Anne-Marie Crolais, présidente du CDJA

04 mars 1976
04m 37s
Réf. 00262

Notice

Résumé :

Anne-Marie Crolais, agricultrice de 24 ans, est présidente du syndicat des jeunes agriculteurs, le CDJA. Elle témoigne de son rôle d'agricultrice, de syndicaliste agricole et de femme. Elle aspire à conjuguer ses différentes fonctions.

Date de diffusion :
04 mars 1976
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Anne-Marie Crolais est une figure emblématique des agricultrices de Bretagne. Jeune femme dans ce document réalisé en 1976, elle participe alors pleinement aux mutations rurales.

Par son engagement syndical d'abord : elle vient d'être élue présidente du groupe CDJA (Centre départemental des jeunes agriculteurs) des Côtes-d'Armor. Cette élection fait figure de première : une femme à la tête d'un groupe syndical agricole ! Comment est-ce possible ? Au début des années 70, les FDSEA (Fédérations départementales des syndicats d'exploitants agricoles) bretonnes sont menacées d'éclatement par l'arrivée de jeunes agriculteurs très opposés au libéralisme et attirés par la gauche. La FDSEA des Côtes-d'Armor reste modérée. Mais malgré toutes les tensions, elle facilite sans doute l'ouverture des portes de l'appareil - traditionnellement assez machiste - aux femmes. L'engagement syndical d'Anne-Marie Crolais balise sa vie professionnelle : elle sera successivement membre du bureau du CNJA, membre de la chambre d'agriculture, secrétaire puis présidente de la FDSEA des Côtes-d'Armor. Elle est maintenant présidente de l'Union bretonne du tourisme rural. Cet engagement l'entraînera sur le terrain politique : elle sera conseillère régionale (UDF) de 2004 à 2007. Par le besoin de faire reconnaître sa profession ensuite. Elle écrira d'ailleurs un livre en 1982 dont le titre, L'Agricultrice, est le symbole des luttes des femmes du milieu rural. Les jeunes femmes des campagnes, souvent motivées par la JACF (Jeunesse agricole catholique féminine), ont voulu associer un professionnalisme reconnu avec une qualité de vie proche de celle des villes. Anne-Marie Crolais ne cache pas son plaisir face aux sorties, entre autre pour aller au théâtre, activité qui a joué très tôt un rôle important dans l'ouverture culturelle des campagnes. Par sa participation à l'organisation de la filière porcine enfin : Anne-Marie Crolais et son mari créent très jeunes un atelier d'élevage de porcs. C'est en effet dans les années 70 que la filière porcine s'organise, permettant à la paysannerie modernisée de s'affirmer en développant de nouvelles productions et de nouveaux outils (marchés au cadran, coopératives etc.). Anne-Marie Crolais sera présidente de la section porcine du CRJA.

Face au journaliste, Anne-Marie Crolais fait preuve d'une assurance tranquille et d'une forte conviction. Elle est représentante de la volonté de changement d'une jeune génération moderniste pour qui rien ne semble impossible... même d'être femme dans un monde d'hommes. Au début des années 2000, elle nuancera cet enthousiasme : si elle continuera d'affirmer la richesse de l'engagement syndical, elle ne cachera pas les nombreuses difficultés qu'elle a rencontrées en étant quasiment la seule femme présente dans des instances restées souvent misogynes.

Bibliographie :

- Anne-Marie Crolais, L'Agricultrice, Ramsay, 1982.

