Le début du conflit Rocard-Mitterrand

22 septembre 1978
08m 39s
Réf. 00278

Notice

Résumé :
Y a-t-il des problèmes au sein du Parti socialiste ? Selon François Mitterrand, les remous ont eu lieu surtout dans la presse de droite. Pour ce qui concerne les grands choix politiques, il exprime les idées du Parti socialiste. Il ajoute que "le succès du Parti socialiste, dont on voit bien qu'il est la première force politique en France, cela ne fait pas plaisir à tout le monde".
Date de diffusion :
22 septembre 1978
Source :
TF1 (Collection: JT 13H )

Éclairage

Après la progression de la gauche aux municipales de mars 1977, les législatives de mars 1978 ont laissé espérer une victoire. Mais du fait de la rupture de l’union de la gauche et du mauvais report de voix entre PS et PCF, la gauche fait un score décevant, avec un total de 200 sièges. 

Le soir même du second tour, le 19 mars, Michel Rocard, un des leaders du Parti socialiste, déclare refuser « la fatalité de l’échec » et amorce une phase de concurrence ouverte avec François Mitterrand pour l’investiture du candidat socialiste aux élections présidentielles de 1981.

Michel Rocard est arrivé au PS en 1974 à l’occasion des Assises du socialisme, apportant avec lui une frange importante mais minoritaire du Parti socialiste unifié. Il est en 1978 membre du Bureau exécutif et du Secrétariat national du PS (en charge du secteur public) et incarne au sein de ce parti une « deuxième gauche », notamment plus décentralisatrice. 

La seconde salve de l’attaque rocardienne vient en septembre : Michel Rocard dénonce alors « un certain archaïsme politique » qui aurait fait son temps. Tous les observateurs, dont en premier lieu les journalistes, y voient une attaque à peine voilée à François Mitterrand, qui a alors presque soixante-deux ans (contre quarante-huit pour Rocard), et déjà deux candidatures à la Présidentielle derrière lui.

François Mitterrand tente ici à la fois de contrer l’attaque tout en feignant de ne pas croire qu’elle lui est destinée, esquivant toute explication sur les tensions internes au PS.
Judith Bonnin

