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Le futur complexe touristique du Verdon

15 novembre 1988
06m 01s
Réf. 00121

Notice

Résumé :

Reportage sur le projet de construction d'un vaste complexe touristique par un groupe financier allemand sur les bords du lac du Verdon. Ce complexe touristique de près de 1500 lits, une piscine, un golf, des courts de tennis, va créer des emplois et re-dynamiser l'économie locale. Mais ce projet s'il suscite l'adhésion de certains habitants du village de Sainte Croix, fédère aussi une farouche opposition.

Type de média :
Vidéo - Journal télévisé
Date de diffusion :
15 novembre 1988
Source :
FR3 (Collection: Provence Midi )
Personnalité(s) :
Margaret Guiraud / Anne Marie Flachet / Antoine Pes / Henri Ravel / Robert Ferrato / Fernand Rouvier
Thèmes :
Lieux :

Éclairage

Ce reportage, diffusé en 1988 par l'antenne de FR3 Marseille, s'intéresse à un projet d'implantation d'un grand complexe touristique à proximité des Gorges du Verdon à la frontière entre les départements du Var et des Alpes de Haute Provence. Il est à bien des égards représentatif d'un dogme aménagiste visant à la mise en tourisme des espaces montagnards et révélateur des conflits qui y sont associés.

Ce type de projet, principalement immobilier, s'inscrit dans la lignée directe d'une politique de développement touristique menée en France à partir du milieu des années 1960. L'objectif principal est de soutenir un développement régional par le tourisme. Issue de la politique volontariste d'aménagement du territoire soutenue par la Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale (DATAR) à partir de 1963, elle vise à un rééquilibrage régional via la création d'activités. Les réalisations les plus marquantes dans le domaine touristique sont les grands projets d'infrastructures via les Plans Neiges de 1964 à 1977 avec la création de multiples Unités Touristiques Nouvelles dans les Alpes ou l'édification de stations littorales sur les côtes du Languedoc-Roussillon ou de l'Aquitaine.

De l'or blanc et bleu à l'or vert... les espaces préalpins et d'arrière-pays méditerranéens ne vont pas rester en marge du phénomène comme le révèle ce reportage. Les velléités de construction de ce complexe touristique à proximité des Gorges du Verdon possèdent toutes les caractéristiques, presque de manière caricaturale, de ce type de projet. Initié au début des années 1980, il porte sur la construction d'une méga-infrastructure (plus de 1400 lits avec un permis de construire de 60 000 m2), installée ex-nihilo et fonctionnant en circuit fermé à proximité d'un haut lieu touristique dont il profite de l'image, soutenu par un investisseur exogène au territoire (ici un groupe financier allemand). Il consiste au transfert à l'espace rural du concept de station via la mise en œuvre d'un système théâtralisé (unité de lieu, de temps, d'action) associant villégiature et espaces de jeux ou de loisirs (complexe hôtelier environné de golfs, piscines et tennis). Il vise une clientèle haut de gamme, seule à même d'optimiser un retour sur investissement rapide pour le porteur de projet.

Localement, ce type de projets va immanquablement cristalliser de multiples oppositions. L'exemple plus contemporain (2014) du projet de Center-Parcs dans la forêt de Chambaran en est l'illustration. De fortes controverses vont voir le jour entre les défenseurs et les opposants au projet. Elles vont s'inscrire au sein de deux modes de justifications antagonistes pouvant être résumés comme suit : « développement économique local » versus « protection de l'environnement et de la ressource naturelle ». Ce reportage illustre parfaitement par une succession d'interviews d'habitants, d'élus, de représentants associatifs, de personnalités locales les discours des « pro et anti projet ».

Les arguments des premiers s'appuient sur un besoin de revitalisation des zones rurales et de montagne par la création d'emplois, d'activités et de services. Leur slogan pourrait être « vivre et travailler au Pays ». Le tourisme est perçu comme une des opportunités pour créer localement de la richesse, y maintenir des jeunes actifs ou encore être un facteur de désenclavement.

