La désertification des campagnes

27 septembre 1991
02m 36s
Réf. 00274

Notice

Résumé :

La Chapelle Bouëxic est un petit village représentatif du sud de l'Ille et Vilaine. Cette commune rurale, en perte de vitesse, est désertée. Face aux difficultés du monde agricole, elle voit sa population et son activité économique diminuer.

Date de diffusion :
27 septembre 1991
Source :
FR3 (Collection: Rennes midi )

Éclairage

Au début des années 90, la prospective sur l'avenir des campagnes est dominée par le mythe de la désertification : les campagnes se vident car trop d'agriculteurs abandonnent la terre, dont la mise en valeur est menacée par la concurrence internationale. Depuis 1988, la population des exploitants a reculé de 37%. Ce document illustre cette idée force.

Des chiffres vont dans ce sens : en 1970, un Breton sur quatre appartenait à une famille d'exploitants, en 1988 ils ne sont plus que 11 %, et seulement 6 % en 2000 (mais la moyenne française est encore plus faible : 2,8 % environ).

Dans le film, l'abandon de l'activité agricole parait lié aux difficultés rencontrées - crise de la viande, crise du lait - qui poussent les exploitants à s'agrandir et à s'endetter. Nous retrouvons les "modernisés-endettés" analysés par Corentin Canevet. En effet, à partir de 1974, des conditions de crédit plus difficiles, des marchés plus instables fragilisent ces exploitations qui sont souvent celles des jeunes. Le redressement de la situation dépend fortement de la conjoncture. Les syndicats de gauche bretons ont souvent décrit ces situations. Mais en fait d'autres phénomènes participent de la disparition des agriculteurs puisque ce sont les plus âgés qui partent le plus, encouragés par les aides de l'Etat.

Mais peut-on parler pour autant de désertification des campagnes ? Non, "la désertification bretonne est un mythe" nous dit Alain Even, président du Comité économique et social de Bretagne dans une réflexion prospective "la Bretagne en devenir". Selon lui, mis à part quelques cantons situés le plus souvent dans le centre Bretagne, les campagnes sont des territoires peuplés aux multiples polarités (villes et bourgs) car si la population agricole diminue, actuellement les villes peuplent les campagnes. Une preuve : 16 km deux fois par jour est la distance moyenne parcourue par les automobilistes chaque jour travaillé.

Martine Cocaud

Transcription

Fabrice Goll
La Chapelle Bouëxic. Un village de 670 habitants installé dans le sud de l'Ille et Villaine. Cette commune rurale voit sa population agricole diminuer d'année en année. En 1975, 50% des actifs travaillaient la terre, aujourd'hui ils ne sont plus que 15%. Autre chiffre, le nombre des exploitations agricoles. Il n'en reste plus qu'une vingtaine. Elles étaient 5 fois plus nombreuses dans les années 70. En outre la population agricole vieillit. Les jeunes ne veulent plus ou ne peuvent plus reprendre l'exploitation familiale. On préfère aller travailler chez Citroën ou ailleurs, là au moins, on sait ce qu'on va gagner à la fin du mois. René Larcher a 46 ans. Marié et père de 2 enfants, son histoire symbolise à elle seule cette crise du monde rural. Producteur de lait jusqu'en 1978, son exploitation est alors florissante. Il décide de s'agrandir et de s'attaquer au marché de la viande. Il investit énormément, construit une maison et élève une centaine de taurillons. En 1983, le prix du kilo de viande est de 26 francs, un an plus tard, il a chuté de 8 francs.
René Larcher
On a eu la, les chutes des cours de la viande dues aux quotas laitiers en 84. Ce qui fait qu'en 84, en 2 mois de temps, on a perdu 250 000 francs quoi
Fabrice Goll
[inaudible] ?
René Larcher
Pour boucher les trous de la, de l'exploitation.
Fabrice Goll
Qui est la cause de tous vos, vos malheurs ?
René Larcher
La cause de tous les malheurs ? C'est les quotas laitiers, c'est tout hein, et euh les premiers touchés ont été les producteurs de viande. Hein, bon maintenant c'est, c'est des producteurs de lait.
Fabrice Goll
Eric, son fils, était prêt à reprendre l'exploitation. Mais il a du stopper ses études que ses parents ne pouvaient plus payer.
Eric Larcher
Je ne peux pas me lancer, faire des investissements tels que mes parents ont déjà fait pour revivre la même, la même situation, moi je ne peux pas. J'ai fait 4 ans d'études, un BEP, un BTA. Et puis maintenant, être obligé de, d'aller ailleurs pour arriver à trouver un travail, non c'est vexant quand même.
Fabrice Goll
Eric Larcher travaille maintenant dans une entreprise de ramassage d'ordures. Son père, lui, s'est reconverti dans les travaux publics. L'exploitation de 60 ha ne rapporte rien. Seuls vestiges du passé, les bâtiments vides et une dizaine de génisses. Vous allez aller manifester à Paris ?
Eric Larcher
Oui, je pense, avec une situation comme on en a eu une, on ne peut pas faire autrement. C'est impossible.
Fabrice Goll
Ils seront une dizaine de La Chapelle Bouëxic à aller manifester dimanche. Sans aucune illusion sur la politique agricole européenne, ils veulent simplement enrayer la mort de leur village.