Les johnnies de Roscoff

15 décembre 1976
11m 21s
Réf. 00264

Notice

Résumé :

Depuis 1827, les Johnnies se rendent tous les ans en Grande Bretagne afin de vendre les oignons de la région de Roscoff. Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'une cinquantaine en activité. Les anciens Johnnies témoignent de leur vie et de leur travail.

Type de média :
Date de diffusion :
15 décembre 1976
Source :
FR3 (Collection: Caractères )

Éclairage

L'exportation des oignons de Roscoff vers l'Angleterre remonte à loin puisque des historiens retrouvent mention de cet échange dès le XIVe siècle. Mais l'aventure n'aurait vraiment pris tournure que dans la première moitié du XIXe siècle : en 1850, 200 marchands d'oignons parcourent le sud de l'Angleterre. En 1900, ils sont plus de 1000 et vendent 7000 tonnes de produits - ce qui somme toute n'est pas si considérable puisque la vente bretonne ne dépassera jamais 2% des importations d'oignons nécessaires aux britanniques.

Les vendeurs se groupent en compagnies de 10 à 40 personnes commandées par un chef. Les premiers voyages se font sur des gabarres à voiles, puis ensuite à vapeur. Les johnnies partent traditionnellement après le pardon de Sainte Barbe (juillet), puis une fois arrivés dans le sud de l'Angleterre, les vendeurs, parfois très jeunes, font du porte à porte, les lourds chapelets d'oignons portés sur un balancier à l'épaule. Dans les années 30, ils utiliseront la bicyclette puis des camions pour se déployer plus loin, vers le Nord, la vente se pratiquant toujours en porte à porte. Les années 30 marquent l'apogée de ce commerce qui s'affaiblira inexorablement jusqu'aux années 80 (160 johnnies en 1970).

Ce film est l'occasion pour les anciens de rappeler la tradition avec une certaine nostalgie. Il est aussi le témoignage de la Bretagne enclavée d'avant-guerre, qui pour faire vivre une population rurale nombreuse doit rechercher toutes les occasions de commerce et accepter des conditions de vie somme toute bien difficiles.

Bibliographie :

- François Guivarch', Les Johnnies de Roscoff, Quimper, 1979.

- F. Cabioc'h, "Johnnies : Les onion-men du Léon," Ar-Men n° 72, 1995.

- "Les Johnies et les bell brokers de Roscoff", Micheriou koz, 2003.

