La pollution de l'eau par les nitrates

25 juin 1988
06m 53s
Réf. 00299

Notice

Résumé :

La Bretagne est malade de son eau. La pollution de l'eau par les nitrates a des conséquences sur l'environnement, mais aussi sur la santé pour les hommes. Cette pollution est principalement due aux pratiques agricoles.

Type de média :
Date de diffusion :
25 juin 1988
Source :
FR3 (Collection: Bretagne hebdo )

Éclairage

Depuis le milieu du XXe siècle, les Bretons des champs ont fait leur "révolution verte", qui a littéralement emporté l'ancienne économie paysanne au profit d'un système agro-industriel. L'agriculture encore semi autarcique et isolée pratiquée par une paysannerie nombreuse, pauvre et délaissée est devenue une gigantesque entreprise agroalimentaire entrée de plain-pied sur les marchés européens et internationaux. Au terme de cette révolution, dans les années 1980, la Bretagne fournit 12% en valeur des livraisons totales de l'agriculture française sur seulement 6% de la surface agricole. En 1985, la Bretagne représente en tout 22% de la production animale française avec un taux moyen de croissance, entre 1939 et 1980, supérieur à 500% ! Une véritable révolution donc, qui n'a pas laissé la Bretagne intacte.

Si le paysage a été bouleversé, la "révolution verte" a aussi et surtout considérablement altéré l'écosystème : baisse de la qualité de l'eau, eutrophisation et "marées vertes", contamination bactérienne des eaux littorales et interdictions périodiques de ramassage des coquillages. Cette dégradation tient à deux causes essentielles : d'abord l'utilisation de produits chimiques, ensuite les épandages des fumiers et des lisiers, dont l'excès se transforme en azote minéral puis en nitrate. La somme de ces engrais de synthèse et de ces engrais organiques fait de la Bretagne la région française la plus utilisatrice d'engrais, en particulier d'engrais azoté. Deux zones sont particulièrement touchées : le Nord Finistère et le secteur de Lamballe où se concentrent les plus fortes densités de cheptel porcin. Bien entendu, le Sud-Finistère, le centre du Morbihan et les Côtes-d'Armor sont également concernés.

La dégradation de l'environnement, en particulier de la qualité des eaux, est devenue dans les années 1980 un thème très sensible. Un changement d'attitude est intervenu à partir de 1988 (progressivement l'eau du robinet est redevenue potable), à la suite d'un rapport alarmiste sur la qualité des eaux. Ainsi, au laisser-aller des années 1970-1980 succède une prise de conscience du gaspillage économique constitué par les épandages irraisonnés, accélérée par les normes édictées par la CEE puis l'Union Européenne.

Bibliographie :

- Joël Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons, tome 2, Seuil, 2005.