Transcription

Yves Mourousi
Patrice Duhamel.
Patrice Duhamel
Oui, Monsieur Mitterrand, un an après ce 22 septembre, on dit actuellement depuis quelques jours qu’il y a quelques problèmes au sein du Parti Socialiste. Hier soir, dans une réunion à Paris, vous aviez dit que l’unité du Parti Socialiste n’était pas en cause. Cependant, Michel Rocard, il y a quelques jours, a parlé de la nécessité d’un style nouveau, a parlé également, a donné le mot d’archaïsme qui a été largement commenté. Alors est-ce que vous… ?
François Mitterrand
Et vous avez interprété ce mot comme s’adressant à qui ?
Patrice Duhamel
Non, non, je ne l’ai pas interprété, je voulais vous demander si vous vous sentiez, vous personnellement visé par ce mot et par les…, si vous vous sentiez également visé par les remous qui ont suivi ?
François Mitterrand
Pas spécialement, pas spécialement. Mais ce sont des remous qui ont été surtout, qui ont eu lieu surtout dans la presse de Droite. J’ai lu de grands éditoriaux, dans L’Aurore, j’ai vu toute une série de commentaires ici et là, tout à fait intéressés, pour tenter en effet d’utiliser cette expression dont la responsabilité n’appartient qu’à son auteur, en tentant de la diriger sur moi, et donner une signification propre au Parti Socialiste. Bon après tout, je n’en sais rien ! Ce que je peux vous dire, c’est que archaïsme, qu’est-ce que cela veut dire, sur le plan du style ? Chacun a le sien ! J’écris des livres, à mes lecteurs de juger, il semble qu’ils soient de plus en plus nombreux. S’agit-il du style en politique, alors parlons des électeurs, il semble que les électeurs soient également de plus en plus nombreux, enfin, ce sont eux seuls qui peuvent en juger. Archaïsme, s’agit-il des idées ? Alors sans doute, je ne manque jamais d’exprimer mes propres idées, je suis quelqu’un de très libre dans son expression. Mais lorsque je m’exprime sur les grands choix politiques, j’exprime la volonté du Parti Socialiste. Et cette volonté du Parti Socialiste, elle est celle de Michel Rocard, de moi-même et des autres. Nous, quand nous parlons, nous parlons au nom d’un grand parti politique. Et si les idées du Parti Socialiste étaient vraiment archaïques, il faudrait les changer. Si elles ne le sont pas, si elles sont simplement l’expression de l’adaptation moderne d’un grand courant de pensée qui, en effet, a derrière lui plus d’un siècle, alors, il nous appartient, aux uns et les autres, d’exprimer fidèlement les choix de nos militants, il ne s'agit pas d’autre chose. Mais moi, je ne suis pas du tout, je ne considère pas qu’il y ait débat. D’abord, je n’ai pas du tout pris ça pour moi, je ne sais pas quel sens, je ne sais pas quel sens….
Patrice Duhamel
Il y en a d’autres au Parti Socialiste qui ont pris ça pour vous, comme Pierre Mauroy par exemple.
François Mitterrand
Non, non, permettez-moi de vous dire que….
Patrice Duhamel
Ils se sont posé la question, en tout cas.
François Mitterrand
Permettez-moi de vous dire qu’ils ont lu les journaux, puis qu’ils vous ont écouté, en particulier vous, Patrice Duhamel, donc ils ont pu croire en effet que cette confusion était organisée.
Yves Mourousi
Oui, mais toujours est-il que dans L’Unité aujourd’hui, qui est quand même l’hebdomadaire du Parti Socialiste et sous la plume de Claude Estier, sans faire de polémique, Claude Estier rappelle qu’il est certain que le Parti Socialiste a mieux à faire que de se perdre dans des disputes intérieures, donc, il y a dispute intérieure !
François Mitterrand
Est-ce que vous connaissez, il n’y en a pas à la télévision ? Vous n’avez de, de conversation animée, de dialogue sur la façon de mener une émission avec vos propres collaborateurs et amis ?
Patrice Duhamel
Mais nous nous retrouvons à la même table !
François Mitterrand
Très bien, et je ne me retrouve pas à la même table que les dirigeants socialistes qui sont autour de moi dans les grands combats que nous menons ? Bon alors, cessons, si vous voulez d’offrir le Parti Socialiste en pâture, c’est un parti qui se porte assez bien si j’en juge par la façon dont on réagit à Nancy, dans le Pas-de-Calais, dans le Gers, et peut-être demain à Paris ! Alors, naturellement ce succès du Parti Socialiste dont on voit bien qu’il est la première force politique française, ça ne fait pas plaisir à grand monde, enfin, ça ne fait pas plaisir aux autres.
Patrice Duhamel
Pour mieux de savoir s’il y a oui ou non aujourd’hui au sein du Parti Socialiste, comme certains l’affirment au-delà du débat, est-ce qu’il y a vraiment deux conceptions en particulier sur le plan économique ou pas, ou est-ce qu’il y a une stratégie d’ensemble ?
François Mitterrand
