Les étudiants chinois à Rennes

04 février 1965
08m 42s
Réf. 00372

Notice

Résumé :

Durant 3 ans, de jeunes chinois étudient à Rennes pour perfectionner leur français. Ils étudient notamment la littérature française. Outre leurs études, ils découvrent la vie occidentale et partagent leur culture avec leurs camarades rennais.

Type de média :
Date de diffusion :
04 février 1965
Source :

Éclairage

C'est en 1964 que le général de Gaulle reconnaît officiellement la République Populaire de Chine. Cette même année, Rennes est la première ville de France à accueillir un étudiant chinois. Les échanges entre Rennes, et plus généralement la Bretagne, et la Chine ne vont dès lors cesser de croître. La nomination, par le général de Gaulle en 1969, du diplomate finistérien Etienne Manac'h au poste d'ambassadeur de France en Chine va par ailleurs faciliter le rapprochement entre la Bretagne et la Chine. En 1985, la région Bretagne et la province du Shandong, au sud-est de la Chine, signent des accords de collaboration. Ce premier pas vers le jumelage est aussitôt suivi par des accords similaires signés entre Rennes et Jinan, la capitale régionale du Shandong. En 2005, les deux villes créent un comité de jumelage qui conforte et développe les accords préalables.

Si Rennes accueille une poignée d'étudiant chinois dans les années soixante, la capitale bretonne en compte aujourd'hui plus de 500. Les jeunes chinois que l'on découvre dans ce reportage viennent étudier en Bretagne attirés par la culture classique française qui participe au prestige de la France. Aujourd'hui, la donne n'est plus la même. C'est souvent par défaut que les Chinois choisissent les universités et les écoles françaises. Moins sélectives et moins chères que leurs consœurs américaines ou anglaises, elles offrent tout de même des diplômes valorisants en sciences ou en économie.

De leur côté, les Bretons ne démentent pas aujourd'hui leur intérêt précoce pour la langue chinoise. Dès 1979, sous l'impulsion de sa Principale, le lycée Emile Zola à Rennes ouvre sa première classe de chinois. En 2009, l'établissement devient Pôle oriental. Plus de 1900 élèves, dont 600 Rennais, apprennent le mandarin à l'école. Même les primaires peuvent désormais s'initier à cette langue. Une section internationale pour une classe de CE2 a ouvert à la rentrée 2009 à Rennes. Les enfants suivent trois heures de mandarin par semaine et découvrent ainsi une langue, une écriture et une culture nouvelle.

Les adultes peuvent aussi découvrir les richesses de la culture chinoise depuis l'ouverture en septembre 2008 du premier Institut Confucius en Bretagne à Rennes. Il existe environ 65 de ces instituts dans toute la France. Ils ont pour but de faire découvrir la Chine, sa langue, son patrimoine aux Français en proposant des cours.

Dans les années soixante, ce sont les étudiants Chinois en France qui suscitent la curiosité des médias locaux. Aujourd'hui, à l'inverse, c'est l'engouement pour la culture chinoise en Bretagne qui interpelle.

Bibliographie :

Marlène Piasco, "L'ancrage de Chine", in Le mensuel de Rennes, juillet-août 2009.

