Le cinquantenaire de l'Alpe d'Huez

19 décembre 1986
04m 16s
Réf. 00067

Notice

Résumé :

Le reportage retrace l'histoire de l'Alpe d'Huez de la création de la station jusqu'à nos jours. Il présente les évolutions économiques et sociales que la station a permis, grâce à l'accroissement du tourisme, au fil des années. La station compte 59 remontées mécaniques ; 74 pistes ; 37 hôtels pour une capacité de 25 000 lits et "seulement" 1201 habitants. Témoignage d'une habitante qui ne se sent plus chez elle depuis la création de la station et l'arrivée des touristes.

Date de diffusion :
19 décembre 1986
Source :
FR3 (Collection: JT FR3 Alpes )

Éclairage

Le reportage, diffusé en décembre 1986 dans l'édition régionale de France 3, fait état du cinquantenaire de l'Alpe d'Huez, station mythique du département de l'Isère, et propose une succession d'interviews d'acteurs importants de la station, entrecoupées de photos d'époque et de scènes filmées plus récemment. La vidéo débute sur une présentation traditionnelle d'une station, avec en 1986, 25 000 lits touristiques pour 1201 habitants permanents à Huez, 59 remontées mécaniques, 74 pistes sur 800 hectares, 37 hôtels et 12 milliards de centimes de chiffres d'affaires.... L'auditeur est renvoyé à l'histoire déjà longue de l'Alpe d'Huez qui a débuté sur la commune d'Huez dès les années 1935, avec l'implantation du premier remonte-pente par Jean Pomagalski mais également la création de la route facilitée par l'intervention de Joseph Paganon, député de l'Isère et ministre des transports publics de l'époque. La station a cependant connu son réel essor dans les années 1950 et devient l'archétype de la station de deuxième génération selon la typologie de Georges Cumin (1). Une station née en site vierge, sur les alpages, avec une urbanisation souvent qualifiée de sauvage car sans plan masse et surtout au gré des opportunités de développement et de capacités financières.

Ce reportage témoigne du caractère pionnier du tourisme venu bouleverser la société locale, ses codes, ses normes et sa culture. En ce sens, l'interview de la doyenne de la commune est éloquente et témoigne de la véritable révolution culturelle engendrée par le développement du tourisme. D'un côté, les habitants se sentent dépossédés de leur village, « ne se sentent plus chez eux » alors qu'avant, ils étaient « en famille ». De l'autre, à l'image de la doyenne, les premiers skieurs de l'époque ont exercé une réelle fascination et ont ainsi permis la diffusion de la pratique du ski et plus largement du développement touristique. C'est un volet souvent négligé ou donnant lieu à des controverses dans la relecture de l'histoire du développement touristique de la montagne. Ainsi, la phase pionnière de la création du tourisme est généralement présentée comme ayant entraîné une acculturation des populations locales et une dépossession des habitants (cf. les positions virulentes voire radicales dans certaines communes autour de la question foncière). La réalité est plus complexe avec d'un côté, des phénomènes de confiscation du développement touristique par certains acteurs, et de l'autre, une réelle implication des populations locales dans l'évolution de leur territoire. La dynamique démographique a largement évolué avec de nouveaux habitants et de nouveaux acteurs, à l'image du curé du village qui rend compte de la construction d'une église, à l'architecture moderne pour soutenir la revitalisation démographique de la commune.

Cette implication peut d'ailleurs donner lieu à une image d'Epinal dont témoigne la figure souvent valorisée du paysan-moniteur, passeur de deux mondes si éloignés, l'agriculture et le tourisme, plus fastueux.

Le reportage fait également état du courage des acteurs qui ont cru dans l'aventure des sports d'hiver et l'ont porté dans des conditions souvent difficiles. Il en est ainsi des premiers hébergeurs de l'Alpe qui ont transformé des bâtiments d'alpage en pensions puis hôtels, initialement les week-ends puis de manière pérenne. Il leur a fallu braver l'absence de route et d'électrification sur leur territoire dans les années 1930. Ce développement touristique a aussi remodelé le village. Le reportage se termine d'ailleurs sur une vue panoramique de l'actuel domaine skiable de l'Alpe d'Huez, bien éloigné du village des années 1930, avec en bruit de fond, l'activité d'un hélicoptère, donnant une touche de modernité. Le maire de l'époque, Jean-Guy Cupillard, vante alors toutes les qualités de sa station, station de loisir hiver-été pour une clientèle française comme étrangère.

(1) Georges Cumin fut directeur du SEATM, Service d'Études d'Aménagement Touristique de la montagne et également maire de Saint Martin de Belleville.

Pour aller plus loin :

- Arnaud Danielle (1975) La neige empoisonnée. Éditions Alain Moreau.

- Gerbaux Françoise, Marcelpoil Emmanuelle (2006) Gouvernance des stations de montagne en France : les spécificités du partenariat public-privé. In : Revue de géographie alpine, tome 94 N°1. p. 9-19.

