Le nucléaire contesté à Plogoff

14 février 1980
05m 40s
Réf. 00078

Notice

Résumé :

Le projet d'implantation d'une centrale nucléaire dans le Finistère à la pointe du Raz mobilise constamment depuis 4 ans la population de Plogoff. La tension est à son paroxysme. Les habitants révoltés sont sous la surveillance des forces de l'ordre.

Type de média :
Date de diffusion :
14 février 1980
Source :
TF1 (Collection: L'évènement )

Éclairage

A cause des marées noires et des projets de construction de centrale nucléaire, la fin des années soixante est marquée par une forte sensibilisation aux problèmes de l'environnement. La Bretagne connaît les deux. Dès 1967, une marée noire frappe les côtes bretonnes et joue un rôle primordial dans une première mobilisation.

Cette attaque contre l'environnement atteint aussi l'économie (pêche et tourisme). C'est pourquoi, la mobilisation est forte et est un facteur de convergence entre les militants de la CFDT (Confédération française démocratique du travail), les militants bretons, écologistes et les militants associatifs, quand bien même les frontières qui les séparent ne sont pas totalement hermétiques. La Bretagne se caractérise en effet en mêlant un double héritage : catholique et de mai 1968. Alors que les marées noires se succèdent (1976, 1978, 1979, 1980), les projets de construction de centrales nucléaires donnent lieu à un autre combat écologiste.

Si la Bretagne n'est pas la seule région à être concernée par ces implantations, la lutte prend ici un caractère symbolique. Deux centrales sont prévues : une au Pellerin près de Nantes, l'autre à Plogoff, dans le Finistère. En février 1980, à Plogoff, toute la population du village refuse l'installation qui doit s'effectuer à quelques encablures de la Pointe du Raz, face à l'île de Sein. Les plans de l'EDF sont contrariés et le mouvement prend tellement d'ampleur que l'Etat est contraint de dépêcher 800 CRS sur place. Tandis que l'EDF voit en ces 167 hectares un site parfait pour construire une centrale, les habitants de Plogoff protestent contre les risques de pollution.

Durant l'hiver 1980/1981, ils sont environ 2000 à tenir tête aux forces de l'ordre, dont la présence les exaspère et cela tous les jours pendant près d'un mois et demi. La population locale souhaite rester maîtresse de son espace de vie, et préserver celui ci. Des comités de soutien qui ont un fort impact sur la population se créent un peu partout dans la région. Un couple de réalisateurs, Nicole et Félix Le Garrec, décide de filmer les évènements. Un documentaire long métrage s'intitulant Plogoff, des pierres contre des fusils en résultera. L'élection à la présidence de la République de François Mitterrand et l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement socialiste mettront fin au projet, sans compter que l'EDF révisera en baisse ses prévisions en matière de production d'électricité utilisant l'énergie nucléaire.

