Les femmes à la montagne

07 juin 1977
04m 16s
Réf. 00091

Notice

Résumé :

Reportage sur le quotidien des femmes en montagne. Dans les Alpes, les hommes travaillent aux champs ou à la ville. Les femmes, quant à elle, gèrent l'habitation, les enfants et réalisent les travaux quotidiens de la ferme. Souvent sans moyen de locomotion, il est difficile pour elle de descendre dans la vallée, et elles se sentent parfois isolées. C'est pourquoi celles-ci s'entraident pour les tâches du quotidien comme emmener les enfants à l'école par exemple.

Date de diffusion :
07 juin 1977
Source :

Éclairage

Si le reportage est diffusé au sein du JT de la station régionale FR3 Alpes, ce 7 juin 1977, il pourrait s'inscrire très largement dans la série les Femmes aussi, émission phare d'Eliane Victor qui a été diffusée de 1964 à 1973 (avec une rediffusion partielle dans l'émission Regards de femmes de 1988 à 1990). La manière de les filmer et de les interroger renvoie à cette parole donnée aux femmes dans des années de profonde transformation de leur statut, de leurs conditions de vie et d'existence dans la société, avec leur mise en visibilité que portent les mouvements féministes.

Le sujet traite de la condition des femmes dans les territoires de montagne, la permanence de leur statut comme les éventuelles transformations induites par le tourisme. C'est vrai pour les villages d'en haut mais aussi pour les villages situés dans l'entre deux, à proximité des vallées. Le panoramique qui balaie les vastes étendues de la vallée du Grésivaudan (large vallée d'origine glaciaire entre Grenoble et Chambéry), avec les villages installés à mi-pente, lieu d'habitation de quelques unes de ces femmes interviewées, suggère cette idée. La journaliste construit son reportage en s'appuyant sur une enquête réalisée par la DDA (Direction Départementale de l'Agriculture) de l'Isère sur les femmes agricultrices, tout en l'étendant à d'autres qui vivent en Savoie (le village de Peisey est évoqué).

Pour montrer l'importance de leur présence et de leur rôle économique, la journaliste a choisi quelques femmes, observant la diversité des âges, allant d'une personne âgée, symbolisant la vie traditionnelle à côté de plus jeunes. L'une d'entre elles est accompagnée par une femme d'âge mûr, sans doute sa mère, rappelant la cohabitation des générations encore en vigueur à la campagne. Ces femmes sont filmées pour partie dans leur quotidien, sans qu'elles ne soient « déguisées » pour passer à la télévision. C'est particulièrement le cas de la première, saisie devant ce que l'on devine être sa ferme, et au retour de son jardin. Coiffée d'un béret et avec des vêtements simples et usagés, elle semble peu à l'aise (rires et sourires au départ, en guise de réponse). Les deux questions posées confirment et infirment l'impression donnée par l'allure de cette personne : un rappel de la vie ardue et éprouvante en montagne surtout pour les femmes qui doivent travailler pour compléter des ressources très difficiles à gagner. En même temps, on apprend que cette personne est une « pionnière » puisqu'elle a fait installer les sanitaires dans sa maison dès les années cinquante, à une époque où bien des habitats urbains ne disposent pas de cet équipement. Faire une telle installation coûteuse suscite la critique des voisins : or le monde rural de la montagne est un monde de l'économie et du non gaspillage. D'ailleurs, bien qu'ayant l'eau courante, elle continue d'aller au lavoir au centre du village, traditionnel lieu de rencontres pour les femmes. Les autres témoignages ciblent le classique problème de l'enclavement et des difficultés de circulation. Celui-ci est d'autant plus ressenti que la circulation automobile s'est généralisée. Or bon nombre de ces femmes n'ont pas encore le permis : une forme de dépendance plus forte que celle du travail. Si certaines s'associent pour se rendre au bourg voisin, les difficultés de déplacement pèsent aussi sur les enfants et leur trajet d'écolier. Avec la diminution du nombre des familles (ces villages en sont encore à l'heure de l'étiage de leur population), les écoles de hameaux ont été fermées et les enfants doivent se rendre au chef-lieu, souvent distant de plusieurs kilomètres, nécessitant de prendre le car ou d'être accompagné par un adulte. Ces femmes en font un marqueur de leur situation. Car pour le reste, à bien les écouter, elles sont organisées et s'inscrivent dans la logique économique des territoires. Si la journaliste veut faire ressortir la faiblesse de leurs revenus, chacune d'entre elles évoque la tradition de pluriactivité des deux sexes, que le tourisme permet ; garderie d'enfants, agriculture et ski. C'est d'ailleurs sur une image d'une montagne enneigée que se clôt le film, alors que la journaliste n'a pas saisi ce que lui dit timidement une de ses interlocutrices : les gîtes ruraux apportent un complément intéressant : une autre forme d'usage du tourisme pour ces femmes qui développent l'accueil à la ferme. Dans ces années 70, le modèle prend de l'ampleur. Mais le reportage préfère opposer les deux images de la montagne : la tradition et la modernité. Ainsi des femmes âgées sont filmées en train de réactiver les vieux métiers du tissage (pour les seuls besoins de la caméra ?), remettant en vigueur les rouets. Cette brève évocation dessine la future patrimonialisation des traditions que le tourisme exploite alors que l'image finale dresse le panorama d'un alpage enneigé que la station urbaine avec ses immeubles neufs et ses installations a rendu à la modernité.