Les seconds revendiquent un principe de précaution environnementale visant à la protection des paysages et de la ressource naturelle. Souvent soutenus par des lobbies et associations écologistes, ils mettent en cause le bien fondé du projet, son fonctionnement, ses impacts sur son environnement et le territoire (gestion de l'eau, incidence paysagère, faiblesse de l'emploi local, effet économique pour les espaces limitrophes surévalué...).

Les acteurs locaux vont immanquablement devoir se positionner dans l'un des deux camps. Face aux clivages qui en résultent, une médiation locale est engagée afin de trouver une issue au conflit. Dans ce cas précis, le promoteur retire au début des années 1990 son projet face à l'activisme des opposants et aux différents recours judiciaires engagés.

Le Verdon connaît depuis un développement touristique d'arrière-pays méditerranéen pouvant être qualifié de vert ou de diffus basé principalement sur des pratiques sportives de nature et de découverte. Il est aussi une destination privilégiée pour un excursionnisme issu des stations balnéaires et villes de la Côte d'Azur. En 1997, la création du Parc naturel Régional du Verdon vient reconnaître la qualité paysagère et patrimoniale exceptionnelle de cet espace.

Pascal Mao

Transcription

musique
(musique)
Journaliste
Parce qu’on y trouve une tranquillité qui n’existe plus sur le littoral, parce que le taux d’ensoleillement y est important, c’est dans l’un des sites les plus prestigieux du Sud de la France, le Verdon, qu’un groupe financier allemand a choisi de construire un vaste complexe touristique. Sur ce plateau précisément, à droite de votre écran. L’essentiel du projet tient en quelques chiffres : il s’agit de construire là, un établissement de cure de 400 lits, un ensemble hôtelier de 1000 lits, un golf de 70 hectares, 10 courts de tennis et une piscine de 50 mètres. Au total, 60 000 m2 de béton. Principal argument des défenseurs du projet : faire revivre le pays.
Margaret Guiraud
Nous avons des enfants, nous voulons que ce pays vive, nous avons un potentiel touristique absolument exceptionnel. Je reconnais qu’il ne faut pas gâcher le site, qu’il faut au contraire le préserver sinon on coupe la branche sur laquelle on est assis. Ce complexe touristique va pouvoir donner des emplois, va pouvoir aménager toutes les rives du lac, toute la région.
Journaliste
La vie de cette région pourrait être symbolisée par le petit village de Sainte Croix, surpeuplé durant les mois d’été, Sainte Croix ne compte qu’une soixantaine d’habitants en hiver. Des habitants dont les enfants sont obligés souvent de partir pour trouver du travail.
Anne Marie Flachet
Je suis pour, cela amène la jeunesse, premièrement pour le travail, pour les commerces, parce qu’ils ont besoin de travailler aussi bien les uns que les autres, parce que l’été on a le monde mais ça dure que 2 mois et demi, 3 mois maximum.
Journaliste
A Sainte Croix du Verdon au mois de novembre, il n’y a rien d’ouvert, aucuns commerces, les habitants du village doivent allés s’approvisionner à 12 kilomètres d’ici ou alors attendre une fois par semaine le passage du boucher.
Antoine Pes
Vivre sans commerces il faut l’avoir fait pour se rendre compte de ce qui nous manque. Ceux qui n’ont pas vécu sans commerces ne peuvent pas savoir parce qu’ils sont habitués. Lorsqu’ils ont besoin d’une boite d’allumettes, de descendre d’aller l’acheter, ici on ne peut pas. Si vous avez oublié quelque chose il faut refaire les 12 kilomètres qui vous séparent de Riez pour aller l’acheter.
Journaliste
Alors ici il n’y a pas de boucher, pas de boulanger ?
Antoine Pes
Pas de boucher, pas de boulanger, il n’y a rien, aucun commerce.
Journaliste
Les villages qui entourent le lac de Sainte Croix vivent en fait à 2 vitesses : hors saison le Verdon connait une sérénité qui correspond en fait à son caractère sauvage et presque montagnard. Le rythme y est ralenti mais il est celui de la nature. Et puis en été arrivent les touristes par milliers. Exit la sérénité, mais les commerçants sont satisfaits, le Verdon est une affaire qui tourne. Reste à savoir si les gens du pays sont prêts à vivre toute l’année au rythme estival ?