Soline Levaux

Transcription

Journaliste
Ils sont une trentaine à Rennes, venus de Pékin, de Shanghai ou de Canton. Ils resteront 3 ans, non pas pour apprendre le français, car, vous allez les entendre, ils le parlent déjà presque couramment, mais pour pouvoir l'enseigner, chez eux, un jour, en Chine communiste. Est-ce que vos élèves chinois vous donnent des difficultés particulières ?
Formateur
Des difficultés particulières ? Oui. On trouve des fautes assez curieuses qui, pour nous, Européens, peuvent paraître très étranges. Des difficultés qui ne sont pas les difficultés des Allemands, ou des Anglais qui sont des difficultés traditionnelles pour nous, des oppositions de consonnes, des oppositions de voyelles. Mais là, par exemple, j'ai découvert que pour certains Chinois de certaines provinces, le B et le N étaient la même lettre.
(Musique)
Journaliste
Comme nous, peut-être, êtes vous surpris par cette facilité d'adaptation de ces jeunes Chinois. Rien ne paraît les surprendre. Au cours de la promenade qu'ils font bras dessus bras dessous avec leurs camarades Français dans les rues de Rennes, deux choses les font s'arrêter ou se retourner : une vitrine de fleuristes et deux clochards.
(Musique)
Journaliste
Les filles ont refusé de s'intéresser, en revanche, aux magasins de mode.
(Musique)
Journaliste
L'étonnement de ces jeunes Chinois devant la France, les Français et surtout le français apparaît, en fait, quand ils se heurtent à Balzac à la faculté. Nous allons d'ailleurs assister à un cours d'explication de texte où, là, ils se révèlent davantage. Auparavant, l'un d'eux explique pourquoi il a choisi la France. Pourquoi avez-vous décidé d'apprendre le français ?
Chinois 1
Moi aussi, comme les autres, j'aime bien la littérature, et quand je faisais mes études secondaires, j'aimais aussi la langue française. En ce temps-là, j'étudiais le russe, et puis j'ai décidé de choisir le français.
Formateur
Je voudrais d'abord demander à monsieur, quelles difficultés vous avez rencontré, lorsque, sans exposé préliminaire, vous avez lu ce roman de Balzac, Illusions Perdues. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Chinois 2
La compréhension de la langue, surtout quand il s'agit de la description, par exemple dans ce passage "son nez avait pris le développement et la forme d'un A majuscule, ou encore de triple canon, ses deux joues veinées ressemblaient à ces feuilles de vigne pleines de rugosités violettes, purpurines et souvent panachées ". Je crois qu'il faut avoir une imagination pour comprendre ça.
Chinoise 1
D'après moi, les oeuvres de Balzac reflètent, d'une façon assez profonde, la société de son temps. Et Balzac a créé des personnages très typiques et qui sont devenus connus de tout le monde. Et ainsi, il nous a montré les relations entre hommes, entre les hommes, et encore la puissance de l'argent.
Chinois 3
Balzac est un grand écrivain réaliste. Dans tous ses personnages, il y a toujours une passion dominante. C'est pourquoi dans ce passage, nous avons encore un portrait, c'est aussi un exemple de cette passion. C'est ça : chez lui, c'est la passion. La passion c'est encore comme chez Eugénie Grandet, c'est la soif de l'argent.
Enseignant
Chez eux, ils ont une vie davantage communautaire, tandis que chez nous, on est plutôt, assez, peut-être individualiste. Et alors, également, il y a le monde étudiant. Je crois qu'il y a une certaine... - comment dirais-je - une certaine influence à la littérature, par exemple existentialiste, qui nous donne un certain style que, eux, bien sûr n'ont pas.
Journaliste
Est-ce vous avez lu les auteurs français contemporains, comme Camus, Sartre, Simone de Beauvoir ? Est-ce que vous les connaissez ?
Chinois 4
Pas beaucoup mais je n'ai lu que les romans..., comment dirais-je..., Salinas qui écrit des romans sur la résistance.
Journaliste
Ah oui. Est-ce que vous avez lu du Aragon, Elsa Triolet ?
Chinois 4
Non.
Journaliste
Les poètes français contemporains comme Aragon, justement vous, ne les connaissez pas ?
Chinois 4
Oui, je connais quelques petits poèmes de Aragon.
Journaliste
Qu'est-ce que vous avez conseillé comme lecture à vos camarades chinoises ?
Etudiante
Je ne leur ai pas conseillé spécialement, enfin je les ai orientées, je les ai aidées à choisir surtout, parce qu'elles connaissent très peu la littérature contemporaine. Elles ont surtout une culture classique. Elles connaissent les romanciers du XIXe, et les tragiques du XVIIe.
Journaliste
Et alors qu'est-ce que vous leur avez donné comme conseil d'orientation ?
Etudiante
Je leur ai cité quelques poèmes, et je leur ai mis à leur disposition quelques livres.
Journaliste
Lesquels ?
Etudiante
Les poèmes d'Eluard, d'Apollinaire, de Aragon aussi oui.
Journaliste
Et Sartre ?
Etudiante
Sartre, elles m'ont demandé des renseignements parce qu'elles ne connaissent pas du tout les philosophes. Et après il y a un film qu'on avait vu à la télévision sur La Chambre, elles nous ont demandé quelques renseignements. Alors un soir, on leur a exposé sa philosophie le mieux qu'on a pu. Ca a été assez difficile, surtout elles manquent un peu de vocabulaire philosophique.
Journaliste
Est-ce qu'elles vous semblent intéressées par cette philosophie ?
Etudiante
Elles étaient assez intéressées parce que c'était nouveau pour elles. Mais alors, elles ont eu une réaction naturelle : elles ont été très étonnées de ces idées, et elles n'ont pas compris comment proposer un idéal, un tel idéal aux jeunes Français.
(Bruits)
Journaliste
De quoi parlez-vous entre vous ?
Etudiante 2
On a touché un petit peu quelques problèmes quand même.
Journaliste
Par exemple ?
Etudiante 2
On a parlé de littérature, un soir, après être allé voir un film à la télévision en même temps.
Journaliste
Quel film c'était ?
Etudiante 2
C'était d'après l'oeuvre de Zola, La Bête Humaine, je ne me rappelle plus du titre exact.
Chinoise 1
Désirs humains.
Etudiante 2
Oui, on y est allé en même temps.
Journaliste
Est-ce que vous trouvez que vous avez des goûts littéraires ou artistiques communs ?
Etudiante 2
On n'a peut être pas tellement discuté de nos goûts personnels, parce que, elles m'ont demandé de leur donner une liste d'auteurs à lire, c'est-à-dire elles ont envie de profiter au maximum de leur séjour en France, alors, elles veulent avant tout, tout lire.
Journaliste
Alors vous avez donc... vous leur servez un peu de monitrice ?
Etudiante 2
Monitrice c'est beaucoup dire, mais non.
Journaliste
Mais d'aide amicale ? Et à leur contact, est-ce que vous avez déjà appris quelque chose de différent ?
Etudiante 2
Ah oui, j'ai essayé de pénétrer un petit peu leur mentalité. Elle est totalement différente de la nôtre, mais ça n'empêche qu'on s'entend très bien.
Journaliste
Elles n'ont pas la même conception de la vie que nous ?
Etudiante 2
Ah non. Absolument pas. Il y a une chose que je remarque et qui me frappe quand même, c'est qu'elles sont toujours toutes souriantes, toutes radieuses, et qu'on est plus rancunier qu'elles.