La pluriactivité en montagne à Lanslebourg

30 décembre 1997
03m 57s
Réf. 00094

Notice

Résumé :

Reportage sur la pluriactivité chez les montagnards. L'arrivée de l'hiver signifie pour de nombreux savoyards le retour à la pluriactivité. Un exemple, celui d'Albert Tourt, agriculteur la nuit et moniteur le jour. Cette double activité concerne environ 34% des agriculteurs savoyards. Cumuler deux emplois permet aux agriculteurs de ne pas quitter leur région natale. Exercer un métier touristique leur permet également de rencontrer de nouvelles personnes, ce qui est plus difficile en étant agriculteur.

Date de diffusion :
30 décembre 1997
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Comme souvent en période hivernale, alors que les touristes ou les vacanciers ont rejoint les Alpes, FR3 Alpes consacre ses reportages aux activités des habitants des villages ou des stations. Ce jour-là, 30 décembre, la station régionale de Grenoble s'intéresse à une famille de Lanslebourg, de la station de Val Cenis (1400-2800 m). Situé au pied du col du Mont Cenis qui relie la haute Maurienne au val de Suse en haut Piémont, le village de Lanslebourg s'est regroupé avec celui de Lanslevillard pour constituer en 1967 la commune de Val Cenis. Un des motifs récurrents est celui de la pluriactivité. Comme toujours, la journaliste explique qu'elle est inhérente aux activités touristiques et le seul moyen pour les habitants de continuer à vivre en montagne.

Le reportage est construit autour de l'un de ces pluriactifs, Albert Tourt, agriculteur-éleveur et moniteur de ski : une combinaison classique dans ces stations telles Val Cenis. Initialement stations–villages elles ont, au cours des décennies 80-90, connu une expansion en se reliant à d'autres stations de Haute Maurienne, dont Termignon, endossant également le label Vanoise. Dans la littérature scientifique, les ouvrages ou les articles de presse qui l'abordent, la pluriactivité est présentée comme une innovation associée au développement du tourisme, même si la journaliste Celine Dupeyrat suggère qu'il s'agit d'un phénomène plus ancien. Et de fait, la pluriactivité bien décrite à travers le personnage d'Albert Tourt, est une caractéristique des hautes vallées. Déjà avant l'arrivée du tourisme, leurs habitants avaient l'habitude de coupler plusieurs activités au cours de l'année, en raison de la longueur des hivers qui stoppaient toute activité agropastorale et obligeaient une partie des hommes et des femmes à migrer de manière saisonnière, vers les avant pays et les villes, en France ou en Europe voire au-delà des mers. Le changement apporté par le tourisme, en particulier le ski et plus largement le tourisme hivernal, tient dans la réalisation de la pluriactivité sur place, évitant le départ temporaire. C'est d'ailleurs ce qu'explique Albert Tourt que l'on voit dans son quotidien coupler, en saison d'hiver, son métier d'éleveur et son métier de moniteur de ski.

Les premières images suivent son arrivée en 4X4 dans la nuit à son étable. Loin d'entrer dans un bâtiment traditionnel, le reportage montre une exploitation non seulement très moderne, quasi industrielle (pour la traite notamment) mais également d'envergure pour la région : 40 vaches laitières, qu'il faut nourrir et traire avant et après la journée consacrée à l'enseignement du ski. Ces journées denses de 16 heures (même durant son déjeuner, il est au téléphone) sont liées au fait que la pluriactivité est concentrée sur quelques mois d'hiver : un renversement par rapport au système traditionnel où la période d'activité intense était l'été. Il fallait alors faucher et rentrer le fourrage nécessaire à la durée d'un hiver long et assurer la production agricole alimentaire de subsistance. Albert Tourt indique qu'il partage son exploitation avec un autre Mauriennais : une nécessité pour assurer le suivi et la sécurité du troupeau et sa ressource combinée, la production laitière et fromagère. Non abordée dans le reportage, celle-ci est organisée à Lanslebourg depuis longtemps autour de la coopérative laitière de haute Maurienne, depuis qu'à la fin des années 50, la modernisation des exploitations agricoles a permis de valoriser sur place les productions laitières et de participer aux produits labellisés. L'essentiel du reportage le suit dans son métier de moniteur, période du reportage oblige et activité visible pour les touristes. On le montre longuement dans son costume rouge donner une leçon collective à un groupe de jeunes enfants, séjournant dans la station, maîtrisant la pédagogie et la technique, alternant sans difficulté aucune ses deux activités complémentaires. Si la journaliste reprend le discours habituel de la nécessité, qu'Albert Tourt abonde, les images permettent de nuancer cette notion trop souvent accolée aux populations alpines. L'intérieur de la maison rapidement filmée mais qui semble cosy comme la taille de son exploitation, attestent d'une situation confortable même si elle reste vulnérable. Certes Albert Tourt reprend le discours classique de la spécificité de la vie en montagne faite de sens du collectif et d'attachement à la solidarité, une image qui rend compte d'une réalité inhérente aux conditions difficiles auxquelles les habitants doivent nécessairement s'adapter. Mais Albert Tourt incarne parfaitement et ce reportage le montre, cette génération de « paysan » alpin qui a su utiliser le tourisme, saisissant dans cette activité toutes les possibilités offertes de pouvoir continuer vivre en urbain dans un territoire savoyard fortement identitaire. Une haute vallée qui a su combiner habilement tourismes d'hiver et d'été, située qu'elle est sur des routes fréquentées en été vers l'Italie ou la Haute Tarentaise.