Fabien Lostec

Transcription

(Silence)
François Debré
C'est près de la Pointe du Raz, à l'extrémité du Finistère, que l'EDF veut installer une centrale nucléaire de 1300 mégawatts. Le projet, connu depuis 4 ans, fait contre lui la quasi-unanimité des habitants de la région. Une région habitée depuis des siècles par les plus acharnés des pêcheurs, les plus courageux des marins, les plus obstinés des Bretons.
(Silence)
François Debré
L'atome à Plogoff, une cathédrale de béton sur cette côte battue par les vents et les tempêtes, qui portent des noms évocateurs : la baie des trépassés, Fentenaud la pointe du diable, le bouleversement du pays, les ingénieurs et les ouvriers étrangers, la pollution, les nuisances, les lignes à haute tension. Pour l'EDF, le site est idéal, massif granitique solide, masse d'eau perpétuellement renouvelée par les courants, terrains incultes mais les habitants ne veulent rien entendre.
(Silence)
François Debré
Depuis 3 semaines, Plogoff est entré en dissidence contre le pouvoir central, contre le préfet, contre les technocrates parisiens, contre les CRS qui quadrillent le pays. Plogoff est en révolution, les esprits s'échauffent, 14 blessés la semaine dernière, des bagarres presque tous les jours.
M. Guillou
La commune de Plogoff, elle est pas assez importante pour supporter, pour supporter un chancre comme cette centrale. Sur les plans là, on nous montre que le site est nécessaire, ça s'agrandit de plus en plus et puis de toute façon, je suis antinucléaire. Je sais que la Bretagne a assez... peut avoir de l'énergie sans avoir besoin de cette énergie nucléaire. Ce qu'on nous raconte pour l'industrialisation, c'est du bidon. Parce que dans l'euphorie du pétrole, il y a vingt ans, ils auraient pu industrialiser la Bretagne. Ils l'ont pas fait et ils n'ont pas l'intention de le faire.
François Debré
Dimanche dernier, 1700 des 2300 habitants de Plogoff ont défilé à la Mairie pour signer une pétition demandant au préfet de retirer les forces de l'ordre.
(Silence)
Habitant de Plogoff
Alors là, vous mettez votre nom de jeune fille.
Habitante de Plogoff
Ah bon... Là ?
François Debré
Ces forces de l'ordre protègent les quelques camionnettes baptisées «Mairie annexe» où les dossiers de l'enquête d'utilité publique sont comme la loi le prescrit, proposés à la population. Le Maire de Plogoff et ceux des communes voisines n'ont pas voulu accueillir ces dossiers. Eléments d'information et registres destinés à recueillir les doléances des habitants. La population, elle, ressent la présence des forces de l'ordre comme une occupation étrangère.
M. Guillou
Une voiture toute neuve qui sortait du garage, ils l'ont arrêté, ils ont tiré deux grenades dans le pare-brise, ils voulaient foutre le feu, c'est l'évidence. Parce que, la grenade a fondu le siège. Alors, ensuite ils ont cassé la voiture à coup de bottes, à coup de matraques. Enfin, ne dites, ne dites tout de même pas que ça c'est le maintien de l'ordre. Parce que ça s'appelle «force de maintien de l'ordre.» Nous craignons que l'escalade ne continue parce qu'il y a déjà eu pas mal d'accrochages, pas mal de violences et nous avons l'impression que c'est, à la lumière de ce qui se passe, de ce qui s'est passé la nuit dernière, par exemple, où les forces de police ont patrouillé deux nuits dans des camions. Simplement bâchés et ouverts à l'arrière, qu'il y ait, qu'il y ait du sang. Parce que l'on a l'impression, on a l'impression qu'ils cherchent la provocation afin de pouvoir nous écraser plus facilement, plus à l'aise, qu'ils soient, qu'ils aient des raisons pour le faire.
François Debré
C'est sur ce site de landes sauvages que s'édifiera peut-être un jour la centrale. 167 hectares. Mais 167 hectares aujourd'hui inoccupés. Et bien qu'une seule maison soit en passe d'être expropriée, les habitants de la lande imaginent le pire.
Habitant de la lande
On défend, on défend notre, notre morceau, notre morceau de terrain, on défend notre morceau de terrain, on est bien où on est, on veut pas être emmerdé avec ça. Voilà.
Journaliste
Oui.
Habitant de la lande
On a eu assez déjà avec les marées noires. On a eu déjà assez... ... avec les marées noires.
Journaliste
Combien, alors dites-moi combien de personnes ça va toucher dans le... immédiatement dans le... dans la région ?
Habitant de la lande
On n'en sait rien ! On n'en sait rien, tout ce village là, il part. Mais mettez-vous à la place des gens, où on va les mettre ? Et quand les travailleurs immigrés, ils vont venir là, nous on va partir pour eux. Y aura des morts, ça je vous le dis, il y aura des morts.
Habitante de Plogoff
Elle vous colle à la peau la peur malgré vos boucliers, vos grenades et vos armes.
Habitant de Plogoff
On a vu plus de camions schleu [...] et on a jamais capitulé, on les a chassés.
François Debré
Chaque jour, les mairies annexes et les CRS s'installent à Plogoff harcelés par la population. Chaque déplacement des forces de l'ordre est une provocation. Chaque mesure de protection, une vexation.
Habitant de Plogoff
Comment, c'est comme ça ? Pourquoi ?
CRS
Parce que c'est comme ça.
Habitant de Plogoff
Qui c'est qui vous a appris ça ? C'est public une mairie, j'estime. Je ne vois pas la raison pour laquelle il faut y aller qu'à deux personnes. Moi, quand j'ai envie d'aller dans la mairie de ma commune, si y a du monde avec moi, y a personne à l'entrée jamais qui me dit, non vous n'allez qu'à deux. Je n'ai jamais vu ça moi. Comment ça se fait qu'ici, c'est comme ça ? Et pourquoi ? Pourquoi ? A vous ne savez pas, vous ne savez pas, mais écoutez, je comprends que vous ne faites que votre boulot, d'accord ici, mais j'estime que c'est de la vaste fumisterie ce truc là. C'est de la fumisterie, écoutez.