Différend entre la Compagnie des Alpes et les stations

17 novembre 2004
06m 22s
Réf. 00071

Notice

Résumé :

Un différend oppose la Compagnie des Alpes, le n°1 mondial des remontées mécaniques, à plusieurs stations des Alpes. En mai dernier, l'État a réduit sa participation et est devenu minoritaire. Les élus de certaines stations de Tarentaise sont inquiets quant aux conséquences possibles de cette privatisation, de l'entrée en bourse de la Compagnie et du changement dans la prise de décision.

Date de diffusion :
17 novembre 2004
Source :

Éclairage

Le reportage, diffusé en novembre 2004 à l'occasion de l'édition régionale sur FR3, questionne la gestion des stations, au travers de la situation de la Compagnie des Alpes (CDA). Ce groupe est né en Tarentaise à la fin de la décennie 1980 et est adossé à la Caisse des Dépôts et Consignations. Avec aujourd'hui dans son portefeuille, la plupart des stations d‘altitude, la CDA s'est fait une spécialité de sites à garantie d'enneigement, disposant d'un domaine skiable de qualité. Elle est donc l'opérateur le plus important dans un secteur de remontées mécaniques très concentré, faisant craindre une situation de monopole pour les maires des stations concernées. C'est bien cette crainte qui est au cœur du différend entre collectivités locales et CDA ; une situation récurrente au gré des prises de « contrôle » de domaines skiables par le groupe.

Pour comprendre les tensions au sein des stations d'altitude, il faut revenir à la Loi Montagne de 1985 qui a cherché à encadrer le développement touristique de la montagne, et notamment la gestion des stations. Ainsi, cette loi définit les communes supports de stations, responsables des opérations d'aménagement touristique. Il en va ainsi des remontées mécaniques. Les collectivités locales peuvent ainsi choisir de gérer en direct leurs domaines skiables, ou de déléguer la station à un opérateur économique, acteur privé ou société d'économie mixte. C'est d'ailleurs une particularité française de considérer les remontées mécaniques d'un domaine skiable comme un service public, liant ainsi sa gestion aux collectivités locales en place.

La plupart des grandes stations de Tarentaise ont choisi la CDA pour gérer leurs domaines skiables via un contrat juridique nommé délégation de service public. Ce contrat met en relation ces deux acteurs, l'un public, la collectivité support, et l'autre privé, un acteur économique ; chacun avec des logiques différentes, des enjeux divers. Le contrat les lie pour une durée déterminée et précise donc les droits et les devoirs de chaque parti. Et c'est bien ce qui est au cœur des incompréhensions, voire des controverses plus virulentes qui régulièrement, opposent les deux groupes d'acteurs.

En 2004, à l'occasion de l'entrée en bourse de la CDA, synonyme d'une part minoritaire pour l'État, l'inquiétude est réelle pour les élus de Tarentaise interviewés, notamment ceux des stations de Tignes, Les Arcs et la Plagne, avec pour risque essentiel, la perte de contrôle de leur outil de production. Les questions vont bon train : la CDA ne va-t-elle pas ouvrir son capital à des fonds de pension étrangers dont la logique est avant tout financière et internationale ? Les élus ne risquent-ils pas d'être pilotés par des « étrangers » et ainsi perdre la maîtrise de leur outil de production, le domaine skiable ? En ce sens, les élus, souvent épaulés par des conseillers et des avocats, visent à négocier le devenir de la valeur ajoutée dégagée par leur station. Restera-t-elle sur place ou ira-telle uniquement grossir le résultat du groupe Compagnie des Alpes et donc les dividendes versées aux actionnaires ? L'enjeu est également commercial avec la nécessité pour les élus de voir se réaliser les infrastructures telles que négociées dans les contrats.

