Les industries du ski en Isère

12 mars 1971
05m 48s
Réf. 00098

Notice

Résumé :

En Isère, trois entreprises (Dynamic, le Trappeur et Rossignol) se consacrent à la fabrication des skis et des chaussures de ski. Les industriels du ski expliquent combien les Jeux Olympiques d'hiver de 1968 ont contribué au succès de leur entreprise notamment grâce à l'évolution des modèles. L'événement a fait connaître le ski français à travers le monde entier. Aujourd'hui, la moitié de leur production est destinée à l'exportation, majoritairement aux États-Unis.

Date de diffusion :
12 mars 1971
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

A l'occasion du salon international des sports d'hiver de Grenoble – le premier date de 1957 –, le journaliste Paul Laporte revient sur les succès de l'industrie française du ski et plus spécifiquement sur l'industrie iséroise. L'Isère est un des berceaux des sports d'hiver. Elle concentre, avec la Savoie et la Haute-Savoie, l'essentiel des fabricants du secteur. C'est l'occasion surtout pour Paul Laporte, qui a « suivi plusieurs fois l'équipe de France dans le monde », de mesurer l'impact des Jeux Olympiques de Grenoble de 1968. Les critiques environnementales, économiques et politiques qui émergent de façon croissante à l'issue de la saison 1970-1971 en France ne sont même pas rappelées . Une large partie du reportage interroge ainsi trois fabricants isérois – « supports importants de l'équipe de France de ski » –, Dynamic, le Trappeur et Rossignol (qui, à l'exception du PDG de Rossignol, Laurent Boix-Vives, ne sont pas nommés). Le reporter met d'abord délibérément l'accent sur l'étroite et salutaire coopération entre compétiteurs de ski et fabricants, les obligeant à « aller à 120 à l'heure ». Cette insistance ne surprend pas. Dès 1959, « un pool des fournisseurs de l'équipe de France de ski » propose équipements et subventions à la Fédération Française de Ski pour pouvoir en retour bénéficier de l'exploitation des victoires françaises. Les liens des deux protagonistes se resserrent encore à l'occasion des Jeux Olympiques de Grenoble que le Premier Ministre, Georges Pompidou, présente d'ailleurs « comme le moyen de développer notre équipement et de donner à nos stations une publicité sans précédent ». La compétition semble encore être considérée en 1971 comme la clef de la réussite économique du secteur. Elle serait à l'origine de l'innovation technique car « compétition et progrès technique » sont intimement liés, comme l'illustre la longue démonstration du représentant de la firme Trappeur sur l'évolution technique de ses chaussures de ski, d'Emile Allais en 1936 aux chaussures encore en cuir de Jean-Claude Killy en 1968, puis au modèle d'avant-garde en plastique prévu pour les Jeux Olympiques de Sapporo. Elle serait aussi un formidable instrument de marketing – élément sur lequel le reportage insiste à plusieurs reprises et qui illustre les importants progrès de cette discipline encore récente. Les « Jeux Olympiques de Grenoble et les grandes victoires de l'équipe de France » auraient contribué à faire « connaître le ski dans le monde entier ». Fort heureusement, les entreprises françaises ont su « s'adapter ». Les multiples plans sur la fabrication en partie automatisée des skis ou des chaussures et la pluie de chiffres dont nous abreuve Laurent Boix-Vives viennent nous convaincre des efforts en matière d'investissements et de productivité de l'industrie iséroise du ski. Ces efforts sont récompensés par le gain de marchés d'exportation. C'est en effet la clientèle étrangère qui est valorisée dans ce reportage. Les touristes français sont à peine mentionnés et lorsqu'ils le sont, c'est pour en montrer le caractère dérisoire face à leurs homologues américains : le marché américain nouvellement conquis par Rossignol serait ainsi, selon Laurent Boix-Vives, un « marché de 300 000 paires, 300 000 paires représentant en gros, j'ouvre une parenthèse, la consommation française annuelle, elle, est de 350 000 ». L'eldorado américain n'est pas nouveau. Fournisseurs de devises qui doivent équilibrer la balance des paiements français, les skieurs étrangers sont recherchés dans la décennie soixante. Pourtant, jusqu'au début des années 1970, en dépit des Jeux d'hiver, la clientèle étrangère sur les pistes françaises se stabilise autour de 10% . Il est frappant de constater que les études de marché ne préconisent pas d'élargir l'éventail des skieurs français, que pouvoirs publics comme fabricants de ski considèrent plus volontiers comme des consommateurs urbains et fortunés. Cette clientèle semble également limitée à la pratique du ski de descente – seul marché du ski présenté dans le reportage. Il faut dire que le journaliste n'autorise guère le représentant de Dynamic à évoquer le « skieur moyen ». La compétition est en effet depuis les années 1930 l'un des principaux moteurs du développement du tourisme hivernal.

