Les difficultés des petits commerces dans les Hautes Alpes

28 juin 1992
04m 11s
Réf. 00059

Notice

Résumé :

Le reportage traite des petits commerces dans les Hautes Alpes, qui ont du mal à subsister. A Noyer, seul le bar fonctionne encore, mais le couple de gérant ne fait aucun bénéfice. En 20 ans, à Villar d'Arène, plusieurs commerces ont fermé. Une supérette est toujours ouverte mais les bénéfices sont moindres. Pour faire vivre son village, le maire de Lardier quant à lui a décidé de faire de la salle pour tous un lieu de réunion, d'échange.

Date de diffusion :
28 juin 1992
Source :
FR3 (Collection: Atr2 )

Éclairage

Les petits commerces ont longtemps été vus comme des « entreprises traditionnelles » et de fait présentés comme archaïques en raison de leur petite taille et de leur structure familiale. Tournant historiographique, les années 1990 jettent un nouveau regard sur les petites structures. « Innovateur et flexible (...), le petit patron vient incarner le véritable « esprit d'entreprise » » . Ce reportage de France 3 Marseille du 28 juin 1992 montre que ce regard neuf posé sur les petits commerces est aussi celui des médias. Les petits commerçants y sont présentés comme la planche de salut de la « vie au village ». Trois petites communes rurales montagnardes de moins de 300 habitants – Noyer-sur-Champsaur, Villar d'Arêne au pied de la Meije et Lardier plus au sud du département des Hautes Alpes sont choisies comme champ d'investigation. Elles auraient, depuis le XIXe siècle, perdu des habitants en raison de l'exode rural, et en regagneraient depuis les années 1980 grâce au tourisme.

Mais ce n'est pas cette dimension qu'interroge la journaliste Gabrielle Bricet. Elle examine le risque que courent ces villages en perdant des commerces, « essentiels à (leur) vie quotidienne » de perdre leur « âme ». Ces « lieu(x) de rencontre, lieu(x) de dialogue » sont mis en scène tout au long du reportage. Les premières images nous montrent ainsi les clients d'un bar avec leurs trognes burinées, leurs bérets, leur ballon de rouge, leurs jeux de cartes ou encore la fameuse pétanque. Ces différents indices qui ouvrent et ferment le reportage disent davantage ce qu'est ou ce que doit être la vie au village à travers un point de vue somme toute très citadin. Il faut ainsi privilégier le « contact humain », la « convivialité » à travers des loisirs très traditionnels car « sinon, les gens se réunissent plus, c'est terminé. Avant ils faisaient encore des veillées le soir, c'est fini, chacun reste chez soi ». Nous ne pouvons qu'être frappés ici par la récurrence des discours. Dans Le village à l'heure de la télévision dans les années 1970, le sociologue Jean-Pierre Corbeau montrait déjà que les nostalgiques de la veillée, qui exprimaient leur rancœur contre la télévision, étaient les jeunes du village qui ne l'avaient jamais connue mais évoquaient « les veillées où tout le monde venait ; les vieux racontaient des histoires pendant qu'on cassait des noix. Certains jouaient aux cartes, d'autres discutaient ». Exception faite de l'expérience de la commune de Lardier, les images du bar de l'Arrêt à Noyer laissent penser qu'en dehors du gérant et de sa famille, les personnes âgées sont les plus nombreuses à assurer l'animation du village.

Si le petit commerce doit permettre de maintenir la vie au village et si ses difficultés sont réelles, le discours sur son déclin à la télévision n'est pas nouveau. Le 4 décembre 1959, un reportage de Cinq colonnes à la Une sur « l'expérience Leclerc à Landerneau » présente la chute des petits commerces comme inéluctable tandis qu'on s'apitoie sur le sort d'une famille de petits commerçants voués à la disparition. Ici, le discours sur la modernisation est pratiquement absent – même si le commerçant de Villar d'Arêne a su justement « se moderniser ». On retrouve cependant un discours sur la disparition programmée du petit commerce, qui serait ici accentuée du fait des mortes saisons liées à l'activité touristique comme le signale le gérant du bar de Noyer. Il est pourtant frappant de constater que ce petit commerce familial – le gérant de « l'épicerie » est filmé avec sa femme, même si elle n'intervient jamais –, se maintient, est soutenu par les pouvoirs publics et sait justement se moderniser. Au-delà, le reportage s'achève sur une note positive : le bar mis en place par la mairie de Lardier célèbre opportunément la lutte des élus locaux pour sauver l'âme de leur village.

Bibliographie :

- Corbeau Jean-Pierre (1978) Le village à l'heure de la télé. Paris.

- Zalc Claire (2012) Les petits patrons en France au 20e siècle ou les atouts du flou. In : Vingtième Siècle, n°114, p.53-66.