De son côté, la CDA, via l'interview de son tout nouveau directeur des domaines skiables, Roland Didier, tend à ramener les différends au rang d'incompréhensions locales et témoigne surtout dans les années 2000, de sa volonté d'intégrer le marketing, aux côtés de la gestion technique des domaines skiables. L'optique est claire : travailler la qualité du service aux usagers, développer une marque CDA, sécurisant le client sur l'offre touristique à disposition. Et c'est bien ce qui intéresse le client : disposer d'une offre touristique en adéquation avec ses attentes, et dont les relations sous-jacentes entre collectivités locales et opérateurs touristiques, notamment de remontées mécaniques, sont pour lui une « boîte noire » à ne pas ouvrir.

Pour aller plus loin :

- Facim (2004) Stations de montagne, vers quelle gouvernance ?. Actes de la conférence-débat 30 avril 2004, Chambéry, Savoie : Éditions Comp'Act, 230p.

- François Hugues, George-Marcelpoil Emmanuelle (2012)  De la construction à la gestion des stations. In : revue de Géographie Alpine , Journal of Alpine Research [En ligne], 100-3 , 2012, mis en ligne le 18 décembre 2012. Disponible sur : http://rga.revues.org/1897. DOI : 10.4000/rga.1897.

Emmanuelle George-Marcelpoil

Transcription

Jacques Paté
Le dossier de ce soir, véritable fronde ou simple différend entre la Compagnie Des Alpes, numéro un des remontées mécaniques et plusieurs stations des Alpes. Depuis plusieurs mois, il semble que le courant ne passe plus vraiment entre certains élus de la Tarentaise et les dirigeants de ce groupe qui gère leur domaine skiable. Un divorce serait lourd de conséquences économiques.
Denis Dugue
C’est en 1989 qu’apparaît le groupe Compagnie Des Alpes, remontées mécaniques. Il est composé de quatorze filiales qui équipent et exploitent les plus vastes domaines skiables alpins en France, en Suisse et en Italie. La CDA, comme on l’appelle est une filiale de la Caisse des Dépôts ; et cette présence majoritaire de l’Etat dans ce groupe, a incité la plupart des stations à lui concéder leurs domaines skiables. Mais lorsqu’au mois de mai dernier, l’Etat réduit sa participation et devient minoritaire, les élus s’inquiètent des conséquences possibles de ce qu’il faut bien appeler une privatisation.
Olivier Zaragoza
Toutes les stations qui avaient délégué en leur temps à la Compagnie Des Alpes, c’était pour avoir la caution de l’Etat et la présence de la Caisse des Dépôts à travers l’Etat dans nos stations ; pour nous aider à se développer plus fortement et d’être vraiment suivies par un partenaire de choix, je dirais. Aujourd’hui, la privatisation remet en cause pas mal d’équilibres, vous en conviendrez, et les dernières rumeurs qui font parler, qui font apparaître l’arrivée d’un fonds de pension sur le capital de la CDA sont plus que discutables.
Denis Dugue
Car désormais, la Compagnie Des Alpes a fait son entrée en bourse, et qui dit cotation dit exigence de bénéfice de la part des actionnaires. Et c’est cette nouvelle logique économique qui inquiète les élus. Ils craignent que les dividendes profitent plus à d’autres qu’aux stations elles-mêmes.
François Gazave
Ce que l’on craint nous, les maires tout au moins, c’est qu’il y ait des capitaux étrangers, enfin étrangers par, quand je dis étrangers, étrangers, différents de ceux de la CDA, qui viennent s’emparer de, de cette société et faire autre chose. Ce qui nous intéresse nous, ce sont les remontées mécaniques. Plus ça va, plus on est inquiets, parce que ces remontées mécaniques, on a de plus en plus de mal à discuter avec eux, c’est un petit peu imposé, et puis surtout, surtout, je vous le répète, c’est qu’on parle de l’avenir, on ne sait pas. On ne sait pas, ben, tout va aller, tout va aller, mais les capitaux ont l’air de ne pas rester sur place, si vous voulez.
Denis Dugue
Certes, la santé économique du groupe semble resplendissante, puisque sur l’exercice 2003-2004, le chiffre d’affaires des domaines skiables a progressé de plus de 5%. Mais lorsque les élus interrogent la CDA sur sa stratégie future, Roland Didier, son tout nouveau Directeur Général se veut rassurant, mais reste évasif.