Martine Cocaud

Transcription

Alain Pelletier
Anne-Marie Crolais a vingt-quatre ans. Issue du milieu agricole, elle s'est mariée il y a cinq ans et participe depuis lors activement à l'exploitation que son mari a reprise à la suite de ses parents. C'est à elle que les jeunes agriculteurs des côtes du Nord ont confié le soin de redonner vie au CDJA. Un centre qui était moribond depuis bientôt trois ans. Pour preuve, il n'avait même plus de secrétariat administratif.
Anne-Marie Crolais
Le fait d'être une femme à la tête du CDJA ne change rien à son but, peut-être à promouvoir l'image qu'on se fait de l'agricultrice, à le rendre plus dynamique peut-être.
Alain Pelletier
Mais ce n'est pas un peu gênant d'être la seule femme présidente d'une association, d'un centre ou d'un syndicat dans une région donnée ?
Anne-Marie Crolais
Non, je n'ai pas ressenti le, non, je n'ai rien ressenti de tel. Je dis je suis femme et puis c'est tout.
(Silence)
Alain Pelletier
Promouvoir l'image de l'agricultrice, voilà donc l'un des buts essentiels d'Anne-Marie Crolais. Cette image, quelle est-elle exactement, et comment les agriculteurs eux-mêmes la voient-ils ? Qu'attendent en fait les jeunes de leurs épouses ?
Anne-Marie Crolais
D'une compagne premièrement, pour la vie du couple et la vie de la famille, je pense que c'est ça qu'ils attendent la première chose, peut-être d'une femme compétente, vu les ateliers qu'il faut tenir maintenant.
Alain Pelletier
Vous croyez qu'ils attendent essentiellement une associée d'exploitation ?
Anne-Marie Crolais
Si elle reste à la ferme, je crois que l'agriculteur demande que sa femme soit attentive aux problèmes, qu'elle comprenne que, qu'elle se soucie de l'agriculture.
Alain Pelletier
Sur les trente-six hectares de leur ferme de Saint-Alban, les Crolais ont installé une porcherie, où ils élèvent une soixantaine de truies. C'est Anne-Marie Crolais qui s'en occupe, les surveille et donne les soins aux porcelets. Comme beaucoup d'autres agricultrices, elle s'occupe en outre de la gestion de l'exploitation. Une constatation donc, la place de la femme dans l'exploitation est de plus en plus prépondérante. Est-elle aussi de plus en plus difficile à tenir ?
Anne-Marie Crolais
Moi je pense qu'une femme qui sait s'intégrer, qui sait prendre la vie de l'agriculture, qui aime ça, qui aime les animaux, pour moi c'est la première constatation qu'il faut faire. Si elle prend ça avec un certain dédain de la saleté ou une chose comme ça, elle ne pourra pas s'y habituer.
Alain Pelletier
Vous pensez que l'agriculture ici a une vocation strictement d'élevage ?
Anne-Marie Crolais
Oui, je pense que l'agriculture c'est basé sur l'élevage à cause du manque du foncier dans cette région. Il y a quand même pas mal d'exploitations, et si on ne fait pas d'élevage, ce n'est pas possible de vivre sans cette ressource.
Alain Pelletier
Vous êtes depuis cinq ans dans cette ferme, ça fait cinq ans que vous participez à son exploitation, est-ce que vous avez très souvent ressenti le besoin d'une formation ?
Anne-Marie Crolais
Alors, oui c'est sûr. Je crois que c'est un grand problème dans l'agriculture, c'est le manque de formation de base, et le besoin de recyclage, perpétuellement, on ne sait jamais tout, il faut toujours se former.
Alain Pelletier
Et pourtant vous, vous êtes issue d'un milieu agricole ?
Anne-Marie Crolais
Oui. Si au début, quand je suis arrivée, je n'avais aucune formation technique. Disons que j'aidais mes parents mais sans plus. C'est tout, on me disait d'aller là et j'allais là, et quand je suis arrivée, j'ai bien senti que ça ne pouvait pas durer, que je ne pouvais rester le bouche-trou de la ferme.
Alain Pelletier
Travail à la ferme, gestion de l'entreprise, nécessité de se former sont donc venus s'ajouter pour nombre d'agricultrices aux activités traditionnelles que sont les soins domestiques et l'éducation des enfants. Les femmes ont-elles encore du temps disponible pour les loisirs ou s'adonner à des activités culturelles ? Il semble bien que les agricultrices aient réussi aujourd'hui à mieux s'organiser. La vie autre que la vie professionnelle, c'est une vie difficile ?
Anne-Marie Crolais
Non, disons qu'on sort beaucoup, on s'intéresse beaucoup au cinéma, au théâtre, à beaucoup de choses, à lire, lecture.
Alain Pelletier
Est-ce que là vous sentez une séparation avec la génération antérieure, celle de vos parents ?
Anne-Marie Crolais
Oui, je pense qu'il y a une séparation là, qui s'est faite et qui se fait de plus en plus.