soutenir. La conclusion logique des désaccords qui opposaient depuis plusieurs mois le Parti Communiste et le Gouvernement auquel ils reprochaient ses orientations économiques. Une décision adoptée après de très longs débats la nuit dernière au comité central, Dominique Laury.
Pierre Juquin
Nous ne nous sentons pas le droit moral, de laisser croire à des millions de femmes, d’hommes, de jeunes en proie aux déceptions, aux inquiétudes, que nous pourrions, dans le Gouvernement actuel, répondre à leur attente.
Dominique Laury
Tout a commencé hier soir à 20 heures 15 à l’Hôtel Matignon. Georges Marchais, entouré d’André Lajouanie et de Charles Fiterman, quitte le bureau du Premier Ministre après plus d’une demi-heure d’entretien.
Georges Marchais
Est-ce que, oui ou non, nous allons nous engager dans une politique nouvelle permettant d’aller vers la résorption du chômage ?
Dominique Laury
23 heures, place du Colonel Fabien, les 22 membres du bureau politique, le gouvernement du parti, après deux heures et demie de débat, pénètre dans la grande salle du comité central, le parlement du PC, 148 participants. Peu d’informations, mais les bruits les plus divers circulent. La rencontre Fabius-Marchais se serait très mal passée. 2 heures 45, interruption de séance, Georges Marchais ne cache pas son pessimisme.
Georges Marchais
Le comité central, où la discussion se poursuit, n’est pas satisfait des réponses qui ont été données par Monsieur Fabius cet après-midi à notre délégation.
Dominique Laury
Les travaux reprennent, mais déjà, l’information devient plus précise, la rupture est dans l’air. 9 heures, elle devient officielle, les communistes quittent le Gouvernement, mais soutiendront son action, disent-ils.
Charles Fiterman
Nous avons pris une décision simple et qui est une, vous l’avez reconnu vous-même, une décision d’honnêteté et de clarté. À partir du moment où ce n’est plus possible d’être assis autour d’une table pour participer à quelque chose, eh bien, on le dit et on n’y participe pas. Cela dit, nous, communistes, nous sommes disponibles partout dans le pays, au Parlement, pour participer à toute décision constructive, à tout pas en avant, dans le sens de la solution des problèmes du pays. Et nous sommes…
Daniel Bilalian
Cela dit Monsieur, Monsieur Fiterman, comment allez-vous pouvoir soutenir sans participer en n’étant pas d’accord avec les objectifs actuels ?
Charles Fiterman
Nous sommes décidés à travailler dans l’union, y compris avec nos camarades socialistes pour permettre ces avancées. Au Gouvernement, ça n’était pas possible parce que nous n’avions plus les moyens, mais nous allons le faire partout où c’est possible.
Paul Amar
Vous savez très bien que vous ne pourrez pas le faire !
Charles Fiterman
Je vais même plus loin, si demain les conditions se recréent pour que nous puissions re-participer au Gouvernement, eh bien, nous irions.
Daniel Bilalian
Monsieur Fiterman…