Fabien Lostec

Transcription

(Bruits)
Journaliste
La Bretagne est-elle malade de son eau ? S'il n'y avait que la marée noire venue de l'extérieur, la région pourrait se dire que le pire est arrivé, et ne devrait plus, en principe, se reproduire. Mais depuis plusieurs années, c'est une autre marée infecte qui envahit les côtes bretonnes et particulièrement celles du nord. La marée verte. Mais celle-ci, à la différence de la première, ne vient pas de l'extérieur : c'est nous-mêmes qui la produisons. Les algues vertes ne sont que la conséquence de notre pollution. Bien sûr, pour le moment, la marée verte ne tue pas comme la marée jaune des côtes de Norvège. Mais pour les spécialistes, si nous ne faisons rien, le même désastre se produira en Bretagne dans quelques années. Pourtant, chaque année, à l'approche de l'été, la même pollution atteint les coquillages de la baie de Vilaine. Et chaque année, pendant plusieurs semaines, on interdit la consommation des moules de la baie de Saint Brieuc. Cela veut-il dire que la pollution n'est pas encore assez forte pour créer la mobilisation nécessaire ? Alors on se contente de soigner les effets en construisant, par exemple, des bassins insubmersibles. Mais pendant ce temps, on ne touche pas aux causes, surtout lorsqu'elles produisent des effets invisibles. Dans le nord Finistère, l'eau du robinet n'est pas bonne à consommer. On en achète en bouteille. A Saint-Pol-de-Léon, on en consomme plus que partout ailleurs. Est-ce que vous achetez souvent de l'eau de source, madame ?
Inconnue
Oui, tout le temps. En permanence, oui.
Journaliste
Pourquoi ?
Inconnue
Parcequ'on l'aime bien et puis ici l'eau est assez nitratée donc on préfère boire de l'eau de source.
Journaliste
Vous avez des inquiétudes ?
Inconnue
On ne sait jamais, hein !
Journaliste
Vous ne consommez pas de l'eau du robinet ?
Inconnue 2
Je suis en vacances ici ce qui fait que l'eau est pas très potable ici, c'est pour ça.
Journaliste
Vous êtes sûre ?
Inconnue 2
Relativement sûre, oui. Sinon je ne prendrais pas du tout de l'eau minérale.
Journaliste
Comment est-ce que savez qu'elle n'est pas très potable ?
Inconnue 2
Parce que rien qu'au goût déjà, y a de la javel, ça sent la javel.
Gérant
Malgré tout, il reste toujours cette peur de consommer l'eau du robinet, et la consommation d'eau de source tout comme celle de l'eau minérale reste relativement importante. Par rapport à d'autres collègues d'autres secteurs de la Bretagne, enfin du Finistère, ça reste toujours largement... 60% au-dessus de la consommation normale.
Journaliste
La pollution de l'eau de consommation courante par les nitrates est la plus grave de toutes celles qui frappent la Bretagne, car elle atteint directement la santé. Un rapport officiel non publié fait état d'un nombre anormal de cancer du tube digestif chez les femmes dans le nord Finistère. Au moins 15% de la population finistérienne reçoit une eau contenant plus de 50 milligrammes de nitrates par litre, norme européenne. Passé ce seuil, l'eau ne peut être bue par les femmes enceintes et les bébés. Rien à voir avec la pollution bactériologique. Il s'agit de chimie, en l'occurrence de transformation des nitrites en nitrates.
Scientifique
J'ajoute que c'est l'espèce la plus toxique, et que d'ailleurs, cette réaction de réduction se passe au plan stomacal, et c'est ce qui rend le nitrate toxique puisque sous la forme nitrite, il se fixe sur l'hémoglobine du sang, et peut donner, au stade le plus grave, des cyanoses.
Journaliste
On le trouve à l'état pur dans la nature ?
Scientifique
Le nitrite ? Oui puisque c'est un état intermédiaire d'oxydation de l'ammoniaque en nitrate. Donc dans les eaux, lorsque vous avez des rejets ammoniacaux, vous avez toujours, à un moment donné, des nitrites en petite quantité, puisque l'oxydation se fait ammoniaque-nitrite puis nitrite-nitrate qui est le stade ultime, stade, d'ailleurs, qui est assimilé par les plantes. C'est la raison pour laquelle les agriculteurs mettent du nitrate comme engrais.
Journaliste
Première cause de la pollution de l'eau par les nitrates : des engrais fortement azotés. Les agriculteurs bretons utilisent plus d'engrais que la moyenne française. Conséquence par exemple dans une zone de culture intensive comme le Léon : la quasi-totalité des eaux souterraines captées dépassent 50 milligrammes de nitrate au litre, avec des valeurs parfois supérieures à 200. Mais il faut savoir que 25 milligrammes représentent pour l'Europe communautaire un nombre guide, révélant que les processus naturels sont déjà détériorés.
Agriculteur
Le problème de l'eau ? Je pense que ce n'est pas nouveau. Parce que depuis le temps qu'on utilise de l'engrais, qu'on utilise du fumier, du nitrate dans l'eau, il doit y en avoir de tout temps peut-être, surtout depuis que les terres sont cultivées de la façon un peu plus industrielle.
Journaliste
Est-ce que vous pensez que ça revêt le caractère dangereux qu'on leur prête, aux nitrates ?
Agriculteur
Moi, je ne vois pas tellement d'inconvénient. Vous savez, l'eau a dû être polluée depuis longtemps. Chacun a sa source, chacun a son puits dans la cour même souvent, entouré de différentes choses. Je pense qu'elle n'est pas plus mal maintenant qu'à l'époque. C'est exploité dans les journaux : on fait une montagne, souvent, avec des petits problèmes, petits, plus ou moins petits. Alors quant à avoir des conséquences graves, je ne sais pas s'il y en a.
Journaliste
Je vois que sur la table, il y a une bouteille de vin et une bouteille d'eau minérale.
Gérant
D'ailleurs, je ne bois plus du vin ordinaire, voyez c'est [inaudible], et de l'eau minérale ou de l'eau du réseau, je bois indifféremment de l'eau du réseau.
Agricultrice
Aujourd'hui, c'est de l'eau minérale. Mais je bois indifféremment les deux, à condition qu'elle ne soit pas javellisée toutefois. Parce que là, il y a des moments où elle n'est pas buvable. Mais autrement, oui, je bois de l'eau du réseau.
Journaliste
Et vous n'avez jamais eu peur des informations qui étaient données sur l'eau du Léon contenant des nitrates ?
Agricultrice
Pas pour nous spécialement mais je pense quand même aux enfants et aux femmes enceintes, par exemple, aux petits enfants surtout. C'est très déconseillé. Mais pour nous, non, je ne vois pas.
Journaliste
Autre source de pollution de l'eau par les nitrates : les déjections animales, essentiellement celles des porcs et des volailles. Aujourd'hui, sur 6% de la surface agricole utile française, la Bretagne produit la moitié de la production nationale porcine. Conséquence : la région produit trop de lisier par rapport à ses capacités d'absorption. Il faut ajouter à cela les négligences de toute dimension qui, avec l'action du lessivage des sols, vont encore augmenter la pollution des cours d'eau et des nappes phréatiques. L'hiver dernier, à cet égard, a été particulièrement nocif. Les pluies abondantes ont fait déborder plus que jamais de nombreuses fosses à lisier. Ici, c'est une grande coopérative de Morlaix qui, en toute impunité, déverse son fumier juste au-dessus d'un cours d'eau. Pas difficile dans ces conditions d'imaginer les dégâts occasionnés en aval à la faune et à la flore sous-marine.