Il y a débat, il y a des débats, il y a et il y a toujours eu débat, et il y a toujours eu un choix à faire, ce n’est pas nouveau, et sur chaque problème même, sur chaque problème ; ou alors, quelle serait la capacité de réflexion d’un parti qui, avant même d’avoir engagé la discussion, serait déjà d’accord. Je ne sais pas où ça se passe comme ça, j’ai l’impression que ça se passe dans quelques partis, mais enfin pas chez nous, ça, je peux vous rassurer. Mais une fois qu’une décision est prise, cette décision est la loi de tous. Or, la décision fondamentale du Parti Socialiste lorsqu’il a, lorsqu’il est, lorsqu’il est, comment dirais-je, redevenu le grand Parti Socialiste à partir du congrès d’Epinay en 1971, ça a été de choisir ce qu’on appelle la stratégie, c’est un terme un peu comme ça, bon ! Mais les politiques aiment un peu ce genre de terme, qui ne signifie pas grand-chose. Enfin, la stratégie d’Union de la Gauche, ils ont choisi l’Union de la Gauche. Et ils ont voulu concrétiser, nous avons voulu concrétiser cette Union de la Gauche autour d’un programme concret, de propositions, c’est ce qui s’est appelé le Programme Commun de la Gauche. Cette démarche politique, c’est ce qu’on appelle d’une façon encore plus simple la démarche unitaire. Le Parti Socialiste a voulu retrouver ses sources, a voulu se réimplanter dans les couches sociales, dans les classes sociales dont il est le représentant naturel, et où se trouvent, où se trouvaient déjà naturellement d’autres formations politiques comme le Parti Communiste. Et comme l’adversaire du Parti Socialiste, l’adversaire désigné, puisque nous voulons transformer la société, nous nous en prenons bien entendu aux couches privilégiées qui dirigent, qui gouvernent cette société, qui en font une société d’inégalité et d’injustice. Et notre véritable adversaire, c’est précisément celui qui fait que cette injustice et que cette inégalité se perpétuent, ce que nous appelons le grand capital, le capitalisme, la société capitaliste ; aujourd’hui, disons le capitalisme multinational. Alors, il ne faut pas se tromper d’adversaire, on aurait voulu, bien des gens auraient voulu que, car il y a un contentieux sérieux avec le Parti Communiste depuis 1920, vous voyez, ça fait déjà longtemps, et de grandes circonstances, des déchirements historiques qui sont dans toutes les mémoires. Alors certains auraient voulu que nous menions la bataille sur deux fronts et que rien ne puisse nous réunir aux communistes, je ne dis pas au Parti Communiste, aux communistes, c’est-à-dire aux représentants des mêmes couches sociales. Nous, nous avons choisi, nous avons dit, la démarche unitaire, c’est la Gauche, les forces populaires, les forces du travail, les forces de la production. Et en face, eh bien, c’est les représentants de la minorité privilégiée qui représentent la société capitaliste mais qui a tout dans ses mains, on le voit bien à travers l’affaire de la sidérurgie et le reste. Bon, alors, voilà un choix, ça n’a pas toujours été facile, ça a été discuté croyez-moi, on n’était pas tous d’accord. Et moi personnellement, ma position, elle est connue de tous les Français, et c’est celle qui a prévalu, et c’est pourquoi je suis le Premier Secrétaire du Parti Socialiste. Eh bien, je peux vous dire que nous n’avons pas l’intention d’en changer ! Si donc, au Parti Socialiste, il en est qui pensent qu’il faut tourner autour, qu’il faut faire quelques pas du côté de la majorité, que le Parti Communiste, bien entendu, le contentieux est sévère avec le Parti Communiste, et nous n’acceptons pas la façon dont le Parti Communiste traite l’histoire, l’histoire récente ; de quelle façon il interprète, souvent en calomniant, les volontés et les choix du Parti Socialiste. Mais nous pensons d’abord aux travailleurs, nous pensons d’abord à ceux qui sont les victimes de la société présente, et qui sont nos frères, nos camarades, de braves et d’honnêtes gens. Et nous voulons rester dans une démarche unitaire avec eux. En tout cas, telle est la volonté du Parti Socialiste que j’incarne. Alors, je ne dis pas du tout que d’autres socialistes veuillent renverser cette position, mais si vous, journalistes, vous interprétez les propos de Michel Rocard, ce n’est certainement pas sa pensée, de telle sorte que cette démarche politique là, autour du Programme Commun de la Gauche, pendant cinq ans, sur la base de l’Union de la Gauche depuis 1971, ce serait une démarche archaïque, je dirais, alors, il y aurait là un véritable problème politique. Et ce problème politique n’est pas proposé dans des termes aussi difficiles que vous semblez le croire.
Yves Mourousi
Oui, on dit quand même dans l’Unité que cette phrase prononcée par Michel Rocard est malheureuse.
François Mitterrand
Mais si Claude Estier, qui est le signataire de ce texte, estime que Michel Rocard a fourni l’occasion à des journalistes avisés, quelquefois malveillants, mais en tout cas toujours curieux par nature, par nature et par profession, admettons-le.
Patrice Duhamel
Ce n’est pas le cas, ce n’est pas le cas ici, Monsieur Mitterrand. Je ne le dis pas pour aviser mais pour….
François Mitterrand
Curieux par profession et par nature. Bien entendu, la moindre petite discussion de ce genre devient alléchante, et je comprends très bien que vous me posiez la question. Mais est-ce que vous ne croyez pas que ce serait beaucoup plus intéressant encore que vous connaissiez de quelle façon le Parti Socialiste juge le grave échec politique, économique, et financier de la gestion de Monsieur Giscard d’Estaing. Alors ça, ce serait de la vraie politique !
Yves Mourousi
Nous allons y venir…