Anne-Marie Granet-Abisset

Transcription

Inconnue 1
Messieurs dames.
Evelyne Garcia
Ça fait longtemps que vous travaillez, Madame ?
Inconnue 1
Hein ?
Evelyne Garcia
Ça fait longtemps que vous travaillez dans la région, vous vivez ici ?
Inconnue 1
Bien sûr, depuis que je suis née, pas tout à fait, mais…
Evelyne Garcia
Et la vie, elle a toujours été dure ?
Inconnue 1
Oh, toujours !
Evelyne Garcia
Et maintenant, ça va mieux, non ?
Inconnue 1
Maintenant, on a peut-être un petit peu plus des commodités, et toujours bien du travail.
Evelyne Garcia
Je crois que c’est vous qui avez installé la première salle de bain ?
Inconnue 1
Oui, oui !
Evelyne Garcia
C’est ça ?
Inconnue 1
Je crois.
Evelyne Garcia
Ça s’est passé quand ?
Inconnue 1
En 50.
Evelyne Garcia
Et qu’est ce qu’on pensait ici, euh…
Inconnue 1
Oh, les gens criaient tous miséricorde, qu’on avait tout mangé notre bien.
(Musique)
Evelyne Garcia
D’une enquête réalisée par la Chambre d’Agriculture de l’Isère, il ressort que dans les Alpes, 52 % des femmes sont agricultrices et 29 % sans profession. Qu’elles vivent à Theys, Montchavin, Peisey-Nancroix, leurs problèmes diffèrent sensiblement, autant que peuvent différer la basse et la haute montagne. Mais au bout du compte, ils se rejoignent, car il s’agit d’arriver à vivre en montagne, dans un environnement, un contexte économique, un esprit particulier, et ce n’est pas toujours facile.
(Musique)
Evelyne Garcia
Ne souffrez-vous pas de l’isolement ?
Madeleine Moncenis
Un peu, c’est parce qu’on est loin de tas de choses.
Evelyne Garcia
Et puis, il y a aussi…
Madeleine Moncenis
On n’a pas de moyen de locomotion parce que pratiquement toutes des femmes, une partie des femmes d’agriculteurs n’ont pas de permis de conduire. Pour elles, de toute façon, ça coûte très cher, alors ça demande beaucoup de prévisions avant de commencer, d’apprendre.
Inconnue 2
On s’organise de façon à partir à chaque fois qu’on a besoin de quelque chose ou alors on se met à plusieurs. Comme là j’ai ma cousine là, qui est avec moi, et quand elle a quelque chose à faire, on part toutes les deux, si il faut aller à Moutiers ou à Hem, ou à Bourg, on part à deux, ou alors c’est…
Evelyne Garcia
Par exemple pour un médecin ou…
Inconnue 2
Voilà !
Evelyne Garcia
Un remboursement de sécurité sociale.
Inconnue 2
Voilà, ou alors on écrit, parce que l’hiver, on n’a pas le temps de se déplacer vu le travail de la ferme plus le travail de ski. On ne peut pas partir toute la journée dans les routes, ce n’est pas possible, hein.
(Musique)
Evelyne Garcia
Autre conséquence de cet éloignement, les enfants ne peuvent suivre normalement le cours de leurs études, et cela, aussi bien en basse qu’en haute montagne. Les tous petits, âgés de 5 ans devront, soit rester à la cantine, soit rentrer à pieds, et là, on s’aperçoit que la montagne est très mal desservie. Et les premières à en souffrir, ce sont déjà ces petites bonnes femmes.
Madeleine Moncenis
Tant que les enfants vont jusqu’à Theys, bon, plus ou moins, les papas les emmènent en voiture, il y a un ramassage scolaire. Et puis aussi, à Theys, on avait trois écoles, une au Vincent, une aux Glapigneux, une est déjà complètement fermée, parce qu’il n’y avait pas assez d’enfants dans le hameau. Celle des Glapigneux se ferme cette année avec grand regret parce que ces enfants qui ont 3 kilomètres, 4 kilomètres, il faudra les faire tous les jours et les tous petits de 5 ans, c’est beaucoup.
(Musique)
Evelyne Garcia
Madeleine Moncenis a deux enfants, dont un en bas âge. Son mari est agriculteur, elle, elle aide aux champs. Mais pour équilibrer un budget familial grevé et lourdement par les charges qu’impose une exploitation, elle a recourt à un travail complémentaire, elle garde des enfants.
(Musique)
Madeleine Moncenis
Moi, je garde des enfants pour essayer d’apporter un petit complément au budget, parce que…
Inconnue 3
Puis alors, il y a entre, il y a des gîtes ruraux, c’est pour certains, ça, c’est valable.
Evelyne Garcia
Est-ce que vous vous servez également du tourisme comme emploi complémentaire, mais un tourisme beaucoup plus large. Est-ce qu’il y a des femmes qui vont travailler en montagne, alors beaucoup plus haut.
Inconnue 3
Pas de nos côtés, je ne pense pas, non !
Madeleine Moncenis
Non, non, il y a les…, les garçons qui vont travailler en station, mais c’est tout. Et nous regrettons beaucoup parce que si les femmes, l’hiver, auraient un emploi dans la station, ça serait agréable.
(Musique)
Evelyne Garcia
Parallèlement à l’utile, travailler, c’est s’assurer pour le futur, mais aussi s’ouvrir vers l’extérieur, aux autres, oublier le train-train quotidien astreignant. L’on trouve dans certains hameaux, aux villages, des ateliers d’artisanat ; mais aux vertus vivifiantes du folklore sont confrontées les problèmes de rentabilité et de qualité, pas toujours évidents. Alors le tourisme en haute montagne, à bien des égards, devient un placement sûr qui attire aussi les femmes.