Didier Roland
Il n’y a pas de problème général de collectivité avec la Compagnie Des Alpes. Il peut y avoir, effectivement, ponctuellement, des incompréhensions locales sur euh, peut-être notre politique, sur la nature de certains investissements, sur le relationnel. Ces…, ces euh…. Ces incompréhensions sont, en règle générale, très ponctuelles. Elles euh…, elles se solutionnent rapidement par un bon niveau de concertation.
Denis Dugue
Si concertation il y a, elle ne semble pourtant pas satisfaire tout le monde. Des maires se plaignent de ne plus être écoutés. Pire, dans certaines stations comme à La Plagne, les projets prévus par les conventions avec la Compagnie Des Alpes semblent traîner en longueur, lorsqu’ils ne donnent pas l’impression de ne plus être du tout à l’ordre du jour.
Auguste Picollet
Jusqu’à ces dernières années, les décisions étaient prises sur place, par les dirigeants de la Société d'Aménagement de la Plagne. Aujourd’hui, de plus en plus, c’est la Compagnie Des Alpes qui donne des ordres directs à…, aux directeurs de ces filiales, et donc on n’avance plus. On a un télésiège de l’Arpette, et qui relie le domaine skiable de La Plagne sur le domaine skiable de Montchavin, via le secteur des Arcs qui est maintenant relié par Paradiski. Cet équipement télésiège aurait du être renouvelé avant la mise en service de Paradiski, ça n’a pas été le cas. On avait pensé à un moment que ces travaux se feraient cette année, ce n’est pas le cas. Donc, nous prenons là du retard, et ce qui cause des difficultés pour les, enfin le service des skieurs qui veulent relier notre domaine skiable de la Plagne au domaine skiable des Arcs.
Denis Dugue
Cette réalisation devait être opérationnelle fin 2004, mais rien n’est fait. La compagnie parle maintenant de fin 2005, mais les demandes de permis de construire ne seraient toujours pas déposées. Il semble en fait que les stations et les dirigeants du groupe exploitant les remontées mécaniques ne partagent plus vraiment la même logique en termes de priorité d’investissement.
Didier Roland
Le débat ne doit pas porter sur la nature des investissements, est-ce qu’il faut plutôt un télésiège débrayables six places ou huit places, je ne pense pas que ça soit très important pour le client. Ce qui est important pour lui, c’est la qualité de l’accueil, la qualité du service qui lui est rendu, et de manière générale, la qualité du produit offert. Et donc, nous sommes en train de beaucoup travailler cet aspect-là pour mettre en évidence un vrai label de qualité Compagnie Des Alpes ; qui puisse faire dire à un client, je vais dans une station Compagnie Des Alpes, je vais donc trouver un niveau de qualité qui est bon, avec des standards qui, que je sais pouvoir trouver sans difficulté.
Denis Dugue
Un discours qui se veut rassurant, cependant, l’incompréhension semble persister. Et si un dialogue constructif ne s’instaure pas rapidement entre les parties, ce qui pourrait apparaître aux yeux de certains comme un différend mineur pourrait déboucher, dans un avenir plus ou moins proche, sur un véritable divorce.
François Gazave
Je vais prendre un conseil avec moi parce que il faut qu’on regarde de plus près, effectivement, toutes les conventions qu’on a avec eux. Je sais que j’ai des collègues qui l'ont dit ouvertement, qui seraient prêts à dénoncer si les choses n’allaient pas bien. Moi je peux vous dire que nous, on ferait pareil.
Auguste Picollet
Nous envisageons, personnellement je ne le souhaite pas, mais si on n’est pas écouté dans les prochains mois, nous sommes prêts à étudier une éventualité de rupture de la concession.
Denis Dugue
Mieux appréhender les prises de décision du groupe, et être assurés qu’une majorité des dividendes sera bien réinvestie dans leur domaine ; voilà ce que les élus demanderont à nouveau à la Compagnie Des Alpes dans une prochaine réunion, fin novembre. S’ils n’obtiennent pas satisfaction, certains pourraient revenir au bon vieux système de la société d’économie mixte pour exploiter leurs remontées.
(Bruit)