L’engagement politique de François Mitterrand dans l’entre-deux-guerres

12 septembre 1994
04m 12s
Réf. 00298

Notice

Résumé :
François Mitterrand répond à Jean-Pierre Elkabbach qui l’interroge sur ses engagements politiques dans les années Trente.
Date de diffusion :
12 septembre 1994
Thèmes :

Éclairage

À la suite de la parution du livre de Pierre Péan, Une Jeunesse française, retraçant le parcours politique de François Mitterrand et notamment ses engagements politiques de jeunesse à droite, une importante polémique éclate. Celle-ci conduit le président à s’expliquer longuement sur son passé et notamment sur ses engagements politiques de jeunesse. Il choisit pour cela d’être interviewé par Jean-Pierre Elkabbach, journaliste peu suspect de complaisance à son égard.

Étudiant à Paris en 1934 en droit et en sciences politiques, François Mitterrand adhère pendant un temps aux Volontaires nationaux, c’est-à-dire au mouvement de jeunesse des Croix-de-feu du Colonel La Roque qui est alors en passe de structurer la droite catholique et conservatrice française. « Littérateur », mondain, produit de son milieu, catholique engagé dans l’action sociale, une photo le fait apparaître à cette époque au milieu d’une manifestation d’étudiants d’extrême droite sans que l’on puisse en conclure grand-chose. Il évoque d’ailleurs pour se défendre le souvenir de sa rencontre avec Georges Dayan, juif oranais, qui deviendra par la suite l’un de ses amis les plus proches jusqu’à sa disparition brutale en mai 1979.
Georges Saunier

Transcription

Jean-Pierre Elkabbach
À dix-huit ans vous venez à Paris, vous devenez membre actif du mouvement de jeunesse créé par le leader des Croix de Feu, le Colonel La Roque. Vous êtes volontaire national.
François Mitterrand
Si vous aviez su ma capacité d’indifférence, ma curiosité d’esprit, également répartie, vous ne diriez pas…
Jean-Pierre Elkabbach
Oui, mais, vous étiez là, vous étiez là.
François Mitterrand
Oui, mais au bout de quinze jours, j’ai trouvé cela tellement ennuyeux et même un peu sous-produit, que je n’ai pas insisté.
Jean-Pierre Elkabbach
Pourquoi là et pas à Gauche ?
François Mitterrand
Parce que, mais on est, quand on a cet âge-là, sauf capacité extraordinaire que je ne semble pas avoir eue, on est le produit de son éducation et de son milieu. J’étais, jusqu’à ce que mon expérience personnelle, ma réflexion personnelle me fasse faire d’autres choix, j’étais le produit de ce milieu. Et c’était un milieu au demeurant souvent sympathique à mes yeux.
Jean-Pierre Elkabbach
Mais il y en a qui ont su rompre avec leur milieu, encore plus brutalement.
François Mitterrand
C’est-à-dire un milieu de petite bourgeoisie modérée, catholique, patriote, peut-être un peu conforme. Sans méchanceté particulière, n’aimant pas les extrêmes, très curieuse intellectuellement, je suis ce produit-là.
Jean-Pierre Elkabbach
Vous lui êtes fidèle pendant longtemps, à ce produit ?
François Mitterrand
Je commence à acquérir une expérience personnelle, un jugement sur les hommes et sur les choses, et sur l’état de la société, disons, à partir de ma captivité en Allemagne.
Jean-Pierre Elkabbach
En 1935, c'est février, on vous voit, dit Péan, dans une manifestation d’étudiants contre, je cite le titre, L’invasion des métèques, les métèques, c’est nous tous, là, quelques uns, nos parents, les métèques.
François Mitterrand
J’ai vu ça et Pierre Péan a eu l’honnêteté de m’en parler ; et il aurait la même honnêteté de vous dire, s’il parlait avec vous, que je m’en suis beaucoup étonné. Je lui ai dit, écoutez, à mon avis, cette manifestation n’avait pas cet objet, en tout cas, je n’en ai gardé aucun souvenir. En tout cas, je tiens à le dire, je n’ai jamais été, par tempérament, par habitude et aussi par l’enseignement de mon père et de ma mère, je n’ai jamais été hostile comme ça, instinctivement, jamais sensible au racisme. Bon, je me souviendrais même d’un incident. Vous savez que l’un de mes amis les plus chers s’appelait Georges Dayan, il était d’une famille juive d’Oran et c’était un garçon remarquable et qui est resté pour moi, je veux dire, que son seul souvenir m’émeut. Et j’ai fait sa connaissance une première fois comme ça, nous étions à la terrasse du bistrot qu’on appelait le Biarritz, qui a disparu depuis, sur le boulevard Saint-Michel. Il était là avec cinq ou six autres amis juifs. Moi, je ne le connaissais pas du tout. Et puis, sont arrivés, est arrivée une bande d’énergumènes qui a commencé à dire, à bas les métèques, et à faire le coup de poing. Instinctivement, je me suis mêlé de cette affaire, du côté de ces quelques hommes isolés, courageux en diable mais qui étaient évidemment, qui ployaient sous le nombre. Donc une certaine sympathie est née entre nous, puisque moi, j’avais…
Jean-Pierre Elkabbach
Mais vous avez défendu ce soir-là Georges Dayan, où les juifs ?
François Mitterrand
Je ne le connaissais pas, je ne le connaissais pas. Et quelques mois plus tard, ou années, service militaire, on se trouve dans la même section au Fort d’Ivry, au 23e régiment d’infanterie coloniale. Alors, la relation s’est renforcée et nous sommes restés jusqu’à sa mort des amis extrêmement proches, et depuis sa mort, je le regrette. C’est pour vous dire que je me souviens de ça. À bas les métèques, ça me paraît une expression horrible, et si je m’étais mêlé consciemment…
Jean-Pierre Elkabbach
Qu’est-ce que vous dites là, que vous n’y étiez pas ?
François Mitterrand
Je ne pense pas que cette manifestation, c’était cela, et en tout cas, moi, je n’y étais pas pour ça. Et si je l’avais fait, eh bien, je n’hésiterais pas à dire que j’aurais eu grand tort, et que ce serait contraire à tout ce qui fait le fond de moi même.