Isabelle Gaillard

Transcription

Hugues Girard
Le dossier de ce journal va nous conduire dans les Hautes-Alpes où avec Gabrielle Bricet et Henri Seurin, nous allons découvrir les problèmes que connaissent là-haut les commerces dans les petits villages. Les commerces, qui sont essentiels à la vie quotidienne de ces villages, et qui sont, pourtant, chaque jour, menacés de disparition.
(Bruit)
Gabrielle Bricet
Comme tous les jours à la même heure, les habitués du bar de l’Arrêt se retrouvent autour d’un verre. Au Noyer sur Champsaur, le bar est l’unique commerce qui subsiste. Lieu de rencontre, lieu de dialogue, le bar est ce qu'il reste de la vie du village.
René Garnier
Le jour où un bar ferme dans un village, le village c’est fini, il n’a plus la même vie. Les gens ne se réunissent plus, c’est terminé. Avant, ils faisaient encore les veillées le soir, c’est fini, chacun reste chez soi. Il n’y a plus de contact humain, c’est terminé.
(Bruit)
Gabrielle Bricet
Ces contacts humains, cette vie de village, Laurent et sa femme y ont cru, il y a 18 mois, ils ont pris la gérance. 18 mois après, le constat est amer, frais d’installation importants, taxes trop lourdes, début d’été maussade, ils ne s’en sortent pas.
Laurent Yciana
Il s’est retrouvé que c’était tellement calme la semaine hors saison que, finalement, on reste pratiquement ouvert tous les soirs au minimum jusqu’à 10 heures du soir. Ça m’est arrivé de n’avoir qu'une seule personne dans la journée hein ! J’étais prêt à rester même deux, trois ans, mais bon, rester. Mais cette année, on a tellement…, on n’a rien fait, finalement. Bon, je suis sûr de perdre de l’argent à la fin de l’été, alors, bon ! Pour repartir, pour être…, faire une bonne saison, une mauvaise saison ; une mauvaise saison on ne le supporterait pas, il vaut mieux arrêter.
Gabrielle Bricet
Plus loin sur les pentes du Lautaret, Villar d’Arène vit aussi ses petites difficultés de petites communes de moins de 200 habitants. En 20 ans, plusieurs commerces ont fermé. Sur la place du village pourtant, une superette se développe. En 1987, Gérard et sa femme décident de se lancer, la Chambre de commerce les aide, ils s’agrandissent, ils modernisent. Au départ, 200 francs de recette par jour, aujourd’hui c’est un peu mieux mais l’épouse de Gérard a dû retourner travailler, aucun écart n’est possible.
Gérard Fortier
J’avais pris trois personnes avec moi, mais quand j’ai reçu les…, j’ai dit, bon ben, c’est fini, on ne prend plus personne, quoi, on travaille en famille. Je prends un peu mon fils l’été, un peu ma fille, on a toujours de la famille qui vient, une cousine, un cousin : Tiens, ben, tu te mets aux légumes, allez, sinon, ce n’est pas possible. Pour les fruits et légumes, je vais à Briançon, et puis, pour tout ce qui est alimentation, je descends à Grenoble. Sauf quelques maisons, comme là, le fromage et tout, je me fais livrer un petit peu, si vous voulez hein. Mais si on veut avoir des prix corrects, il faut se déplacer, il faut descendre à Grenoble dans les, chez les grossistes pour avoir des prix raisonnables. Sinon après, ça ne passera pas, on sera trop cher, et après, si on est trop cher, terminé. Il faut reconnaître une chose, c’est que les gens du pays ont fait un effort, ils veulent quand même garder leur épicerie, ils me le font sentir, de toute façon, ils me le disent hein ! Ils me disent, de toute façon j’espère que vous n’allez pas fermer hein, sinon qu’est-ce qu’on devient, il y en a beaucoup qui le disent.
Gabrielle Bricet
Maintenir un commerce, c’est le voeu de beaucoup. Pourtant, certains n’hésitent pas à se rendre à l’évidence, il n’est parfois plus possible d’ouvrir le moindre magasin, il faut trouver autre chose. A Lardier, par exemple, le maire de la commune a décidé de faire vivre le village d’une autre façon ; chaque mercredi soir pendant l’hiver et tous les dimanches après-midi, la salle pour tous accueille les habitants pour les cartes ou pour les boules. Il y a les anciens, les plus jeunes, le bar est recréé et l’atmosphère de la vie du village retrouvée.
Roger Martin
Il ne permet peut-être pas de retenir les gens dans un village, mais il permet, du moins de les rassembler. Et il y a une communauté qui s’installe et ça fait…. Regardez l’ambiance, les soirs comme aujourd’hui, je trouve que c’est bien. Vous savez très bien que dans une commune, dès qu’il n’y a plus d’école, si par hasard il n’y a plus de curé et plus de bar, je crois que la commune est morte. Donc, c’est trois choses importantes pour une commune.
Gabrielle Bricet
Le bar, l’église, l’école, un tout sans lequel un village n’est plus tout à fait le même. Les petites communes des Hautes-Alpes ont l’habitude de se battre pour leur classe, ils luttent aussi pour leurs commerces, pour ne pas devenir de simples lieux touristiques, pour rester eux-mêmes.