Henri Ravel
On n’est pas habitué, là, à tout ce monde là. Et puis s’ils avaient fait quelque chose de plus petit, peut-être, et plus près du village. Comme ça que voulez-vous ! Ce qu’ils mettent là-bas et puis les promoteurs il faut s’en méfier.
Journaliste
Les promoteurs ont un objectif simple, vendre le calme et le soleil du Verdon à une clientèle internationale fortunée : cadres supérieurs, professions libérales à majorité allemande. Le prix moyen d’une cure sera d’1 million et demie de centimes pour 3 semaines. Le complexe devrait créer quelques 300 emplois, mais il faudra savoir parler allemand. Les opposants au complexe ne voient donc rien dans ce projet qui soit positif.
Robert Ferrato
Ce projet va complètement bouleverser la partie la plus historique des moyennes gorges du Verdon, il y a une menace plus que sérieuse sur la qualité des eaux du Verdon, vous savez que ces eaux sont destinées à alimenter la façade du littoral . Par ce projet il y aura une pollution extrême des eaux du Verdon. Troisièmement une forêt magnifique de chênes verts va être saccagée par le golf et par le projet. Quatrièmement, ce projet va bouleverser, s’il se réalise, le tissu social, économique et culturel de la vallée entière du Verdon, et en ce qui concerne l’emploi, nous sommes très sceptiques parce que de 500 les promoteurs d’Outre Rhin sont passés à 350 il y a peu et nous sommes persuadés qu’il y a peu près une centaine d’emplois à la clé, mais même pas pour les jeunes du pays dans cette affaire là.
Journaliste
Si le projet de construire ici un complexe touristique se réalise, la population permanente de Sainte Croix du Verdon va passer de 60 à près de 2000 habitants . Cette transformation ne va pas manquer bien sur de bouleverser l’équilibre écologique du site, déjà mis à mal en 1974 par la construction du barrage. Le projet prévoit un rejet journalier de 500 m3 d’eaux usées. Il est également prévu de construire une station d’épuration mais à ce jour il n’est pas certain que le complexe n’entrainera aucune nuisance pour l’environnement.
Fernand Rouvier
Je ne peux pas vous dire que nous ne craignons aucune nuisance, nous appréhendons les nuisances, mais nous sommes là pour les contrôler, pour les maîtriser, pour les driver. Les rôles du syndicat mixte et de l’association sont tels que si nuisances apparaissent, si impondérables nous retrouvons, nous essaierons de surmonter toutes ces choses là.
Journaliste
Il n’y aura pas de dérapages ?
Fernand Rouvier
Le dérapage, oui, on peut pas dire que, on va éviter tout ce qui est, à l’heure actuelle, inévitable. Mais quand on contrôle, on voit surgir des choses et on essaye de freiner.
Journaliste
Essayer de freiner alors que le mécanisme est déjà enclenché c’est une entreprise toujours hasardeuse. Une partie de la population est de toute évidence sceptique, pour ne pas dire inquiète quant aux conséquences du projet. Depuis le mois de septembre, une phase de concertation préalable a donc été instaurée. Les avis favorables ou défavorables émanent de toute la région et parfois même de plus loin. Des avis, des prises de positions toujours très tranchées. Reste qu’un référendum à bulletin secret n’a toujours pas été organisé sur la commune de Sainte Croix.
Robert Ferrato
Il y a quelques mois, le 1er mai, donc 88, nous avons fait un référendum sur la commune organisé par les associations de défense. Par 62% la population s’oppose au projet. Pourquoi aujourd’hui les gens ont peur de s’exprimer dans cette affaire là ? C’est que soit il y a des pressions par derrière, soit il y a autre chose, mais nous savons pertinemment que la population de Sainte Croix est opposée au projet, elle l’a dit. Et nous posons la question au maire de Sainte Croix, nous lui disons Monsieur le maire faite un référendum à bulletin secret sur votre commune et vous verrez si vous l’emporter.
Journaliste
Qu’il soit important d’aménager davantage les ressources touristiques du Verdon, nul aujourd’hui dans le pays n’en doute. Faut-il pour autant envisager un tourisme aux dimensions géantes qui risque de mal s’insérer dans un contexte écologique, culturel et économique ? Cette question là reste posée.