Les touristes étrangers à Tignes

19 décembre 1978
02m 44s
Réf. 00057

Notice

Résumé :

La station de Tignes reçoit en moyenne de 300 000 touristes chaque année. Parmi eux, 55% sont Français, 3% viennent du Benelux, 12% sont Suédois et 25% sont Allemands. Ces derniers sont de plus en plus nombreux et viennent plus tôt dans la saison, ce qui n'est pas pour déplaire aux commerçants. Le remplissage de la trentaine d'hôtels chaque saison est dû entre autres à la campagne de communication effectuée.

Date de diffusion :
19 décembre 1978
Source :

Éclairage

« Par l'afflux des étrangers, il [le tourisme] contribuera au rétablissement de notre balance commerciale ». Ces propos du rapporteur de la troisième Commission du conseil général de Savoie au moment du lancement de la station de Courchevel en 1945 semblent encore d'actualité dans ce reportage de Gérard Moulinet du 19 décembre 1978 de l'édition régionale de FR3. Débutant par une fausse polémique lancée par un « quotidien » dont on tait le nom suggérant qu'il y aurait « trop d'Allemands à Tignes », le reportage centre rapidement son propos sur la manne financière que représente cette clientèle pour Tignes, « situation qu'envient bien d'autres stations voisines ». Il privilégie en effet un regard économique sur cette clientèle, qui, à l'exception du représentant d'un tour opérateur, n'est jamais interrogée. Cette « manne » allemande est d'abord appréhendée à travers le regard des différents acteurs économiques du secteur (gérants de magasins de sports, propriétaires de bar, représentants de l'office du tourisme) comme un segment de marché spécifique : clientèle nombreuse (25% des skieurs de Tignes), clientèle « d'avant-saison » - le reportage est d'ailleurs réalisé un 19 décembre - qui permet de combler un manque à gagner dans les moments de creux (novembre – décembre) au sein d'une station qui a l'avantage sur les autres domaines skiables d'avoir su équiper son glacier pour permettre un ski d'avant-saison mais aussi de fin de saison voire d'été. Seule une poignée d'autres stations parmi lesquelles les Deux Alpes peuvent se flatter de pouvoir accueillir toute l'année des skieurs. En effet, à la suite de la construction du barrage EDF en 1952 et de la submersion du chef- lieu, Tignes, dont les débuts dans les sports d'hiver datent des années 1930, se réorganise. Certains habitants décident de s'installer sur les alpages du lac de Tignes à 2100 mètres. En 1953, naît « Super Tignes » qui attire le promoteur Pierre Schnebelen. Il équipe Val Claret : des remontées économiques montent alors à l'assaut du glacier de la Grande Motte. Avantageuse, la clientèle allemande l'est aussi parce qu'elle rapporte beaucoup de « devises » et des « devises fortes » comme le rappelle le représentant de l'office du tourisme. La vision est conforme à celle des pouvoirs publics depuis 1945. Si une attention plus grande est réservée au client, le skieur étranger est d'abord vu à travers ses bénéfices économiques, au sein d'un modèle qui, malgré les critiques croissantes dont il fait l'objet dans les années 1970 (destruction de l'environnement notamment), continue de promouvoir « l'usine à skis » à travers « le remplissage de la trentaine d'hôtels ». Les caractéristiques réelles de cette clientèle ne sont pas examinées. Tout au plus passe-t-elle au crible d'une vision très stéréotypée de l'Allemagne et des Allemands affublés du même chapeau tyrolien que le tour opérateur sur lequel s'attarde longuement la caméra ou dont on « ne peut pas dire qu'ils soient plus méchants que cela ». Il faut dire que le point de départ du reportage est en soi un biais qui n'apparaît pas véritablement pertinent – et qui paraît avoir été rappelé aux témoins. Il donne la mesure encore dans la France des années 1970 des préjugés et des réserves à l'égard de nos voisins d'Outre-Rhin. Les bronzés font du ski en 1979 ne sont pas plus tendres avec la clientèle allemande.

Bibliographie :

- Knafou Rémy (1978) Les stations intégrées de sports d'hiver des Alpes françaises : l'aménagement de la montagne « à la française ». Paris : Masson.

Isabelle Gaillard

Transcription

Gérard Moulinet
Récemment, un quotidien posait la question, trop d’Allemands à Tignes ? Une question qui revient sur le tapis chaque année, à la même époque. Tout d’abord, il faut savoir que sur la fréquentation totale de la station, c’est-à-dire, sur les 300 000 personnes qui défilent chaque année, 55% sont des Français, 3% viennent du Benelux, 12% sont suédois, et 25%, donc le quart, sont allemands. Pourquoi cet engouement de nos voisins d’Outre-Rhin pour Tignes, la réponse nous est donnée par [Friscor], qui pèse près de 2000 skieurs allemands, c’est une espèce de ski tour opérateur. Pour lui, deux raisons, l’enneigement en novembre, décembre, époque où les Allemands aiment venir ; et le fait que depuis 10 ans, ils ont pris des habitudes à Tignes qui a été parmi les premières à équiper son glacier, ce qui lui permet d’avoir très tôt une avant saison. Si pour les Français en vacances ici, Tignes est une station allemande, pour les commerçants, les hôteliers ou les moniteurs, c’est en fait une aubaine, car cela permet de remplir les périodes creuses. Pour tous, ce sont des clients corrects.
Inconnu 1
On est bien content de les trouver, surtout en intersaison, si vous voulez. Là, bon ben, il y a des semaines où les Allemands arrivent ici en quantité, sinon souvent, c’est-à-dire, assez régulièrement des agences suédoises.
Inconnue
Oui, on a beaucoup d’Allemands, pas mal de Suédois aussi, car c’est aussi une grosse clientèle oui, et puis un peu de Français. Mais enfin, le principal de notre clientèle, c’est surtout les Allemands.
Inconnu 2
Et ils viennent, en un quart d’heure, ils ont consommé, ils ont bu, ils sont partis, ils se renouvellent, ils se mettent à 10 à une table de 2, et moi je suis ravi d’avoir des Allemands.
Inconnu 3
C’est des gens en vacances, c’est tout. Ces gens en vacances, les Allemands, on ne peut pas dire qu’ils soient plus méchants que les autres ou quoi que ce soit. C’est qu’ils sont surtout plus nombreux, et puis, sinon, moi je pense qu’ils ont à peu près le comportement identique à ceux des Français en Espagne, par exemple.
Gérard Moulinet
Depuis longtemps, la municipalité et l’office du tourisme ont compris la nécessité de diversifier leur clientèle ; à preuve, une tournée récente de promotion dans l’est et le nord de la France, sans pour autant, cependant, abandonner la manne allemande.
Intervenant
Ce qu’il faut savoir c’est que en Europe, l’Allemagne est quand même le pays avec, qui a une devise forte du point de vue économique, et c’est quand même là que se trouve le potentiel de skieurs le plus important de l’Europe. Alors, c’est un marché qui n’est pas à lâcher. Je crois que nous avons beaucoup de facilités sur le marché allemand, parce que sans démarcher, nous avons tous les ans, depuis deux, trois ans une clientèle qui reste stable, qui était importante déjà et qui reste stable maintenant.
Gérard Moulinet
La saison pour Tignes, le remplissage de la trentaine d’hôtels, tout cela n’est pas le fruit du hasard mais d’une politique menée depuis plusieurs années et servie, il faut bien le dire, par le cadre géographique. Une situation qu’envient bon nombre de stations voisines, dont les séjours forfaitaires intersaisons restent, c’est le moins que l’on puisse dire, problématiques.