Martine Cocaud

Transcription

Journaliste
Summerfield, à Roscoff, ne vous en étonnez pas. Ici demeure Saïc Mevel, l'un de ces étonnants vendeurs d'oignons qui depuis cent cinquante saisons franchissent la Manche, se dispersant dans toute l'Angleterre pour lui faire connaître ce qu'ils considèrent comme le meilleur oignon du monde. Seule l'Irlande a toujours refusé leur commerce. Baptisés Johnnies ou briseurs de sonnettes, ils déclenchèrent les premières visites en Bretagne de leurs clients anglais, devenus bien souvent des amis fidèles.
(Bruits ambiants)
Journaliste
Ces hommes, qui étaient-ils, quelles étaient leurs vies, leurs difficultés ? Qui, le premier osa se lancer dans cette aventure?
Saïc Mevel
Le premier Johnnie, c'était un nommé monsieur Henri Olivier. Il est parti de Roscoff en 1827 ou 1828 par là.
François Guivarc'h
C'est un petit nom que les Anglais ont donné aux marchands d'oignons. Ils l'ont appelés John puis Johnnie, c'est devenu Johnnie le petit Jean, et ma foi, ça a plu au Johnnie lui-même, au marchand d'oignons, et c'est comme ça qu'à l'heure actuelle, on les appelle les Johnnies. L'engagement, c'était un patron, les associations qu'ils faisaient avec un ou deux autres s'appelaient une compagnie. Alors évidemment les compagnies variaient. Il y en avait qui étaient très nombreuses. Elle ont sompté jusqu'à, dans les années prospères, jusqu'à cinquante, soixante employés, et il y en avait qui étaient composés de deux ou trois tout simplement.
Mademoiselle Quemeneur
Le recrutement s'est effectué chez nous avec des patrons de petites compagnies, parce que pour les grandes compagnies, je pense qu'il y avait des agences maritimes. Ca se passait surtout au début de juillet, dès qu'on sentait un petit peu l'agitation du départ. Le dimanche matin, je voyais un patron Johnnie qui venait me demandant, tu as cinq minutes pour venir ? Alors je comprenais que c'était pour les gages. Nous passions dans une petite salle où personne ne pouvait entendre ce qui se passait, c'est très discret toujours, J'ouvrais mon cahier, il y avait le patron johnnie et son commis, c'était souvent un botteleur. Alors je commençais à inscrire sur le cahier la formule traditionnelle, « Je soussigné Monsieur untel, m'engage pour la saison d'oignons en Angleterre, avec Monsieur untel, à raison de, » Alors là, il y avait toujours un temps d'arrêt. Je pense que les gages avaient déjà été faits et décidés de part et d'autre. Et au moment de les inscrire sur le cahier, il y avait toujours une petite attente. Alors le patron regardait le commis, le commis regardait le patron, ils me regardaient, et puis brusquement, en breton, presque toujours la formule [incompris]. Bon, c'était toujours le chiffre qui était indiqué, et ça y est, ils étaient d'accord par un signe de tête. Et je terminais les formules traditionnelles, où tous les deux s'étaient engagés, et il y avait la signature. Alors pour la signature, c'était toujours un passage, pas amusant non, mais assez sérieux parce que vraiment le commis avait l'intention de s'engager pour quelque chose de très valable. Alors il y avait une signature presque ministérielle, sur un tout petit cahier ordinaire qui était en somme,
Journaliste
Un cahier d'écolier ?
Mademoiselle Quemeneur
Un cahier d'écolier oui. Mais au retour de leur campagne, ils étaient toujours très gentils, et délicatement ils venaient me dire : bon, on a fait un bon séjour là-bas, c'était bien, tiens, ça c'est pour toi. Et j'avais toujours un petit paquet de thé, ou un paquet de cigarettes anglaises. Pour moi, j'ai gardé de très bons souvenirs de tous ces moments-là.
(Musique)
Eugène Grall
Tout au début, il y a eu beaucoup de risques et d'ailleurs les faits sont là et beaucoup se rappellent encore du bateau Charles Quint qui a été coulé par un bateau allemand sur la Manche en 1898 je crois, et en 1905 du Hilda, qui est venu s'échouer en face de Saint-Malo, qui a coulé et qui a fait plusieurs dizaines de victimes dont plusieurs Johnnies. Si mes souvenirs sont bons, on parle même de quatre-vingt Johnnies ou quelque chose comme ça entre les deux bateaux.
(Musique)
Eugène Grall
En Angleterre, en ce qui me concerne, j'allais toujours au Pays de Galles, qui sont nos frères celtes, nous avions un accueil sensationnel là-bas, vous comprenez, nous avons beaucoup d'amis là-bas. D'ailleurs mes amis qui [incompris], qui allaient à Londres ou à Bristol ou ailleurs, avaient le même accueil, même de la part des Anglais. Il ne faut pas dire qu'il n'y a que les Gallois ou les Ecossais qui nous recevaient bien, tous les Anglais nous accueillaient à bras ouverts.
(Bruits ambiants)
Saïc Mevel
La clientèle anglaise, c'était un plaisir d'aller les voir. On allait une fois par mois les revoir, vous comprenez. Et à l'arrivée bien sûr c'était « Come inside ! Have a cup of tea, cake, pudding (incompris)» On était très bien reçu.
(Anglais)
Journaliste
Ne parlant au départ que le breton et le français, ils apprirent l'anglais par la force des choses, au contact de leurs clientèle.
Saïc Mevel
Nous y étions une fois par mois, mais y en a d'autres qui y étaient tous les quinze jours. Et puis qui faisaient... J'ai vu même arriver chez un client en me disant : tiens, François, ou Saïc comme vous dites, tiens j'ai une liste ici où tu pourras aller les livrer. Alors j'allais les livrer par rapport à cette dame, à cette cliente, et j'arrivais à vendre mes oignons assez vite et puis [incompris]. Comprenez, c'est un peu du breton ça.
Eugène Grall
La vie quotidienne des Johnnies d'Angleterre, ça dépendait un peu des quartiers. Il y en a qui se levaient à cinq heures le matin, suivant la distance qu'ils devaient accomplir à pied et avec leurs bâtons d'oignons, ou à bicyclette, ou avec une petite charrette traînée par un âne ou un cheval. D'autres, ceux qui restaient vendeurs d'oignons dans la ville même, bien sûr pouvaient se permettre de faire un peu de grasse matinée, de prendre leurs vélos ou même de préparer leurs bottes eux-mêmes pour les vendre dans des rues avoisinantes. Enfin, ça faisait même beaucoup de kilomètres, malgré tout, à faire dans la journée. Et le soir, suivant ... c'est une question de chance, la vie de Johnnie vous savez, si vous avez une bonne clientèle, vous avez fini votre journée à midi. Et si vous fainéantez un petit peu, le soir à dix heures, si vous avez encore des paquets d'oignons à vendre, et à ce moment-là les Johnnies n'aiment pas rentrer au magasin avec des paquets d'oignons. C'est mal vu, il fallait que tout soit vendu et au prix donné.
Saïc Mevel
On nous réveillait à deux heures du matin, nous les jeunes. On nous réveillait pour trier les oignons. Alors les plus vieux que nous, ceux-là c'est à minuit qu'ils commençaient, jusqu'à dix heures le lendemain matin, le lendemain soir. Ah ! Oui. On partait comme ça, mon neveu et moi... Porte à porte. On était payé mon neveu et moi dix francs par mois. Mais attention, c'était de l'or. C'est pas avec ce métier-là, quand-même, qu'on est devenu millionnaire hein. Non, on gagnait notre vie quoi, mais pas pour, on n'avait pas à se plaindre voyez-vous mais c'était pas un métier à gagner gros. Non, c'était dur en même temps.
(Bruits ambiants)
Eugène Grall
Dire que le métier plaît, il ne faut peut-être pas le dire puisque il ne reste plus que quarante-huit qui sont partis en Angleterre cette année. Mais du temps d'autrefois dont parlait Monsieur Guivarc'h tout à l'heure, il y avait jusqu'à quinze à seize cents Johnnies, c'était un besoin pour le pays. Il n'y avait pas d'industrie dans le pays, il fallait que les petits cultivateurs et ceux qui n'avaient pas d'emploi attitré, de spécialité, ils avaient quand même un débouché en Angleterre qui était très intéressant. Certains y passaient sept à dix mois, et ensuite c'était le printemps et par ici il y avait du travail dans les fermes quoi. Alors malgré tout, c'était un métier qui à ce moment-là, c'était l'économie du pays si vous voulez. Nous avons encore quelques vieux Johnnies, enfin vieux, qui ont la soixantaine bien dépassée et qui ont déjà fait là-bas cinquantes campagnes et qui continueront à y aller, tant qu'ils seront en bonne santé. Mais pour les jeunes c'est fini. Personne n'y va plus, surtout à cause de la Livre sterling qui est malade en ce moment et alors le prix des oignons bien sûr est cher, il faut le reconnaître quoi. Et alors si le jeune qui trouve du travail sur place ici, il préfère rester sur place.