Fête du ski "La montagne est l'école des forts"

1910
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Réf. 01010

Notice

Résumé :

Photographie de Gustave Oddoux issue du fonds iconographique du Musée dauphinois.

Type de média :
Date de diffusion :
1910

Éclairage

Inédite et surprenante, cette photo l'est à plus d'un titre. Dans ce qui ressemble à la rue principale d'une bourgade, une immense arche de verdure décorée marque de manière officielle (un blason au centre de l'arche, les drapeaux fichés de part et d'autre) l'entrée dans le bourg et dans une manifestation que l'on peine à identifier au premier abord : fête patronale (1), fête des alpinistes plus vraisemblablement, compte tenu du texte de la banderole écrit en grandes lettres : « La montagne est l'école des forts » ? Au premier plan, un groupe de skieurs à l'équipement reconnaissable, déjà en piste pour l'un, chaussant ses skis pour l'autre alors que le dernier les porte encore sur l'épaule, regarde le photographe grenoblois Gustave Oddoux, installé pour le reportage. Dans la rue boueuse déneigée, quelques personnages les observent, dont l'allure et les vêtements signent des appartenances sociales diverses : un militaire, des notables, des habitants, et un homme portant un sac à dos, avec un équipement de montagne. La « jardinière » et la voiture à cheval couverte, en train de passer sous l'arche, masquent une foule visiblement très compacte à l'arrière : un indice de l'ampleur de la manifestation et de l'attraction qu'elle suscite. Des bâtiments à la fonction résidentielle, de taille imposante pour l'un surtout (à gauche de l'image), et touristique, en tout cas, pour des voyageurs de passage, (inscription « hôtel » sur la façade d'une bâtisse à droite, située après l'arche (2)), signent l'importance géographique de la bourgade qui, en 1910, compte environ 550 habitants.

On est à Monestier-de-Clermont, chef-lieu de canton du Trièves, situé à quelques quarante kilomètres au sud de Grenoble, sur la route (N75) qui relie cette dernière à la Provence par le col de Lus la Croix haute. Depuis 1878, la voie de chemin de fer qui joint Grenoble à Marseille et aux Hautes Alpes via Veynes et Gap favorise également le développement du tourisme dans cette partie méridionale du Dauphiné. Les édiles de cette localité, très liés aux élites grenobloises, veulent faire de leur bourgade une station de sports d'hiver pour compléter le tourisme estival déjà bien présent, en profitant de la proximité de la capitale du Dauphiné et d'un site prestigieux, le Mont Aiguille. Ils veulent également suivre un autre exemple proche celui de Lans qui a développé le ski nordique sur le plateau du Vercors dans les premières années du 20ème siècle. Aussi les élites locales (maire, commerçants, hôteliers) auxquels s'adjoignent quelques résidents secondaires grenoblois, fondent en 1907 un comité local d'initiative (synonyme de syndicat d'initiative), sur le modèle et la houlette de celui de Grenoble (1889), un des premiers du genre, bénéficiant aussi de l'aide du Touring-Club de France. Leur objectif, inscrit dans les statuts, « attirer les visiteurs étrangers et leur rendre le séjour agréable » pour au final, « augmenter la prospérité de Monestier-de-Clermont et de son canton ». On précise que « le but est désintéressé et patriotique », une coloration qui se lit dans la bannière installée sur l'arche. Le ton « la montagne est l'école des forts » n'est pas sans rappeler celui du CAF (Club Alpin Français) fondé après la défaite de 1870 (1874) qui inscrivait dans un de ses motifs fondateurs : « pour la patrie par la montagne ».

Les clichés réalisés par le photographe grenoblois Gustave Oddoux ont mémorisé l'événement de Monestier, cette fête du ski et de la montagne, comme la plupart de ceux liés au tourisme : un créneau commercial intéressant qui peut être vendu en photographie souvenir ou sous la forme de cartes postales. Comme la plupart des photographes professionnels locaux (les Martinotto, Fortuné, Tomich, etc) au tournant du siècle, Gustave Oddoux saisit l'opportunité du développement de la carte postale pour compléter son activité de photographe. Il devient même éditeur. C'est un personnage intéressant qui correspond à ce monde des photographes régionaux, pour certains venus tardivement à ce métier. En effet, il est d'abord gantier, puis ébéniste chez ses beaux-parents. Audodidacte et créateur, il fabrique d'abord des appareils photographiques avant de devenir photographe.

La photographie est datée de 1910. Elle aurait été réalisée lors de la 3ème édition du concours de ski organisé par le Comité d'initiative (1908). La première a été organisée par le Ski-club et le syndicat d'initiative de Grenoble. Un des premiers concours du genre, centré sur le ski de fond et le saut à ski, premières pratiques alors en vogue. La commune a fait édifier deux tremplins au dessus de la gare et une piste de luge et même une piste de bobsleigh. D'après l'histoire de ce syndicat (3), lors de la première manifestation un arc de triomphe haut de 7 mètres avait été dressé, avec une affluence très forte de spectateurs venus par le train de Grenoble, avec le PLM qui avait spécialement adapté les horaires pour un séjour à la journée. Ces indications plaideraient pour dater le cliché de 1908/1910. Toujours est-il que dès l'année 1909, Monestier fonde à son tour son club de ski, participant au développement de ce sport et ce tourisme particulier, qui sera ensuite repris quelques décennies plus tard par une autre commune du canton, Gresse en Vercors (4).

(1) On aurait pu penser aux fêtes d'hiver des Laboureurs avec des chars et des voitures fleuries qui se tenaient dans nombre de bourgades du Dauphiné (Vercors, Matheysine ou encore Trièves) à cette époque.

(2) A l'époque sont recensés 3 hôtels et 5 restaurants.

(3) Article de Lionel Riondet, « le syndicat d'initiative a 100 ans ».

(4) L'altitude de Monestier-de-Clermont, 843 m, ne l'assurant pas d'un enneigement constant et la commune n'étant plus adaptée à la pratique du ski alpin.

Pour aller plus loin :

- Frangne Pierre-Henry, Jullien Michel, Poncet Philippe (2013) Alpinisme et Photographie 1860-1940.

- Granet-Abisset Anne Marie (2002) Mémoires de papier glacé : quand les photographes regardent les Alpes. In : Mémoire, Religion, Montagne, Mélanges offerts à P. Joutard. Aix en Provence : PUP, p.379-402.

- Martinotto (2002) photographes à Grenoble 1880-1950. Musée Dauphinois. Éditions Libris, catalogue de l'exposition.

- Rippert Aline, Frere Claude (1983) La Carte postale, son histoire, sa fonction sociale. Lyon : PUL, 198p.

- Montagne (1984) Photographies de 1845 à 1914 sous la dir. GUICHON Françoise, Musées de Chambéry, Denoël, Paris.

Anne-Marie Granet-Abisset