Pour aller plus loin :

- Arnaud Pierre, Terret Thierry (1993) Le rêve blanc, olympisme et sport d'hiver en France. Bordeaux : Presses Universitaires de Bordeaux.

- Bourdeaux Philippe (2007) Les sports d'hiver en mutation : crise ou révolution géoculturelle ?. Paris : Hermès Science.

- Terret Thierry (1996) Histoire des sports. Paris : l'Harmattan.

Isabelle Gaillard

Transcription

(Musique)
Paul Laporte
Le récent Salon International des Sports d’Hiver de Grenoble qui vient de fermer ses portes a démontré toute la vitalité de cette activité. Aussi, dans le département de l’Isère, nous nous sommes intéressés à trois firmes, deux de skis, une de chaussures. Et ces trois maisons sont des supports importants de notre Equipe de France de ski, car pour elle, compétitions et progrès techniques sont intimement liés. Les jeux de Grenoble, leurs victoires françaises ont été d’excellents tremplins, encore fallait-il que nos industriels s’adaptent. Ils l’ont fait, leurs succès sont plus que probants, surtout dans le domaine de l’exportation, souvent point faible de l’industrie française. Ecoutez leurs explications, car elles sont très rapprochées, c’est un peu de la télévision parlée.
(Musique)
Intervenant 1
Il est bien certain que les Jeux Olympiques de Grenoble, il y a trois ans maintenant, et les grandes victoires de l’équipe de France, ont fait connaître le ski dans le monde entier. En particulier euh, aux Etats-Unis surtout, les Alpes étaient suisses et autrichiennes. Et depuis les Jeux Olympiques on sait que l’on skie à Grenoble et l’on sait que les skieurs français gagnent et donc, il y a du ski en France. Il est bien certain que pour nous, fabricants, cela a fait connaître globalement nos produits, ce qui est un point très important.
Paul Laporte
Vous avez eu la chance, en 1968, d’avoir l’appoint d’un certain Jean-Claude Killy qui a remporté trois médailles sur vos skis, ça c’est un point capital.
Intervenant 2
Oui !
Paul Laporte
Est-ce que lorsque Jean-Claude Killy descendait à 120 à l’heure, il vous a obligé, vous aussi en quelque sorte, à descendre à 120 à l’heure dans les affaires ?
Intervenant 2
Oui, il nous a obligés à descendre à 120 à l’heure. Tout au moins, doubler la production en deux ans depuis 68, parce que grâce aux tournées de l’Equipe de France et Jean-Claude Killy en particulier, ils sont allés en Amérique, au Japon, en Australie, et cetera. Ils ont fait connaître le matériel français et maintenant nous exportons environ 50 % de la production dans le monde entier, enfin dans les pays skieurs du monde entier.
Paul Laporte
Monsieur [Baffre] avec vous, en continuant notre enquête, on s’aperçoit finalement que compétitions et techniques sont infiniment liées, et au travers de l’évocation des chaussures fournies par votre usine, on peut résumer l’histoire du ski.
Intervenant 1
Et depuis 1921 où nous avons commencé la première chaussure de ski, nous sommes très vite arrivés avec la compétition et Emile Allais a fabriqué cette chaussure qui a gagné les championnats du monde en 36. Ensuite, je passe très vite aux derniers Jeux Olympiques avec Jean-Claude Killy, nous avons eu ceci qui est déjà beaucoup plus dur, beaucoup plus technique et qui se lie avec la technique du ski par lui-même. Pour arriver maintenant et probablement pour les prochains jeux de Sapporo à cette chaussure que vous voyez ici et qui est tout en plastique, tiges beaucoup plus hautes, réglage arrière. Vous voyez un petit peu la différence qu’il peut y avoir entre ceci et ceci en quelques 35 ans de différence et d’existence.