Emmanuelle George-Marcelpoil

Transcription

Patrice Didier
La grande chance de l’Alpe d’Huez, Joseph Paganon, député de l’Isère et Ministre des Transports Publics en 1935. C’est à lui qu’on doit la construction de la route reliant Bourg-d’Oisans à l’Alpe d’Huez en quelques mois l’été 1935. Une route qui débouche alors sur quelques chalets d’alpage, tout reste à faire. Aujourd’hui tout a été fait ou presque, l’Alpe d’Huez offre le visage d’une station épanouie qui a su s’adapter à la ruée vers l’or blanc. C’est un budget de 12 milliards de centimes, 59 remontées mécaniques, 74 pistes balisées sur 800 hectares, 37 hôtels, une capacité d’accueil de 25 000 lits, le tout pour 1201 habitants. Mais revenons en 1936 où les autochtones coulaient encore dans le calme des jours heureux.
(Bruit)
(Musique)
Félicie Achard
Au début du siècle on était vraiment en famille, maintenant on n’est plus en famille.
Patrice Didier
Vous n’avez plus l’impression d’être chez vous ?
Félicie Achard
Ah non ! Non, non, non !
Patrice Didier
Tous ces touristes, tous ces étrangers, ça fatigue ?
Félicie Achard
C’est très agréable, mais pour moi vous savez, on n’est plus chez soi.
Patrice Didier
Vous avez vu arriver les skieurs, expliquez-moi, ça se passait comment ?
Félicie Achard
C’était tout extraordinaire, c’était tout extraordinaire de voir ces skieurs. Alors il y a même des petites, des dames du pays qui voulaient faire du ski. Mais à ce moment-là on allait en jupes, on n’était pas équipées.
(Musique)
Marius Sarret
On a commencé à être moniteurs indépendants, on était trois ou quatre à peu près, et après on a été moniteurs au Ski Club de Paris, à ce moment-là pendant un an.
Patrice Didier
Vous arriviez bien à gagner votre vie ?
Marius Sarret
Ben, justement là, juste quoi ! Ça payait quand même à peu près les repas qu’on avait ici quoi, et puis la chambre. Mais enfin, et puis, les sorties, les petites sorties quoi, mais après, quand ça arrivait le printemps, naturellement, on n’avait plus rien dans la poche quoi !
(Musique)
Gustave Chalvin
On s’est installé pour essayer de gagner sa croûte et on montait tout le ravitaillement sur le dos.
Patrice Didier
Et vous le montiez d’où ?
Gustave Chalvin
D’Huez, il n’y avait pas, il n’y avait pas de route ouverte, il n’y avait rien.
Patrice Didier
Alors dites-moi, vous aviez combien de chambres ?
Gustave Chalvin
Et bien, la première année, je n’avais pas de chambre, je n’avais que des dortoirs.
Patrice Didier
Et vous aviez vraiment des clients ?
Gustave Chalvin
Mais on a eu des clients, mais on ne travaillait que le samedi et le dimanche.
Patrice Didier
Vous avez également été l’un des pionniers de l’électricité ici, à Huez ?
Gustave Chalvin
A l’Alpe d’Huez, l’électricité est passée au sommet de l’Eclose, qui montait à Lamine, et avec Monsieur Rajon, nous avons été chercher l’électricité là-haut à nos frais, pour installer, Monsieur Rajon 32 lampes et moi, 16.
Patrice Didier
Est-ce que vous avez partagé là, les frais ?
Gustave Chalvin
Il a payé deux tiers, et moi un tiers.
Patrice Didier
Pourquoi ?
Gustave Chalvin
Et bien, parce que c’était humain.
Patrice Didier
Parce qu’il avait 32 lampes et vous 16 ?
Gustave Chalvin
Et oui !
(Musique)
Jaap Reuten
Ce n’était pas évident à construire, il y existait, vous le savez peut-être, une petite chapelle en bois qui avait été construite en 1940. Et d’ailleurs, elle a fonctionné donc relativement peu de temps parce que 25 ans après, on a vu que c’était trop petit et qu’il fallait chercher autre chose, et puis donc, on a construit ici. Quand on fait ça, on me disait aussi que c’était trop grand, et puis on se rend compte actuellement que souvent, l’église est presque trop petite.
(Musique)
Patrice Didier
Si vous aviez, en une phrase, à résumer l’Alpe d’Huez de l’an 2000 ?
Jean-Guy Cupillard
Ecoutez, moi je crois qu’aujourd’hui en une phrase, on peut dire que l’Alpe d’Huez, c’était un tout petit village ; qui, grâce au travail, au courage et à l’opiniâtreté de ses habitants, de ses 1200 habitants permanents, est devenu une des plus grandes station de vacances pour l’hiver et pour l’été, pour les Français et les étrangers.
(Bruit)