Pour aller plus loin :

- Granet-Abisset Anne Marie (2014) Tourisme et pluriactivité : les « nouveaux » saisonniers des stations alpines depuis les années 1960. In : le tourisme comme facteur de transformations économiques, techniques et sociales : une approche comparative (19e-20e siècle). Lausanne : éditions APHIL, p.257-274.

Anne-Marie Granet-Abisset

Transcription

(Bruit)
Albert Tourt
On dose à peu près 15 kilos par jour, tant qu’elles veulent en fait. Mais sans surprise, à peu près 15 kilos par jour, entre foin et luzerne.
Céline Dupeyrat
5 heures du matin, rien ne bouge ou presque, à peine si on l’entend dans la nuit mauriennaise le bruit des ratraks qui préparent les pistes. Albert, lui, a déjà commencé sa journée, son troupeau de 40 laitières n’attend pas que le coq ait chanté.
Albert Tourt
On est deux et on y passe en moyenne, maintenant, où l’on a encore un petit peu de vêlage, donc 2 heures et demie le matin, ce qu’on appelle du service. 2 heures et demie le matin à deux et deux heures et demie le soir, donc de nouveau à deux. On a un système, qui est un système dit familial, et qui marche parce qu’on est deux familles et qu’on a…. On peut aller sur les pistes la journée parce qu’on a quelqu’un qui vient faire un tour, parce qu’on ne sait pas ce qui pourra arriver.
Céline Dupeyrat
Comme 34 % des agriculteurs savoyards, Albert est double actif. Par nécessité économique bien sûr, mais aussi par attachement à sa région. Cumuler deux emplois, c’était, dans les années 80, la seule solution pour lui de rester au pays. Depuis, quatre mois par an, il travaille 16 heures par jour. Seul instant de répit, le petit déjeuner en famille.
Albert Tourt
Ou au téléphone, c’est tout ! Voilà, d’accord, ok ! C’est vrai que ça fait des journées infernales, c’est vrai qu’on démarre la saison, ça veut dire, au maximum 7 heures sur les skis, donc avec un casse-croûte à midi, un sandwich dans la poche. Et ça veut dire le matin euh, 5 heures du matin à 8 heures à l’étable et de nouveau le soir. Donc, c’est vrai que le soir, dans ces périodes-là, on n’a pas l’envie de regarder la télévision.
Intervenante
Quand il revient de l’étable, ben souvent, il a encore des réunions à l’extérieur, pour la fromagerie, pour…. Ben, j’ai l’habitude maintenant, je m’y fais.
Albert Tourt
Alors, je suis peut être un peu patriarche, mon grand père était très patriarcal et c’est un peu ce côté-là de, peut-être même trop protectionniste, mais…. Et puis bon, j’aime bien la, le groupe, les occupations collectives, je pense que c’est important à la montagne, savoir être solidaire, être là quand il y a des coups durs.
(Bruit)
Albert Tourt
Voilà, allez, on y va, pousse, pousse, pousse, sur ta jambe droite, c’est bien, c’est bien ! Très, très bien, ramène ton ski après.
Céline Dupeyrat
La vie en groupe, Albert la retrouve chaque jour sur les pistes. Ses élèves, il ne pourrait pas s’en passer. Etre moniteur c’est assurer ses fins de mois, c’est vrai, mais c’est aussi le meilleur moyen d’oublier la solitude de l’agriculteur.
(Bruit)
Albert Tourt
On accepte de, certaines choses parce qu’on est chez nous. Et c’est la liberté avec un L majuscule. Alors, c’est vrai que par moments, c’est difficile, mais on pense plus aux récompenses qu’au travail quoi en fait. Et donc, la joie d’apprendre aux autres, la joie de faire découvrir sa vallée, la joie aussi de vivre au pays et d’y rester été, hiver et de coller aux saisons de cette montagne. C’est vrai que je crois que c’est ça le, qui nous tient.
Céline Dupeyrat
Longtemps considérée comme une forme d’emploi spécifique, touchant essentiellement les agriculteurs de montagne, la pluriactivité s’est aujourd’hui considérablement développée dans le secteur touristique. Reste que depuis des années, ce mode de travail a permis aux régions de lutter contre la désertification. Aujourd’hui, les jeunes ne partent plus, ils restent dans leur vallée. Albert, lui non plus ne partira jamais, la double activité, il en a fait le choix par amour pour la Maurienne.
Albert Tourt
J’ai grandi avec elle, j’y ai vécu, je l’ai aimée et je l’aime encore et j’ai envie de la donner à mes enfants.