Paul Laporte
Pour vous, l’atout numéro un reste avant tout la compétition ?
Intervenant 2
La compétition est une motivation pour nous. Elle nous oblige à travailler le détail du ski, la tenue de route, comme je le disais tout à l’heure. Si les skis vont bien, c’est un peu grâce aux coureurs, c’est même beaucoup grâce aux coureurs, qui nous obligent à travailler les skis dans le détail et à faire qu’ils aillent bien sur la neige. Ce qui est quand même un point capital pour le skieur, même le skieur moyen.
Laurent Boix-Vives
Nous produisions 8000 paires, 7 à 8000 paires en 1959. Nous en avons vendues cette année, nos usines en ont vendues cette année environ 350 000 paires. Nous en produisons 450 000 paires, la cadence d’aujourd’hui, donc nous avons déjà précédé pour la demande de l’année qui vient, 480 000 même, pour être plus précis. Nous nous mettons en place en 1971 et en 1972, par de gros investissements essentiellement en France, un seul à l’étranger, pour produire plus d’un million de paires ; espérant pouvoir les vendre facilement parce que nous avons, je crois, fait des enquêtes de marché suffisantes qui nous ont bien éclairé sur cette question euh, d’ici 74, au plus tard 75 en tout cas.
Paul Laporte
Et on peut dire que ces chiffres méritent méditation. En effet, ces industriels ont pris des risques, ils se sont intéressés dès le départ au marketing, et maintenant, ils en recueillent les lauriers. Pour avoir suivi plusieurs fois l’équipe de France dans le monde, je puis vous confirmer la véracité des propos que vous venez d’entendre. La France a, dans ce domaine, une position privilégiée, mais il faut la maintenir. Les Autrichiens font actuellement des efforts désespérés pour garder le contact, mais l’héritage est dans de bonnes mains.
(Musique)
Paul Laporte
Point important de l’exportation, bien sûr les Etats-Unis, qui restent le client numéro un du ski français. Aussi il appartenait à Monsieur Laurent Boix le directeur général de chez Rossignol, d’apporter la conclusion à ce reportage. Vous allez pouvoir le voir, elle est très agréable à entendre.
(Musique)
Laurent Boix-Vives
Les Etats-Unis, euh, c’est un marché important. C’est un marché pour lequel nous consacrons des efforts en homme, en argent, à un niveau extrêmement important. Mais c’est un marché qui, quand on le comprend bien, quand on a su présenter le produit que le client attend, qui vous donne toute satisfaction. Nous avons eu notamment, je pense que vous l’avez su en son temps, euh, l’année dernière, un marché de 14 millions de dollars sur les Etats-Unis. C’est un marché unique au monde, ça n’a jamais existé dans les biens de consommation, en tout cas pas dans le ski, un marché de 300 000 paires. 300 000 paires représentent en gros, j’ouvre une parenthèse, la consommation française annuelle, elle est de 350 000. Donc nous avons eu ce marché aux Etats-Unis euh, qui nous donne une satisfaction énorme, qui récompense bien les efforts que nous y avons consacrés.